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Ouaga, capitale politique sous-régionale, presse Abidjan de jouer son rôle de capitale économique (1/5)

Publié le dimanche 20 novembre 2011 à 20h32min

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Départ ce jour (lundi 14 novembre 2011) pour Ouaga. Depuis mon dernier séjour, au début de l’été 2010, bien des événements ont bouleversé « le pays des hommes intègres ». Au-delà de la réélection sans surprise de Blaise Compaoré, c’est l’évolution de la situation politique en Côte d’Ivoire qui a, incontestablement, suscité l’intérêt des médias et de la population ouagalaise. Comment pourrait-il en être autrement ?

Chacun, ici, est conscient que le « puissant » voisin - même très mal en point - est une composante essentielle de son passé, de son présent et de son devenir. Les deux pays sont intimement liés l’un à l’autre ; et la classe politique ivoirienne a sensiblement la même perception des choses (même si cette vision est, à tort, trop souvent, chargée d’une certaine condescendance) : la meilleure preuve en est la tenue, à Ouaga, le vendredi 18 novembre 2011, du deuxième « conseil des ministres conjoint des gouvernements burkinabè et ivoirien »*.

Un président battu qui ne voulait pas partir, un président élu qui n’en finissait pas de le maudire et une « communauté internationale » qui devra s’investir dans l’alternance, il y avait de quoi susciter l’intérêt des Burkinabè. D’autant plus que la « crise ivoirienne » a atteint son point de rupture alors que les « révolutions arabes » avaient déjà balayé Ben Ali et Moubarak et que le Burkina Faso, à son tour, sombrait dans le chaos. Le gouvernement de Tertius Zongo était « renversé » par (la décomposition) de l’armée et Luc Tiao quittait Paris, où il était ambassadeur, pour Ouaga afin de mettre de la « com » dans la débandade. Il y aura des morts, bien sûr, mais aussi des rébellions en cascade au sein de l’armée, y compris à Ouaga 2000. Parce que personne ne veut comprendre, nulle part dans le monde, que la question n’est plus de « mourir pour rien » mais que, lorsqu’on doit vivre pour rien, on puisse souhaiter, parfois, mourir pour quelque chose. L’image du Burkina Faso (à commencer par celle de Blaise Compaoré), en prenait un sacré coup dans un contexte « africain » particulièrement délicat : les indéboulonnables peuvent donc vaciller sur leur piédestal ; et parfois même tomber !

Depuis, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, Tiao a entrepris de renouer le dialogue par des actes plutôt que par des paroles. A la « burkinabè » ; avec ce qu’il faut de patience, d’efforts, de discrétion, d’humilité. Il n’y aura donc pas que le gouvernement qui sera balayé ; dans l’administration (y compris la moins concernée par la « crise »), les pendules ont été remises à l’heure et les conseils des ministres sont devenus, aussi, le cadre de « l’émergence » de nouvelles têtes d’affiche. Pas toujours autant que l’auraient souhaité les Burkinabè mais suffisamment pour qu’une nouvelle « ambiance » règne dans le pays. C’est qu’au-delà de la « crise » burkinabè stricto sensu, le pays subit les effets collatéraux de la « post-crise » ivoirienne et du pourrissement de la situation en Libye. Et, à Ouaga, tout le monde, désormais, « marche sur des oeufs », chacun sachant désormais combien les situations peuvent être volatiles. Après le tsunami des « révolutions arabes » et le drame que vivent les Syriens, les Yéménites, etc., les soubresauts vécus par le Burkina Faso semblent n’être que des vaguelettes. Pas de traumatisme ; mais un électrochoc finalement bienvenu.

Il y a, enfin, un début de prise de conscience que le Burkina Faso est peuplé de… Burkinabè et qu’il n’est pas qu’un conglomérat historico-bureaucratique. Ce pays est devenu fier, à juste titre, de ce qu’il est ; et de sa capacité non seulement à surmonter ses crises de croissance mais, surtout, d’en faire des points d’appui pour aller, justement, au-delà de ce qu’il est. C’est que le Burkina Faso n’est pas que « le pays de Blaise Compaoré ». Il y a le Cameroun de Biya, la Guinée équatoriale de Nguema, le Sénégal de Wade, la Côte d’Ivoire de Ouattara (jusqu’à nouvel ordre), etc. Autant de pays où, au-delà du chef de l’Etat, c’est un désert décisionnel. Pour savoir, sur le net, ce qui se passe réellement dans ces pays (au-delà des infos footballistiques) , il faut taper non pas le nom du pays mais celui de son « patron ». Il est heureusement quelques pays qui existent au-delà du seul chef de l’Etat.

Le Burkina Faso en fait partie. Parce qu’il a une société civile dynamique et organisée ; parce qu’il a une administration consciente de son rôle « militant » dans l’évolution du pays ; parce qu’on s’y lève tôt, qu’on s’y couche tard et qu’entre le lever et le coucher on bosse. Parce que, surtout, les responsables ne nient pas les problèmes à résoudre et les difficultés à surmonter ; sans jamais, pour autant, perdre de vue les contraintes internes et les contraintes externes auxquelles le pays est soumis. Les Assises nationales sur les réformes politiques - dont l’organisation résulte des « événements » du printemps 2011 - devraient, d’ici moins d’un mois (7-9 décembre 2011), permettre de dresser un nouvel état des lieux de la « démocratie » et du « développement » du Burkina Faso.

Le vol Air France Paris-Ouaga, vol direct, est plein à craquer. Des Burkinabè, des Français, des Taïwanais (Ouaga est la seule capitale francophone ayant des relations diplomatiques significatives avec Taipeh), etc. Au prix du billet, c’est plutôt bon signe. La crise est passée et n’est même pas un lointain souvenir. Et le débat sur l’insécurité n’est plus d’actualité malgré les effets collatéraux de la crise libyenne. Le Burkina Faso est redevenu « le pays des hommes intègres ». Il est vrai que, quel que soit le niveau de corruption ici (plus que la corruption, c’est d’ailleurs l’affairisme qui tend à être un fléau dans ce pays et quelques politiques en sont conscients), ce qui se passe autour et alentour oblige à relativiser. Autrefois replié sur lui-même, introverti, le Burkina Faso a su s’ouvrir à l’Afrique et au monde, « s’extravertir » sans y perdre son âme et sa personnalité. La perspective de recevoir, dans quelques jours, à Ouaga, les « grottos » de la Côte d’Ivoire, costumés, cravatés, limousinés, survitaminés, encartés « gold »… ne manque de réjouir les Burkinabè qui, depuis pas loin de deux décennies, ont eu à souffrir, en Côte d’Ivoire, non seulement d’un mépris non dissimulé mais d’exactions confinant à la ségrégation.

Voilà donc que l’homme inespéré de la Côte d’Ivoire est contraint de faire la tournée des pays du Conseil de l’Entente (qui a été, toutes ces dernières années, celui de la mésentente). Pour rappeler aux leaders de ces pays (Bénin, Burkina Faso, Niger, Togo) que le vieux truc créé par Félix Houphouët-Boigny pour assurer son hégémonie sous-régionale redevient d’actualité dans une perspective, cette fois, d’instaurer « un esprit de solidarité ». Pour s’efforcer de convaincre tous les Ivoiriens qui ont pris la poudre d’escampette quand leur pays allait mal que celui-ci pourrait aller mieux s’ils revenaient à la maison (ce qui n’est pas certain d’ailleurs ; la Côte d’Ivoire, comme toujours, a bien plus besoin de la main-d’œuvre des diasporas sous-régionales persécutées par la clique Gbagbo que de la suffisance de ses « élites » expatriées).

A quand remonte la dernière tournée sous-régionale d’un chef de l’Etat ivoirien ? A quand remonte la dernière réalisation « conjointe » sous-régionale ? Air Afrique, compagnie continentale dont le siège était à Abidjan, n’est même plus un souvenir ; la RAN - dont le seul mérite est d’exister - est tout juste bon pour le musée des Arts et Métiers ; et la liaison autoroutière entre Abidjan et Ouagadougou reste à l’état de projet (même si le dossier est à l’ordre du jour du « sommet » du 18 novembre 2011).

* On ne parle plus de « conseil des ministres conjoint ivoiro-burkinabè » mais de « sommet pour la mise en œuvre du traité d’amitié et de coopération Burkina Faso-Côte d’Ivoire », traité signé le 29 juillet 2008.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 29 novembre 2011 à 02:41, par Alain En réponse à : Ouaga, capitale politique sous-régionale, presse Abidjan de jouer son rôle de capitale économique (1/5)

    Parce que personne ne veut comprendre, nulle part dans le monde, que la question n’est plus de « mourir pour rien » mais que, lorsqu’on doit vivre pour rien, on puisse souhaiter, parfois, mourir pour quelque chose.

    la Côte d’Ivoire, comme toujours, a bien plus besoin de la main-d’œuvre des diasporas sous-régionales persécutées par la clique Gbagbo que de la suffisance de ses « élites » expatriées.

    Merci pour la justesse de vos phrases. C’est toujours un plaisir de vous lire.

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