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Quand le Cameroun de Paul Biya laissait encore des raisons d’espérer (2/2)

Publié le vendredi 4 novembre 2011 à 15h59min

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Dans les années 1980, on pouvait penser que Paul Biya (au pouvoir depuis le 4 novembre 1982 après avoir été, de longues années, le premier ministre de Ahmadou Ahidjo) allait permettre le changement tant espéré qu’il avait fait théoriser par le « communicateur » français Claude Marti (cf. LDD Spécial Week-End 0148/Samedi 23-dimanche 24 octobre 2004) sous le nom de « Renouveau ». Ce sera une espérance trahie.

Dans les années 1990, c’est dans la radicalisation de l’opposition et la mobilisation de la société civile que le Cameroun placera son espérance. Même illusion. Et le temps passant, le pays va cesser de développer une vision globale de son avenir pour se consacrer, exclusivement, à vivre ou à survivre au jour le jour. Evoquer demain, c’était déjà de la programmation ; parler d’après-demain, c’était carrément de la prospective ; quand à savoir ce qui se passerait le mois d’après, c’était du domaine de la science fiction. La situation économique et sociale du Cameroun était fortement dégradée ; mais on pouvait librement, à la fin des années 1980, discuter avec les responsables politiques, du « dérapage », de la « crise », de la « faillite » de l’économie.

Le 24 janvier 1990, à Yaoundé, j’évoquais avec Sadou Hayatou, le ministre des Finances, l’évolution de l’économie camerounaise depuis sa nomination, deux ans auparavant (4 décembre 1987). Il me disait alors : « Chaque instant est le plus dur ; aucun jour n’est pareil et chaque jour amène son lot de soucis. Et les plus grosses difficultés arrivent toujours le jour où vous y attendez le moins. Il faut, comme me le disait un banquier, avoir une mentalité de gardien de but. On ne sait jamais de quel côté va arriver la balle. Il faut être toujours prêt à parer les coups. Tout ceci pour vous dire qu’en cette période de crise les problèmes ont une certaine ampleur quel que soit le côté où vous vous tourniez ».

Le Cameroun venait, à l’instar d’autres pays moins bien lotis que lui, d’entrer dans une phase d’ajustement structurel sous tutelle du FMI. Il n’allait pas en sortir intact. D’autant plus que Biya, qui avait raté le « Renouveau », digérait mal, au début des années 1990, la montée en puissance d’une opposition qui voulait sa peau et ne cessait de le proclamer haut et fort (c’était d’ailleurs la seule chose qu’elle faisait). Il pensait être un président adulé ; il prenait conscience qu’il était un président contesté. On le présentait comme un technocrate compétent peu soucieux de magouille politique, il s’avérera être tout autant incompétent en matière économique qu’en matière politique sans compter une action diplomatique inexistante. Juste magouilleur. Il en deviendra frustré, aigri et agira de façon à faire en sorte de verrouiller son mode de production politique et d’imposer à tous, y compris à son entourage, sa façon de faire. La mort de son épouse, Jeanne Irène Biya, le 29 juillet 1992, va être l’élément libérateur : le couple s’était marié le 2 septembre 1961 dans la région parisienne ; trente ans de vie commune et des échelons gravis les uns après les autres.

Chantal Vigouroux, épousée moins de deux ans plus tard, va être un élément perturbateur. Biya voudra, dès lors, qu’on ne « l’emmerde » pas avec les problèmes d’intendance politiques, diplomatiques, économiques et sociaux. Le « laisser-faire » prôné par les libéraux va devenir un « laisser-aller » ; le Cameroun va avancer en roue libre et vivre sur ses acquis, ses richesses naturelles, le « dynamisme » de ses « hommes d’affaires »…

Biya était, cependant, en adéquation avec l’air du temps. « Nous vivons dans une société qui a cru que le marché n’avait plus besoin de puissance publique organisatrice et qui le paie au prix d’une crise terrible », commentait récemment Michel Rocard, l’ancien premier ministre français (Télérama - 26 octobre 2011). Le Cameroun est l’expression la plus aboutie de cette illusion mondialiste : le président ne préside pas, le gouvernement ne gouverne pas, le parlement ne parlemente pas, l’opposition ne s’oppose pas… ; il n’y a que les « hommes d’affaires » qui s’affairent.

Biya ne cherche même pas « à faire semblant » ; il est vrai que les Camerounais aspirent, avant tout, au statu quo. « Tout se déroule bien dès lors qu’il n’y a pas d’incidents ni de heurts et que l’on a de quoi manger une fois aujourd’hui », me disaient-il, au lendemain d’une présidentielle dont tout le monde se « foutait » royalement, sachant que ce n’est pas du côté de la « puissance publique » qu’il faut chercher la clé de la solution aux problèmes. Quand on connaît l’histoire et la vitalité de la société camerounaise, il y a de quoi être effaré par ce somnambulisme politique et social qui, aujourd’hui, la caractérise. Et la désespérance dans laquelle est désormais ancré ce peuple est, incontestablement, le plus gros passif qu’il faudra porter au bilan de Biya.

C’est la mort d’Elisabeth Tankeu (LDD Cameroun 059/Mardi 1er novembre 2011) - et la prestation de serment de Biya, demain, jeudi 3 novembre 2011, jour anniversaire de la mort du leader nationaliste Félix Roland Moumié, président de l’UPC, empoisonné à Genève, au thallium, en 1960, par les services secrets français - qui, par contraste, me ramène à cette évocation du Cameroun réel de Biya, bien loin du Cameroun rêvé au début des années 1980. Tankeu, je l’ai dit, était ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire. Pas par hasard mais parce qu’elle en avait la compétence. Elle avait coordonné l’élaboration du Vème plan quinquennal (1981-1986) adopté par l’Assemblée nationale en novembre 1981, tout juste un an avant l’accession au pouvoir de Biya.

Le Cameroun avait alors un taux de croissance de 8 % par an et nul n’imaginait que l’on puisse gérer cette croissance en dehors d’un plan quinquennal. Au Vème plan succédera un plan de stabilisation et de relance économique (1988-1992). Ce qui signifiait que le Cameroun perdait le contrôle de sa politique économique et sociale au profit des institutions internationales. Yaoundé en tirera la conclusion qui s’imposait : le décret du 21 juillet 1994 supprimera purement et simplement le ministère du plan et de l’aménagement du territoire (Minpat) ! Elisabeth Tankeu avait quitté le gouvernement en 1989 pour des activités d’enseignante (à Yaoundé II) et de consultante auprès de la Banque mondiale et de la BAD. De 2001 à 2005, elle sera présidente du conseil d’administration du Bureau central de recensement et d’étude de la population du Cameroun (Bucrep). Un poste loin de l’avant-scène politique mais qui lui permettait de renouer avec son savoir-faire d’économètre et de développer la recherche démographique au Cameroun, un des fondamentaux de la réflexion sur le développement économique.

Mais c’est au sein de l’Union africaine, à Addis Abeba, où elle sera élue commissaire au commerce et à l’industrie qu’elle pourra exprimer son savoir-faire ; en 2008, elle sera reconduite dans cette fonction pour un nouveau mandat de quatre ans. Promotion d’un marché commun africain, stratégie d’industrialisation de l’Afrique, bourse panafricaine des matières premières, code minier africain, chambre africaine de commerce, d’agriculture, d’artisanat et des métiers… Son leitmotiv sera que « tant que chaque pays individuellement va négocier, l’Afrique sera perdante », souhaitant que le continent, à l’instar de la Chine, soit capable d’accéder au « package technologique occidental » afin « de développer son industrie et de se présenter aujourd’hui comme un concurrent sérieux de ses anciens tuteurs ».

Discours de bon sens en contradiction avec les comportements individualistes des Etats et de leurs dirigeants. Cinquante ans après les indépendances, on rêve d’un retour aux plans de développement, non plus nationaux mais sous-régionaux. Mais ce n’est qu’un rêve ; qui va à l’encontre des visions égoïstes des « élites » du continent. Elisabeth Tankeu était, sans doute, une exception !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

Les « révolutions arabes » - que j’ai qualifiées de « révolutions sans révolutionnaires » - répondent à cette façon d’être (« Comportements aussi généreux que précaires, souvent plus sentis que pensés »). C’est la vision que « l’Occidental » matérialiste (au sens marxiste du terme) que je suis peut en avoir ; sans doute aussi ces « élites » arabes formatées dans nos écoles et nos universités. C’est dire que pour comprendre Mustapha Abdeljalil, il ne faut pas s’appeler Bernard-Henri Lévy, surtout si on est né, comme lui, à Beni Saf, en Algérie, au temps de « l’occupation » française, d’un père exploitant forestier en Afrique équatoriale et que, agrégé de philosophie, on a été formé à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Il y a huit mois, Benghazi s’est soulevée, une fois encore, contre le pouvoir de Tripoli. Un acte « plus senti que pensé » pour reprendre les mots de Nassar. Les « Occidentaux » et leurs alliés arabes ont estimé pouvoir surfer sur cette insurrection qui allait dans le sens, pensaient-ils, de leur intérêt. Après la Tunisie et l’Egypte, il s’agissait de ne pas couper les ponts avec les nouvelles générations qui entendaient accéder au pouvoir de l’autre côté de la Méditerranée.

Confluence d’intérêt entre « insurgés » et « Occidentaux » ; il est des moments dans la vie, me disait Jonas Savimbi, leader de l’Unita, à Baïlundo (Angola), voici bien longtemps maintenant, où, lorsqu’on a le dos au mur, il ne faut pas craindre de s’allier avec le diable. Il avait choisi d’accepter le soutien de l’Afrique du Sud de l’apartheid pour lutter contre les « métis » de Luanda soutenus par Cuba et l’Union soviétique. Pour mettre Kadhafi par terre, les « insurgés » ont accepté que les « Occidentaux » bombardent massivement les villes libyennes ; après tout, ce sont eux qui avaient armé le « guide de la révolution » et en avaient fait une icône du terrorisme international sans jamais se soucier de savoir s’il ne terrorisait pas aussi son peuple ; comme si les exactions, ponctuelles, contre des Européens avaient plus de poids que celles, permanentes, contre les Libyens ! Kadhafi est mort.

Les Libyens reviennent à la case départ : merci messieurs ONU et OTAN et bon retour chez vous ; vous avez voulu que nous soyons libres, nous pensons l’être et entendons organiser (ou ne pas organiser) cette liberté comme nous l’entendons. Après tout, il fallait être naïf pour oublier que la Libye est un pays musulman et que l’islam de Kadhafi n’était pas en adéquation avec les préceptes du Coran. Aujourd’hui, tout rentre dans l’ordre (arabo-musulman).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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