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Pouvoir traditionnel : Garder coûte que coûte le mythe, sinon… !

Publié le jeudi 27 octobre 2011 à 02h17min

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Le pouvoir traditionnel. « Un sujet complexe », entend-on dire dans certains milieux politiques. Sa complexité témoigne de son importance et de la nécessité d’en parler. Surtout dans une société comme celle du Burkina où se ’’côtoient’’ pouvoir traditionnel et celui moderne et où il arrive que le premier se montre plus « efficace » pour venir à bout de certaines difficultés. Parce qu’il est complexe, et apparaît par endroits comme lourd à évoquer qu’il faut en parler. Le pouvoir traditionnel, comprenez par-là chefferie traditionnelle et autres gardiens de patrimoine traditionnel commun, est entouré de « tous » les respects que l’on connaît en Afrique.

Même l’avènement des pouvoirs modernes n’a pas sonné son glas. C’est dire qu’à côté des nouvelles valeurs qui conduisent le monde d’aujourd’hui et pénètrent la société burkinabé, le pouvoir traditionnel a encore un rôle important jusque-là. Il incarne des valeurs, réelles ou supposées (chacun est libre de croire ou de ne pas croire, et à ce sujet l’actuel ministre Albert Ouédraogo disait en 2006 lors d’un cours sur la Littérature orale africaine en 1ère année de Lettres modernes : « Vous n’avez rien à perdre en croyant… »).

Dans l’une ou l’autre hypothèse, une chose est sûre : ce pouvoir est une richesse pour la société en ce sens qu’il joue un rôle de régulateur entre les hommes, touche et règle ce qui ne peut l’être par les voies modernes. Sa survie en est aussi le témoignage. Aujourd’hui, à la veille des assises nationales et au moment où des équipes ont pris d’assaut les localités avec les résultats des travaux du CCRP, il n’est pas incommodant de revenir sur la question. On se rappelle que les dernières journées parlementaires du parti au pouvoir (CDP) avaient inscrit cette question à l’ordre du jour avec en conclusion : le sujet est complexe et mérite qu’on approfondisse la réflexion.

Le CGD (Centre pour la gouvernance démocratique), des leaders de la société civile comme le Pr. Luc Marius Ibriga ont déjà donné une position claire sur la question : il faut éloigner ces ’’gardiens’’ de nos valeurs traditionnelles de la scène politique. La responsabilité incombe à la génération actuelle de décider ce que sera le pouvoir traditionnel, cette institution de valeur de notre société héritée des générations lointaines. Ce serait à la limite méchant de notre part de ne pas penser aux conséquences à vue en décidant de faire de ces dépositaires du patrimoine commun de simples citoyens. La chefferie traditionnelle, ce que nous appelons volontiers une des composantes du pouvoir traditionnel, est une responsabilité.

Lourde au regard de son rôle… Il faut la préserver, la consolider, renforcer son rôle. L’éloigner du terrain politique. Coûte que coûte, vaille que vaille. Si l’on décide que le chef traditionnel sera comme tout autre citoyen, on l’aurait décidé en connaissance de cause. Mais. si l’on décide qu’il en soit ainsi, il ne faut pas s’étonner que ce pouvoir ne puisse pas répondre aux besoins escomptés de nos moments difficiles. En réalité, ce pouvoir est d’un ultime recours. Il est autant un facteur d’union qu’il aide à dépasser les clivages sociopolitiques. La crise universitaire de 2008 en est l’une des preuves où face au blocage, les parties se sont référées à ce pouvoir !

Pourtant de grands ’’thèseurs’’ et des textes bien élaborés existent pour supposer résoudre de telles situations difficiles ! C’est dire que quand ça tangue, malgré les institutions, le pouvoir traditionnel reste le dernier ’’recours sûr’’. Sachons donc garder le mythe. Loin de nous l’idée de croire que l’intervention du pouvoir traditionnel pour résoudre des situations à l’amiable est forcément une bonne chose sur toute la ligne, car cela pourrait aussi être des vannes ouvertes à l’impunité. Cette institution n’est certes pas une unité de pensée, une forme intangible d’unité sociale, mais elle impose la tempérance. Elle est notre pouvoir à tous. Le pouvoir est une institution qui incarne l’une des valeurs locales et constitue un soubassement pour la société.

Les « gardiens » du pouvoir traditionnel doivent maintenir le cap de la gestion de cette lourde mission pour se mettre ’’au-dessus’’ de toutes les conséquences que leur entrée dans le cercle politique pourrait avoir sur l’institution et sur toute la société. Ce qui nous lie à cette institution est plus profond... « …C’est une telle image que les uns et les autres gardent et veulent garder de la chefferie », a conclu Albert Ouédraogo lors des grandes conférences en août 1999. Et de poursuivre : « En s’engageant politiquement, les chefs ne sont plus les rassembleurs de leurs peuples. Ils deviennent des partisans, et à ce titre, s’exposent aux désaveux et critiques violentes d’une partie de leur électorat.

Dans la tradition, un chef désavoué est un chef mort. Comment un chef, battu à des élections, peut continuer à être un chef digne de respect ? ». Allons plus loin retrouver ces conseils de la Conférence épiscopale de la Côte d’Ivoire reprise par le même auteur : « Face à la tentation de l’argent, face à la corruption et à la manipulation, restez vigilants et tenez bon pour savoir discerner les vrais intérêts de ceux dont vous avez la charge. Ainsi, vous éviterez la banalisation de nos traditions et cautionnement de certaines pratiques politiciennes qui ne visent pas le bien de la nation mais, au contraire, ternissent votre personnalité et la mémoire des ancêtres que vous représentez parmi nous ». No comment. Le pouvoir traditionnel, ce n’est pas banal. C’est encore moins une faiblesse pour notre société. Ses détenteurs maintiennent la cohésion, le dialogue, la stabilité, dans nos différentes communautés. Ce pouvoir doit toujours garder une « position socio-politique très stricte » vis-à-vis du politique.

C’est bien pour la stabilité et ce sera également un service rendu aux générations futures. Nous devons ’’tous’’ souffrir de laisser cette institution dans son rôle traditionnel. Mieux, il faut travailler à minimiser tout risque de son basculement dans le cercle politique. C’est en quelque sorte un rêve partagé par de nombreux citoyens dans le silence. Il nous appartient, chacun dans sa marge de manœuvre, de faire ce qu’il voudrait que soit la société burkinabé d’aujourd’hui et de demain. La stabilité et la cohésion sociales dont on peut se targuer aujourd’hui ne doivent pas s’arrêter à nous seulement. Le Burkina Faso est, et reste une continuité, de sorte à nous faire obligation de peser sans la moindre complaisance nos actes qui engagent la nation. Et le sort que connaîtra le pouvoir traditionnel à l’issue des cadres de concertation doit incarner notre capacité et surtout notre volonté à regarder loin au-delà de notre propre personne, de notre propre vie. Réfléchissons-y, ce n’est jamais de trop.

Kader PALENFO

Le Progrès

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Vos commentaires

  • Le 27 octobre 2011 à 10:58 En réponse à : Pouvoir traditionnel : Garder coûte que coûte le mythe, sinon… !

    Il est évident que le pouvoir traditionnel doit garder sa place qui est la sienne. Mais, en aucun cas, il ne doit se mêler de politique. Si un chef veut se présenter pour un mandat électif, il devrait démissionner avant, afin d’éviter des conflits d’intérêt et le mélange des genres.

  • Le 27 octobre 2011 à 11:19, par rendak En réponse à : Pouvoir traditionnel : Garder coûte que coûte le mythe, sinon… !

    D’où l’intérêt de tropicaliser la démocratie ! il faut avoir le courage de reconnaître notre spécificité et surtout l’exprimer ! il faut dépasser les discours habituels. il est illusoire de croire que le chef est un citoyen comme les autres. si tel était le cas on ne ferait pas recours à eux dans les situations critiques. l’égalité entre les citoyens garantie par la constitution n’exclut pas qu’une classe de gens ait un statut particulier parce que jouant un rôle déterminant dans la vie sociale. c’est la pauvreté et le manque de considération dans le pouvoir moderne actuel qui amène les chefs à faire la politique pour espérer y trouver du gombo. il faut bien un débat sérieux entre les chefs surtout pour définir clairement quel doit être le comportement du chef vis à vis de la politique et que cela soit constitutionnalisé !

  • Le 27 octobre 2011 à 11:52, par boukaaa ! En réponse à : Pouvoir traditionnel : Garder coûte que coûte le mythe, sinon… !

    Une bonne analyse à l’egard des piliers de la cohesion sociale en Afrique et particulièrement au Burkina Faso.je pense qu’on en tiendra compte.Merci PALENFO.

  • Le 13 décembre 2012 à 18:04, par killian En réponse à : Pouvoir traditionnel : Garder coûte que coûte le mythe, sinon… !

    Qu-est ce que le pouvoir traditionnel ?

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