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Les relations entre Malabo et Paris demeurent confuses malgré une coopération militaire renforcée (2/2)

Publié le mercredi 9 novembre 2011 à 19h17min

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Dernier avatar des relations crispées entre Paris et Malabo : son Excellence Don Federico Edjo Ovono, ambassadeur de Guinée équatoriale à Paris, a dû, dans la précipitation, faire ses bagages et, avec femme et enfants, rejoindre la mère patrie. Et ses dures réalités après les longues années passées entre la chancellerie du boulevard de Courcelles et la somptueuse résidence de l’avenue des Ternes, la Mercedes avec chauffeur, un personnel à sa dévotion, des flopées d’avocats, de conseillers, de traducteurs…, les déplacements en first, l’étroite connexion avec des personnalités politiques françaises, les grandioses « réceptions de l’ambassadeur »…

Ce physicien formé à Moscou (et marié avec une Russe), parfait connaisseur de la chanson française (il aimait à chantonner le répertoire de Joe Dassin, parmi d’autres), non dénué d’humour, s’était sincèrement attelé, en début de mission, à promouvoir un pays qui en avait besoin. Les ambassadeurs s’étaient, jusqu’alors, succédés mais aucun n’avait pris conscience qu’il était à Paris pour faire autre chose que les boutiques et les restaurants (en 1998, déjà, M6 avait consacré un reportage particulièrement cocasse sur les tribulations champs-élyséennes, de boutiques en boutiques, de Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur - qui n’était pas encore Edjo Evono - dans le sillage du fils du chef de l’Etat). Mais trop sollicité de toutes parts, préoccupé par les fortunes qui se bâtissaient à Malabo, Bata, Mongomo…, Edjo Ovono avait sans doute perdu le sens des réalités équato-guinéennes qui, pourtant, ne lui étaient pas étrangères.

En tout premier lieu : le chef de l’Etat, qui suscite auprès des « élites » locales tout autant de crainte que de respect, est non pas sous informé mais mal informé. Son entourage a tendance à ne lui raconter que ce qu’il pense qu’il veut entendre. Autrement dit : « Tout va très bien madame la marquise ». Sauf qu’à Paris, tout n’allait pas très bien, loin de là ; et, surtout, pas aussi bien que les « conseillers » de l’ambassadeur voulaient le laisser croire (mais chacun sait que « les conseilleurs ne sont pas les payeurs »). Le représentant permanent de la Guinée équatoriale auprès de l’Unesco à Paris, Juan Bautista Osu Bita, en avait fait l’expérience au cours de l’été 2010 : démis de ses fonctions sans avertissement ! Edjo Ovono est, lui aussi, de retour à Malabo où il va pouvoir suivre, en temps réel l’avancement des travaux de sa résidence. L’affaire des « biens mal acquis » lui aura été fatale ; ce que ses détracteurs, à Paris ne manqueront pas de considérer comme un juste retour des choses. Mais le problème n’est pas là ; il est dans le fait que les porteurs de mauvaises nouvelles ne sont jamais les bienvenus dès lors que l’on ne cesse d’affirmer qu’il n’y a que de bonnes nouvelles.

C’est dans ce contexte diplomatique perturbé que Paris et Malabo s’efforcent, malgré tout, de construire une relation significative. Parce que Obiang Nguema Mbasogo n’a pas fait le choix, voici quelques décennies, de s’ancrer dans la zone franc et la francophonie sans avoir réfléchi à ce que cela signifiait pour son pays ; parce qu’il est conscient que l’évolution économique de celui-ci lui offre de nouvelles opportunités diplomatiques et qu’après des décennies pendant lesquelles les équato-guinéens ont été méconnus ou méprisés, la roue de la fortune avait tourné. Ce qui ne manque pas d’agacer les fortunes régionales plus anciennes !

La France, quant à elle, a les yeux rivés sur la carte du golfe de Guinée. Les territoire de la Guinée équatoriale s’étendent de l’île de Bioko (hémisphère Nord) à l’île d’Annobon (hémisphère Sud) en passant par l’île de Corisco et ses îlots (dont le Gabon revendique la souveraineté) sans oublier le Rio Muni dans le Nord-Ouest du Gabon. Ce positionnement géopolitique, dans une zone pétrolière dont les richesses sont avérées mais pas encore totalement dévoilées, ne peut que susciter l’enthousiasme des « grandes puissances ». La Guinée est un pays où la mer l’emporte sur la terre. Et Obiang Nguema s’efforce de transformer, au moins un tout petit peu, ce peuple de terriens en peuple de marins.

Il y a quelques années, le chef de l’Etat avait affirmé, officiellement que « la France était l’alliée naturelle de la Guinée équatoriale », ajoutant que « cette amitié était née à une époque où son pays était un des plus pauvres d’Afrique et qu’il ne l’oublierait pas au moment où, grâce au pétrole, la Guinée équatoriale entrait dans le clan des pays riches ». L’amitié s’est, certes, refroidie mais les deux pays surfent encore sur une réalité géopolitique qui s’impose aux deux capitales : pour la Guinée équatoriale, c’est son implication dans les institutions sous-régionales ; pour la France, c’est la présence de la Guinée équatoriale au coeur d’une zone considérée comme historique et stratégique.

C’est ainsi que le 11 octobre 2011, le général de corps d’armée Bruno Clément-Bollée, ancien patron (2007-2008) de « l’opération Licorne » en Côte d’Ivoire, directeur de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) au ministère des Affaires étrangères et européennes, a assisté, à Bata, à l’inauguration de l’Ecole navale à vocation régionale (ENVR) chargée « de former des marins et des techniciens militaires ou civils à la surveillance et à la sécurisation des espaces maritimes » (l’ENVR de Bata* - intégralement financée par la Guinée équatoriale - a été ouverte le 25 octobre 2010 pour les nationaux équato-guinéens ; elle est ouverte aux stagiaires étrangers depuis la rentrée de septembre 2011). Par ailleurs, dans la perspective du sommet de l’Union africaine (été 2011) et de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football (2012), la France a apporté son soutien à la Guinée équatoriale en matière de formation ; c’est ainsi que depuis février 2011, la compagnie d’infanterie équato-guinéenne a été formée aux opérations de maintien de l’ordre par des cadres des Forces françaises au Gabon (FFG) détachés à Malabo et à Bata. Là encore, le coût de l’intégralité de l’opération a été pris en charge par le budget équato-guinéen.

La France est ainsi largement présente dans la formation des cadres et des spécialistes des trois armées (air, mer, terre) et de la police en Guinée équatoriale. Mais il ne faut pas se leurrer, la France, qui se trouvait depuis le début des années 1980, quand la Guinée équatoriale n’avait pas encore découvert de pétrole sur son territoire (1995), dans un rapport de puissance asymétrique avec la Guinée équatoriale, a, depuis, enregistré une perte d’influence avec la montée en puissance de nouveaux acteurs. En matière de défense et d’armement, le président Obiang Nguema a ainsi, voici quelques mois, ramené la Russie dans le jeu diplomatique africain en signant un accord de coopération militaire et technique avec Moscou (cf. LDD Union africaine 006/Vendredi 10 juin 2011)

Mariola Bindang Obiang, qui était directeur national de la BEAC, a été nommée le 6 mai 2011 déléguée permanente de la Guinée équatoriale auprès de l’Unesco. C’est elle qui, actuellement, assure aussi l’intérim de l’ambassadeur auprès de la France depuis le départ précipité d’Edjo Ovono. La personnalité du prochain ambassadeur sera un bon indicateur de ce que Malabo entend faire de Paris dans son jeu diplomatique africain et mondial.

* Le sérieux de la Guinée équatoriale dans l’amarinage de ses élèves-officiers s’exprime dans la commande au Chantier du Guip, dans l’Ile aux Moines (golfe du Morbihan), de deux yoles de Bantry, chaloupes d’état-major du XVIIIème siècle de 11,60 m, gréées de trois voiles au tiers et bordant dix avirons, pouvant embarquer treize personnes (dix rameurs, un barreur, un homme d’avant, un homme d’arrière). La yole de Bantry tire son nom du village de Bantry, sur la côte irlandaise, où le canot amiral de la frégate française « Résolue » à fait côte en 1796 après son naufrage ; il a été conservé et est devenu, ainsi, le plus vieux bateau français existant. Le lieutenant-colonel Pinot, conseiller du chef d’état-major des armées équato-guinéen, vient de se rendre à l’Ile aux Moines pour y effectuer une réception de travaux, les deux yoles étant d’ores et déjà aux couleurs de la République de Guinée équatoriale.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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