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Quand Paul Biya déraille, c’est tout le Cameroun qui déraille !

Publié le mardi 15 novembre 2011 à 19h03min

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Il ne faut pas s’en étonner. C’est une pratique permanente dans l’entourage du président camerounais Paul Biya. Dès son accession au pouvoir, il s’est adonné à la « communication ». Quand, après l’échec du coup d’Etat du 6 avril 1984, Biya s’est soucié de reprendre en main un pouvoir qui connaissait bien des soubresauts, c’est à Claude Marti, l’homme qui avait « déposé le mot communication au registre du commerce », qu’il a fait appel.

Le « communicateur » franco-suisse va mettre en place une cellule de réflexion auprès de la présidence animée par Georges Ngango, considéré alors comme le chef de file des réformateurs camerounais. Par la suite, justifiant sa démarche (Marti travaillait alors pour Mouammar Kadhafi), Marti déclarera (Stratégies du 29 juin 1992) : « Je veux aider à ce que le présent soit meilleur. Si, par le passé, mes conversations avec Paul Biya ont pu, à un modeste niveau, contribuer à l’avènement du multipartisme au Cameroun, tant mieux ». Marti est mort le jeudi 14 octobre 2004 à Paris (cf. LDD Spécial Week-End 0148/Samedi 23-dimanche 24 octobre 2004). Alors que les premiers résultats de la présidentielle camerounaise du lundi 11 octobre 2004 commençaient à tomber, confirmant ce que chacun savait depuis longtemps : Biya était réélu président de la République du Cameroun à une écrasante majorité. Un septennat vient ainsi de s’écouler et Biya en entame un nouveau. Et on regrette la « com » façon Marti étant obligés, désormais, de subir la « com » sans façon ; juste histoire de prendre du blé et d’en rétrocéder aux « partenaires » camerounais de l’opération. Dans Le Monde (daté du vendredi 11 novembre 2011), nous avons donc droit à une double page de « communiqué » proclamant : « Paul Biya réélu officiellement avec 77,9 % ».

La « com » institutionnelle n’est pas un mal. Si elle répond à un besoin ; transmet une information ou un message. C’est d’ailleurs sa définition exacte : « information émanant d’une instance, d’une autorité, et diffusée par les médias ». Mais trop souvent elle n’a d’autre but que l’enrichissement privé sur fonds publics : le média qui le diffuse, le « promoteur » qui le conçoit et le rédige, le donneur d’ordre au titre de « l’instance » ou de « l’autorité ». Dans ce domaine comme dans d’autres, le problème vient du mélange des genres. Le « Paul Biya etc… » que vient de publier Le Monde ne vise même pas à informer ou à transmettre un message. D’abord, parce que les lecteurs de ce quotidien se « foutent » totalement de ce type de « communiqué » ; plus encore quand il se rapporte à Biya qui n’est pas « la tasse de thé » de ce quotidien, loin de là. Ensuite, parce qu’on s’interroge sur la crédibilité d’un message qui explique que « Paul Biya, à 78 ans, entame donc son 6ème mandat à la tête du Cameroun » et qui ajoute, pour justifier l’injustifiable (l’âge et le nombre de mandats) : « Un septennat placé sous le signe des « grands chantiers » qui le reconduit donc jusqu’en 2018, sauf si, comme le pensent bon nombre d’observateurs, le chef de l’Etat camerounais organise sa succession et passe le flambeau, en cours de mandat, à celle ou à celui qui aura gagné sa confiance ». S’il avait dû « passer le flambeau », il avait l’occasion de le faire au moins à la veille de ce 6ème mandat ; quant à la désignation d’un successeur en cours de mandat, c’est l’option la moins démocratique qui puisse exister. Mais il est vrai que c’est ainsi que Biya a accédé au pouvoir. Par désignation.

Un « communiqué » qui n’est pas destiné à être lu (surtout pas par les Camerounais) peut donc raconter n’importe quoi ; ou presque. « Une large part de la population camerounaise reconnaît à Paul Biya d’avoir toujours su maintenir le pays dans la paix et la stabilité ». « Avec lui, il y a eu l’arrivée de la démocratie et de la liberté d’expression ». « Tous les dirigeants du monde ne garantissent pas la paix à leur pays. Alors que lui, il s’investit beaucoup dans ce sens ». « Comme son prédécesseur, il prendra les mesures adéquates pour céder la place à la meilleure personne ». « Paul Biya pense que le moment est venu de passer à l’étape supérieur, celle qui devrait consacrer la réalisation effective des grands travaux, et qui permettra au Cameroun de devenir une économie émergente à l’horizon 2035 ». « Paul Biya, réélu ce mois-ci pour sept ans, est visiblement déterminé à assouvir un vœu personnel, celui d’entrer dans l’histoire comme l’homme qui a apporté la démocratie et la prospérité au Cameroun »…

Dans cette avalanche d’affirmations gratuites, on a plaisir à relever quelques « perles » : « Le chef de l’Etat ne nous oublie pas. De temps en temps, il réagit à l’endroit de sa jeunesse ». « Les chefs traditionnels sont des personnalités importantes pour le pouvoir central. Les moyens utilisés par les hauts cadres de l’administration pour accéder à ces fonctions, pourtant héréditaires, en démontrent le prestige ». « L’objectif est d’atteindre une croissance à deux chiffres pendant la décennie en cours […] au cours des dix prochaines années, le Cameroun ambitionne de relever la croissance à un niveau moyen de 5,5 % par an ». « Il s’agit de permettre au Cameroun de devenir une économie émergente à l’horizon 2035 […] Il est question de ramener le sous-emploi de 76 % à moins de 50 %, et de réduire le taux de pauvreté autour de 25 % en 2020 ». « Les projets nécessiteront plus de 8 millions de tonnes de ciment par an, alors que la production nationale est actuellement environ de 1.600.000 tonnes »…

« A partir de janvier, le Cameroun sera transformé en un immense chantier », titre le seul papier signé de ce « communiqué ». Je rappelle quand même que Biya est au pouvoir depuis 29 ans (4 novembre 1982) ; ce qui lui a laissé le temps de réfléchir aux « chantiers » qui devaient être lancés. Le signataire de ce papier rappelle que le Cameroun de Paul Biya « dispose d’un cadre légal d’expression des libertés fondamentales : liberté politique, liberté syndicale, liberté de culte, liberté d’opinion, liberté de la presse et bien d’autres encore » (mais pas un mot sur l’homosexualité, férocement combattue). Achille Mbog Pibasso, le signataire de ce papier, n’est pas un quelconque pigiste à Douala. « Rédacteur en chef délégué chargé du desk de Douala au quotidien La Nouvelle Expression », il préside, depuis avril 2011, l’Observatoire camerounais de la déontologie et de l’éthique dans les médias (Ocadem), qui se veut être un « organe de régulation », et entend jouer un « rôle pédagogique, de sensibilisation et d’éducation des journalistes ». Il s’agit, dit-il, de « protéger le droit du public à une information libre, complète, honnête et exacte ». Sans rire !

Mbog collabore au site « investiraucameroun.com » (concepteur du « communiqué » publié par Le Monde) dont le patron n’est autre que Dominique Flaux, « spécialiste en conception et en management de médias ». Flaux était, jusqu’en décembre 1997, directeur commercial du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne, fondateur du journal Les Afriques en 2007 dont il est le directeur de publication, de l’agence Ecofin (Dakar et Genève) en décembre 2010, administrateur de la société Séquence Média SA, opérateur du forum EMA invest. Quant à Mbog, dans d’autres médias, il est plus critique vis-à-vis du gouvernement Biya.

Le vendredi 26 août 2011, il disait « non à la caporalisation de la presse camerounaise […], unique contre pouvoir d’un régime finalement mi-démocratique et mi-autocratique ». Il dénonçait les « thuriféraires du régime » qui veulent « mettre les médias sous éteignoir » et « le musellement de la presse camerounaise […] qui refuse d’être la caisse de résonance du parti-Etat ». Alors, dès lors, qui croire ? La question n’a guère d’importance d’ailleurs puisque, finalement, personne (sauf moi sans doute) ne lit jamais ces « communiqués ». Je l’ai dit : ils ne servent qu’à faire du fric. Et pas de la meilleure façon.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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