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Les relations entre Malabo et Paris demeurent confuses malgré une coopération militaire renforcée (1/2)

Publié le mercredi 9 novembre 2011 à 19h15min

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La Guinée équatoriale peut bien faire partie de la zone franc, être partenaire de la BEAC (dont l’actuel gouverneur est, par ailleurs, équato-guinéen), membre de la CEMAC et de la francophonie (avec le français comme langue officielle), se trouver, dans le Golfe de Guinée, au contact avec des pays qui sont d’ex-colonies françaises (Gabon) ou d’ex-pays sous tutelle de la France (Cameroun), Paris n’arrive toujours à trouver à Malabo le mode de fonctionnement qui convient et à développer une relation sereine avec les responsables politiques de ce pays à nul autre pareil.

La relation entre Paris et Malabo est d’autant plus problématique en ce moment que c’est dans la capitale française que se trouve le siège de l’Unesco et que les relations entre cette institution et la présidence de la Guinée équatoriale ne sont pas au beau fixe. Et c’est un euphémisme (cf. LDD Guinée équatoriale 019/Mardi 4 octobre 2011). Ajoutons à cela la campagne des ONG françaises sur les « biens mal acquis » avec, dans le collimateur de la justice, le fils du chef de l’Etat, grand amateur de « voitures d’exception », et on comprendra aisément qu’être ambassadeur de France à Malabo est un job au moins aussi délicat que celui d’ambassadeur de Guinée équatoriale en France (sans compter celui d’ambassadeur auprès de l’Unesco). Et ceux qui, en France, accordent un intérêt particulier à la Guinée équatoriale sont souvent suspectés d’être d’autant plus attentifs à ce qui se passe dans l’île de Bioko, le Rio Muni, l’île d’Annobon… (la Guinée équatoriale est, géographiquement, un pays « éclaté ») que le pays est devenu, depuis à peine plus d’une décennie, une puissance pétrolière et, du même coup, un formidable tiroir-caisse qui suscite l’intérêt non seulement des « élites » équato-guinéennes mais, plus encore, de leurs partenaires français (sans oublier les autres et, tout particulièrement, les Camerounais), avocats, décideurs politiques, entrepreneurs et… magouilleurs de toutes sortes.

Santa-Isabel (devenu Malabo) a toujours été, pour les ambassadeurs français, un premier poste. Et, tout aussi souvent (à quelques exceptions près), le dernier. Malabo n’était pas, jusqu’à ces dernières années, un lieu de séjour particulièrement confortable (ni même vraiment accessible) et l’action diplomatique que la France (comme les autres pays) pouvait y mener était réduite à sa portion congrue. Le pays est devenu immensément riche en peu d’années, la capitale s’est transformée en un vaste chantier, Bata (la deuxième ville du pays, sur la partie continentale, dans le Rio Muni) s’est « structurée », mais il faut bien reconnaître que l’on tourne vite en rond dans ce pays équatorial qui, globalement (Bioko + Rio Muni + Annobon…) couvre moins de 30.000 km² ! Guy Serieys, le dernier de nos ambassadeurs, docteur en géographie économique, parlant l’anglais, l’espagnol et l’allemand, auteur de plusieurs publications scientifiques (notamment sur « le système de culture en pays lobi »), y avait été nommé début 2008 (cf. LDD Guinée équatoriale 011/Mardi 19 février 2008). Il avait, auparavant, enseigné en Egypte et au Laos, et avait été attaché culturel à Cuba, au Sénégal, au Burundi, à Madagascar, au Mali, à Haïti, à Djibouti, au Maroc avant d’être nommé ambassadeur chargé du co-développement (auparavant, il avait dirigé, pendant trois ans, le département Afrique-océan Indien au sein de la Direction générale de la coopération internationale et du développement au Quai d’Orsay).

C’est dire qu’il y avait une certaine impatience chez Serieys (et son épouse, originaire du Pas-de-Calais) à retrouver un cadre de vie plus en adéquation avec son parcours. Et il n’attendra pas ses 65 ans (27 juin 2011) pour prendre la poudre d’escampette. Alors que le sommet de l’Union africaine devait se tenir à Malabo au cours de l’été 2011 - le président Obiang Nguema Mbasogo étant président en exercice de l’institution panafricaine dans un contexte particulièrement délicat (Côte d’Ivoire, Tunisie, Egypte, Libye) - Serieys sera remplacé, « au pied levé », à Malabo, par Jacques Courbin, un inspecteur des finances reconverti dans la diplomatie. Pas non plus un jeune homme (il est né le 27 mars 1947, ce qui le situe, à 64 ans, à l’orée de la retraite) mais un homme d’expérience : ancien consul général de France à Bilbao (connaissant donc la langue de Cervantès), il a été ambassadeur au Rwanda, au Bénin, au Tchad avant de prendre la présidence du conseil d’administration de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna), dont le siège se trouve à Dakar. Ayant quitté le Sénégal fin 2010, Courbin se trouvait disponible pour aller combler le vide diplomatique français à Malabo. Dès le 3 mai 2011, il se trouvait dans la capitale équato-guinéenne, en tant que chargé d’affaires, pour y rencontrer quelques responsables politiques de second plan.

Ce ne pouvait être qu’une solution d’attente. Mais une nécessité ; même si tout cela donnait la (mauvaise) impression de n’être qu’un rafistolage. D’autant plus que Henri de Raincourt, en charge de la coopération, tirait un trait sur son déplacement, prévu le 20 mai 2011, à Malabo. Il est vrai que Obiang Nguema Mbasogo, président en exercice de l’Union africaine, n’était pas, quant à lui, invité à la réunion du G8, à Deauville, les 26-27 mai 2011, au grand étonnement des responsables de la diplomatie équato-guinéenne (cf. LDD France 0584/Mardi 24 mai 2011). C’est pourquoi, dès le 15 juillet 2011, un nouvel ambassadeur sera nommé (décret publié au Journal officiel du 17 juillet 2011). Pour François Barateau, 52 ans, c’est un premier job d’ambassadeur. Mais pas une première expérience africaine. IEP-Paris, titulaire d’une maîtrise d’administration économique et sociale, Barateau a servi à l’administration centrale avant d’être nommé deuxième secrétaire à Kigali (1988-1991) puis consul adjoint à Ho-Chi-Minh Ville (1994-1997). De retour à Paris, il rejoindra la direction Afrique et océan Indien puis celle des Nations unies et des organisations internationales. De 2004 à 2008, il sera deuxième conseiller à l’ambassade de France à N’Djamena (où il servira, un temps, sous les ordres de Courbin) avant d’être nommé sous-directeur Afrique australe et océan Indien au Quai d’Orsay. Le mardi 13 septembre 2011, il a présenté ses lettres de créance au président Obiang Nguema Mbasogo, étant reçu au Palais du peuple de Malabo avec les ambassadeurs d’Afrique du Sud, du Nigeria, d’Allemagne, du Brésil et de Grande-Bretagne. C’est tout dire.

Depuis, si les relations diplomatiques de Malabo avec la France sont « normalisées », il n’en est pas de même avec Paris. L’affaire des « biens mal acquis », la curiosité sans limite de la justice à l’égard du patrimoine de la famille Nguema, l’interminable contentieux sur le Prix Unesco-Obiang Nguema Mbasogo… tout cela désespère. Et Malabo s’irrite, jour après jour, que, quoi que fasse la Guinée équatoriale, rien ne trouve grâce aux yeux de « l’autre camp » qui serait celui des « comploteurs » contre le régime en place dans l’île de Bioko (cf. LDD Guinée équatoriale 019/Mardi 4 octobre 2011). Autrement dit, les Français trouvent du charme à la Guinée équatoriale quand ils y font des affaires, mais se montrent d’une rare susceptibilité lorsqu’ils évoquent le mode de production politique d’un pays décidemment pas comme les autres. Absent du G8 à Deauville, le chef de l’Etat équato-guinéen a été invité cependant, la semaine dernière, au G20 à Cannes ; il en a profité pour rendre visite, à Saint-Cloud, à l’équipe de la chaîné télé Africa 24 dont il est le principal sponsor. Mais ce séjour en France s’est fait au pas de charge, sans contacts officiels. La France devient, dans la géopolitique équato-guinéenne, un « mal nécessaire » ; mais un « mal » avant tout et la rancœur est forte entre Malabo et ceux qui, à Paris, lui ont laissé croire que tout était possible dès lors que l’argent était sur la table.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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