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TOURNEE SOUS-REGIONALE D’ADO : Faire d’une pierre deux coups

Publié le mercredi 16 novembre 2011 à 01h37min

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Le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara (ADO), a entrepris depuis quelque temps une tournée dans la sous-région ouest-africaine. Après le Bénin et le Togo, il séjournera bientôt au Niger puis au Burkina Faso. A la base de cette tournée d’ADO, figurent bien des préoccupations. La Côte d’Ivoire est à la veille d’une campagne législative. En dépit de multiples appels, le Front populaire ivoirien (FPI) refuse d’aller à la compétition. Il donne le sentiment que l’aigreur d’avoir perdu la dernière présidentielle et de voir ses projets anéantis l’emporte sur la nécessité de s’accorder sur l’avenir du peuple ivoirien et la démocratie.

Le risque est peut-être grand de voir un jour le FPI disparaître du paysage politique, et même de basculer à nouveau dans la clandestinité. Mais, il n’est pas facile de donner raison à des acteurs politiques qui ont ruiné les espoirs des Ivoiriens et qui versent aujourd’hui dans un chantage éhonté en exigeant la libération de dirigeants sous le coup de la loi. L’opinion ivoirienne voudrait peut-être pardonner, mais elle renoncerait difficilement à sanctionner des auteurs de crimes de sang et de crimes économiques avérés. Et ADO a intérêt à en tenir compte, quoique coincé entre son désir de paix et de réconciliation et la nécessité de ne pas tomber dans les pièges de l’impunité.

L’actuel chef de l’Etat aura même beau jeu de travailler à isoler davantage les caciques et les irréductibles de ce parti qui a perdu le pouvoir et qui semble vouloir se situer dans une opposition stérile. Les années Gbagbo ont marqué de nombreux ressortissants de l’Afrique de l’Ouest par les discours aux accents profondément xénophobes. Jamais auparavant, les acteurs politiques ivoiriens n’étaient allés aussi loin dans les dérives, avec des messages prônant ouvertement la haine de l’étranger. C’est pourtant le "Vieux", comme on appelait affectueusement Félix Houphouët-Bongny, qui avait ouvert le pays aux "étrangers", surtout aux "voisins", pour en assurer la modernisation et favoriser l’essor sur tous les plans.

Cela, après avoir tiré leçon du système colonial. Malheureusement, certains de ses successeurs n’avaient pas hésité un seul instant à cracher sur cet esprit de solidarité et d’ouverture, pourtant reconnu comme clé du rapprochement des peuples et du développement de la sous-région. Ainsi, après le "Vieux", l’on assista donc à la mort programmée de politiques communes et surtout, à la disparition progressive de ce qui fut pourtant au lendemain de la nuit coloniale, de véritables fleurons de l’économie africaine, des symboles de réussite en matière d’intégration sous-régionale et régionale. Ce fut d’abord la compagnie aérienne Air Afrique dont l’agonie fut lente et laborieuse, en raison même des intrusions d’acteurs politiques inconséquents et de la cupidité de certains éléments d’un personnel pourtant en majorité convaincus que le ciel africain appartient d’abord aux Africains.

L’on assista ensuite au démembrement de la Régie-Abidjan-Niger (RAN), compagnie ferroviaire qui fut naguère un instrument d’exploitation néocoloniale. Transformée aux lendemains des indépendances en un puissant levier de développement socio-économique, elle se révéla effectivement comme étant la colonne vertébrale du désenclavement de toute la sous-région. La RAN, ce fut aussi un véritable outil d’éveil des consciences au plan syndical, un tremplin pour les systèmes éducatifs et socio-sanitaires ivoirien et burkinabè avec l’implantation des écoles et des dispensaires le long de la voie ferrée. Véhicule incontournable du rapprochement des peuples, la RAN a aussi fini par sombrer sous le poids d’une gestion irresponsable, autant que par la faute d’acteurs politiques sans envergure.

Pourtant, elle ambitionnait, par la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso interposés, de relier par la voie ferrée les capitales de nombreux pays de la sous-région et aller au-delà. Mais ces infrastructures communes que l’on croyait solides, ont volé en éclat parce que celui qui les incarnait, s’éteignait discrètement dans le brouhaha des luttes de succession. Comme le passé l’a suffisamment montré, ceux qui rêvaient de lui succéder ont sérieusement eu du mal à porter le fardeau. Le repli identitaire aidant, la politique politicienne a plongé la sous-région et ses populations dans la pénombre. Aujourd’hui, chacun reconnaît la nécessité de mettre fin à cette détresse. Isolée par l’aventurisme de certains de ses fils, la Côte d’Ivoire panse ses blessures.

Il lui faut absolument chercher à se rattraper. Longtemps après la mort du "Vieux", ses partisans autant que ses adversaires cèdent devant l’évidence : n’est pas visionnaire qui veut. De nos jours, les Africains ont besoin de gens qui portent véritablement leurs espoirs. Pas ceux qui se contentent de les diriger, mais qui réalisent pleinement leurs aspirations, avec leur concours. Aux commandes du bateau Côte d’Ivoire, ADO pourra-t-il mener la charge à bon port ? La famille du Conseil de l’entente a beaucoup été marquée ces dernières années par l’esprit malsain qui a dominé longtemps les abords de la Lagune Ebrié. ADO a intérêt à sortir, car la Côte d’Ivoire a beaucoup perdu.

Elle voudrait pouvoir reconquérir sa place et son leadership dans la sous-région. Dix ans, ce n’est pas peu. Les autres pays, qui ont atrocement souffert des errances du régime Gbagbo, ont appris à se passer d’un partenaire devenu à la fois encombrant et arrogant. Les ports de Lomé (Togo), Cotonou (Bénin) et Téma (Ghana) en ont profité et se sont réaménagés pour mieux conquérir les cœurs des pays de l’hinterland : Burkina Faso, Mali et Niger. Contraint de prôner la réconciliation à l’intérieur, ADO voudrait bien pouvoir rassurer et convaincre ses compatriotes ayant fui la guerre civile et trouvé refuge dans les pays voisins. Les Ivoiriens de l’extérieur ont aussi leur place dans les tâches de reconstruction nationale. Il leur faut comprendre que les choses ont changé et que "ça bouge" énormément et rapidement. Ce ne sont pas les fonds qui manquent.

Les partenaires techniques et financiers ont de nouveau ouvert le robinet, et il faut vite rentrer afin de pouvoir profiter de la manne qui tombe parce que le nouveau locataire du palais de Cocody inspire confiance et respect auprès des bailleurs de fonds. Par ailleurs, avec le départ de nombreux opérateurs économiques, des cadres supérieurs, des travailleurs d’usines, des ouvriers agricoles, etc., l’économie ivoirienne qui redécolle a tout de même mal. Elle a mal à son propre contingent en exil de gré ou de force à l’étranger, mais elle a aussi mal à ceux qui sont partis peut-être pour ne pas revenir de sitôt. Beaucoup souffrent encore et s’interdisent de retourner. D’autres espèrent parce qu’à nouveau, avec ADO, ils veulent rêver.

Les observateurs s’attendent donc que ADO évoque avec ses homologues du Togo, du Bénin, du Niger et du Burkina Faso des sujets aussi importants que la redynamisation du Conseil de l’entente, pionnière des regroupements sous-régionaux en Afrique. Cette organisation à laquelle tenait le défunt président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, père spirituel d’ADO, se trouve plongée dans une certaine léthargie. C’est un fait que le régime Gbagbo a tué l’esprit de solidarité qui régnait entre les peuples de la sous-région ouest-africaine. En parcourant la sous-région, ADO qui a aussi souffert les affres de l’exil voudrait pouvoir convaincre ses compatriotes de rentrer au bercail. Les conditions sont réunies et l’heure est à la réconciliation. Comme toujours, le chef de l’Etat ivoirien s’emploiera à prêcher auprès de ses compatriotes la paix, la réconciliation, le partage et la responsabilité. Mais il cherchera aussi à rassurer les Africains de la sous-région. En somme, il tentera de faire d’une pierre deux coups.

"Le Pays"

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