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Boureima Badini, l’homme de la « facilitation » burkinabè dans la « crise ivoiro-ivoirienne » (3/3)

Publié le mardi 29 novembre 2011 à 13h47min

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« Un jour de gloire ? ». J’interpelle Boureima Badini alors que les cérémonies officielles du conseil des ministres Burkina Faso/Côte d’Ivoire viennent de s’achever. Il a la satisfaction de la mission accomplie (cf. LDD Burkina Faso 0277/Lundi 21 novembre 2011). Il a conscience, aussi, que le Burkina Faso ne peut pas se contenter d’avoir été le « facilitateur » et d’être reconnu en tant que tel après avoir été dénoncé « comme le pays qui avait mis le feu » pour pouvoir jouer aux pompiers.

« Nous ne sommes pas des impérialistes et nous n’avons aucun intérêt particulier à être en Côte d’Ivoire », m’assène Badini. « Notre seul intérêt a été de mettre fin à la crise. Et si nous avons été volontaires pour cette action c’est non seulement pour le Burkina Faso mais aussi pour tous les autres pays de la sous-région ».

Fin de la crise, fin de la « facilitation » ? « Nulle part, il n’a été dit que l’APO cesserait d’avoir un sens dès lors que Gbagbo n’était pas élu. Nous sommes là au même titre que l’Onuci, Licorne… » me précise Badini. « La « facilitation » a été acceptée pour accompagner les efforts de réforme en Côte d’Ivoire. Notamment pour organiser les élections présidentielle et législatives et résoudre le problème de fond qui a conduit à la guerre en Côte d’Ivoire : le problème identitaire. Cela a été long. Mais cela a été géré avec sagesse par nos chefs d’Etat et le premier ministre, Guillaume Soro, aux côtés de Laurent Gbagbo tout au long du processus, parvenant à l’assurer que c’était la bonne voie pour sortir la Côte d’Ivoire de la crise. Nous avons résolu le problème de fond par l’identification ; nous sommes parvenus jusqu’à l’élection présidentielle. Dès lors que les législatives auront été organisées, nous pourrons dire mission accomplie. Sans l’accord de Ouagadougou, nous n’y serions pas arrivés. Le Burkina Faso a été à l’origine de tout cela ! ».

Ce qui prouve que la « facilitation » n’est pas achevée, c’est la volonté toujours exprimée de Badini de n’exclure aucun des acteurs politiques. La « facilitation » c’est, d’abord, la « concertation » me précise-t-il. « L’accord de Ouagadougou, me rappelle Badini, a été une initiative de Gbagbo soutenue par Soro et à la laquelle Bédié et Ouattara ont adhéré dans l’intérêt supérieur des populations ivoiriennes. Aujourd’hui, de la même manière, nous traitons avec Ouattara, Soro et Bédié pour une paix définitive et solide en Côte d’Ivoire ». Après avoir été l’interlocuteur de l’ancien pouvoir, Ouaga devient l’interlocuteur du nouveau pouvoir. « Il y a continuité dans l’action, m’affirme Badini. C’est pourquoi, hier [c’était le jeudi 17 novembre 2011], nous avons rendu hommage à l’ancien régime qui a été à l’origine de ce projet. La concertation continue. Avec Ouattara, bien sûr, avec Bédié qui n’est pas en reste, mais aussi avec certains leaders du FPI » (auquel Ouattara a proposé la vice-présidence de la CENI me rappelle Badini).

La question qui se pose aujourd’hui est de savoir que faire de cette « facilitation » : gérer les acquis ou aller au-delà ? La réponse de Badini est sans ambiguïté : « Nous sommes dans la phase finale de cette crise ; il faut voir ce que nous pouvons en tirer. Les Etats n’ont pas que des amis ; ils ont aussi des intérêts. Et notre intérêt est de voir comment nos populations vont tirer le maximum de profit de la paix retrouvée en Côte d’Ivoire ».

« Nous sommes un pays sans littoral, nous avons donc besoin de la Côte d’Ivoire pour nous développer. Mais la Côte d’Ivoire, qui a des liens séculaires avec le Burkina Faso, a aussi besoin de nous. Il s’agit donc de savoir comment nos populations pourront accompagner le peuple ivoirien dans la quête du bien-être qui est commune à tous », me précise Boureima Badini. Il ajoute : « Avec la crise, nous n’avons pas eu le temps de faire quoi que ce soit des projets définis lors du premier conseil des ministres conjoint. Aujourd’hui, les deux pays parlent le même langage ; nos deux chefs d’Etat sont dans la même dynamique. Ce qui fait que nous sommes plus sereins afin de penser notre coopération en termes d’actions à mener dans la perspective de la satisfaction des besoins de nos populations. Hier, la Côte d’Ivoire était en guerre. La situation était difficile et nous avions des appréhensions dès lors que nous étions accusés d’être responsables de cette guerre et que nous en subissions les conséquences économiques et sociales. Le président Alassane Ouattara s’y connaît en matière économique, de gestion de l’Etat et d’organisation administrative. C’est dire que les pays de la sous-région vont pouvoir en tirer les bénéfices ».

Une autoroute, une voie de chemin de fer, une ligne électrique. Deux ans pour trois projets déjà dans les cartons lors du conseil des ministres conjoint de 2009 ! Le bilan de « Ouaga 18.XI.11 » peut sembler mince (le communiqué final fait l’inventaire de quantité de projets et d’actions communes moins spectaculaires) ; ce serait oublier que ce n’est là que la colonne vertébrale (et le préalable) d’une démarche qui vise, selon Blaise Compaoré, à « faire de l’axe Ouagadougou-Yamoussoukro un exemple de coopération réussie et d’apporter un souffle nouveau à la dynamique d’intégration sous-régionale » et « de donner une impulsion forte à la croissance économique et à l’amélioration de la qualité de vie des populations ». « La volonté d’agir ensemble », affirmée par le président du Faso, nuance la perception « technocratique » que l’on peut avoir des travaux de ce conseil des ministres. « Il s’agit de célébrer la coopération entre les deux pays et nous ne l’avons peut-être pas fait assez jusqu’à présent » me précise Boureima Badini. « Nous sommes un pays qui a construit sa démocratie au cours d’un certain nombre d’années, nous sommes un peuple travailleur qui se fixe des objectifs et nous pensons que la discussion peut résoudre les difficultés que tous les peuples rencontrent. Alassane Ouattara est quelqu’un qui a une grande hauteur de vue et le sens de l’intérêt de son pays. Il peut y avoir des limites à notre action mais nous sommes déterminés à obtenir le maximum. Que ce soit Gbagbo ou Ouattara au pouvoir, cela ne change pas le fait que les bonnes relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire sont d’un intérêt primordial pour nos populations ».

Après son accession effective au pouvoir, dès le 16 mai 2011, Ouattara avait fait une « visite d’amitié » à Ouaga. Un an après le premier tour de la présidentielle, à la veille des législatives, Ouattara était donc de retour à Ouaga avec une délégation de 37 personnalités (que Compaoré a qualifiée « d’imposante », la délégation officielle burkinabè ne comptait que 30 personnalités ; on se demande qui a gardé la maison, pendant ce temps, à Abidjan !). C’est dire que la connexion entre Ouaga et Yamou et, plus encore, entre les classes politiques burkinabè et ivoirienne, est significative. Et illustrative. Si, lors de son discours d’ouverture, Compaoré a salué en Ouattara un « homme d’Etat […] rassembleur, homme de paix et de dialogue, épris de justice et de démocratie », il n’a pas manqué de souligner « le sens élevé des responsabilités de [son] gouvernement sous la conduite du Premier ministre Guillaume Soro, ainsi que les multiples efforts qu’il déploie pour la consolidation de la démocratie et de la sécurité, conditions indispensables au renforcement de la cohésion sociale et à l’émergence d’une nation ivoirienne épanouie ». Tutorat ? Coaching ? Volonté de « ne pas injurier l’avenir » ? Ne nous insérons pas dans l’imaginaire politico-diplomatique burkinabè. Mais ne refusons pas de penser qu’après les incertitudes de 1993, 1999, 2000, 2005, 2010 Ouaga entend éviter, désormais, de se laisser surprendre par ce qui peut se passer sur les bords de la lagune Ebrié.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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