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Gbagbo et les otages français en Irak : un coup tordu ou une manip franco-ivoirienne ?

Publié le lundi 11 octobre 2004 à 07h32min

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Les prises d’otages sont des opérations de marchandage. Il était évident, dès le départ, que la capture de Chesnot & Malbrunot n’avait pas de lien avec la politique de Paris vis-à-vis des musulmans de France ("la question dufoulard"). Cette opération ne visait qu’à la déstabilisation de la vie politique et de la vie diplomatique française. C’est fait. J’écrivais déjà à la fin du mois d’août (cf LDD Spécial Week-End 0140/Samedi 28-dimanche 29 août 2004) : "L’action menée par l’Armée islamique en Irak n’a rien à voir avec l’Islam mais tout à voir avec la géopolique ".

Chesnot & Malbrunot sont, malheureusement, en train de faire les frais d’une opération politique. Que notre ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, trop technocratique pour imaginer même que ce type d’embrouille politique puisse existe, n’a pas vu venir. Je l’ai également écrit (cf LDD Spécial Week-End 0141/Samedi 4-dimanche 5 septembre 2004) : "Notre diplomatie risque fort, à l’avenir, d’être trimbalée et instrumentalisée au gré des luttes d’influence ".

Que des personnalités extérieures à la diplomatie et aux "services" officiels s’impliquent dans une opération de négociation des otages français en Irak ne surprendra pas. Cela a toujours été le cas. Bien peu se souviennent de "l’affaire Claustre ", dans les années 1970 (cf LDD France 0246/Mercredi 15 septembre 2004). "L’affaire Kaufmann, Carton, Fontaine" est plus récente et a marqué les imaginations : elle s’est dénouée à la veille de la présidentielle de mars 1988 !

Mais dans l’une et l’autre affaire (sans compter les autres, Fleutiaux en Tchéchénie et, dans un registre différent, Albertini en Afrique du Sud - cf LDD Guinée équatoriale Ol/Vendredi 3 septembre 2004), il Y a toujours interférence d’électrons libres et lutte d’influences politiques. Pour une raison simple, c’est qu’il n’y a pas de libération d’otages sans compensation. Et que ces compensations mettent enjeu des sommes considérables qui, au-delà de l’impact politique d’une libération d’otages, motivent les intermédiaires.

L’affaire des otages français au Liban n’a pas encore livré tous ses mystéres mais il y a bien des similitudes entre ce qui s’est passé entre 1985 et 1988 et ce qui vient de se passer. Pour s’en convaincre, il suffit de relire l’accroche qui suivait Une guerre le formidable livre de Dominique Lorentz et la Menace de Pierre Péan dont j’ai déjà évoqué les contenus (cf LDD France 0223/Jeudi 13 mai 2004).

Que Didier Julia ait "mis les pieds dans le plat" dans l’affaire des otages français en Irak ne devrait surprendre personne. Pas même les autorités françaises. Il est familier de ce type d’interférence dans les affaires franco-irakiennes.

Personne ne pouvait croire qu’une personnalité politique française de 70 ans, député sans interruption depuis 1967, déjà mis en cause dans des voyages "inutiles et inopportuns" qui lui ont valu quelques remontrances de la part de Jean-Louis Debré, Jacques Barrot, Edouard Balladur (cf LDD Irak Ol/Mercredi 29 septembre 2004), puisse mener à bien, dans le contexte actuel, une telle opération sans un feu vert au moins officieux de l’Elysée, Matignon et du Quai d’Orsay. Ils reconnaissent d’ailleurs désormais qu’ils ont été informés mais qu’ils n’étaient pas concernés.

En fait, ils ont été débordés par l’initiative de Julia ; ils en ont perçu seulement un des aspects (celui que Julia a perçu lui aussi) ; obnubilés par la préoccupation de résoudre une affaire qui pèse lourd dans la vie politique et diplomatique française, ils n’ont pas vu ou voulu voir ce qu’il y avait derrière le décor. Et que Julia ne pouvait pas, lui aussi manipulé, montrer. Un coup tordu ; ou une manip franco-ivoirienne.

Ce qui peut étonner dans ce dossier, c’est l’irruption soudaine de Laurent Gbagbo dans une affaire bien éloignée de ses préoccupations immédiates. Il convient d’ailleurs de remarquer que cette présence de la présidence ivoirienne dans "l’affaire Julia" est signalée par la presse ; mais guère commentée.

Beaucoup pensent que le chef de l’Etat ivoirien recherchait, dans cette opération, une compensation : ramenant deux journalistes français pris en otage en Irak, il obligeait les médias français à calmer le jeu sur le meurtre et la disparition, en Côte d’Ivoire, de deux autres journalistes français, Jean Hélène et Guy-André Kieffer. - 2 + 2 = O. Cela n’aurait été qu’une lamentable opération. Bien trop simple pour Gbagbo qui n’aime pas les sciences exactes et préfère l’alchimie. En s’impliquant dans cette affaire, il ne s’agissait pas de remettre les pendules à zéro ; il s’agissait de casser les pendules !

L’affaire des otages tombait bien pour Abidjan. Deux ans après le coup de force militaire qui a déstabilisé la Côte d’Ivoire ; un an avant que Gbagbo ne soit plus le président légitime de la République de Côte d’Ivoire (la présidentielle doit être organisée, si tout se passe bien et ce ne sera pas le cas, courant octobre 2005).

Voilà deux ans que Gbagbo est humilié par Paris et la diplomatie française. Les troupes françaises occupent son pays ; il a dû subir Marcoussis ; son entourage est mis en accusation dans la disparition de Kieffer, etc... Plus encore, Il se trouve dans une période difficile. Le Conseil de sécurité a dénoncé "l’absence de progrès dans les domaines clés du processus de réconciliation nationale" et les engagements qu’il a pris à Accra III sont restés lettre morte.

En s’engageant dans "1’qlJaire Julia", Gbagbo trouvait le moyen, à son tour, de ridiculiser (Ségolène Royal trouvera le mot juste en affirmant qu’une "humiliation" a été infligée à notre diplomatie) la diplomatie française (c’était lui qui ramenait les otages français) et de déstabiliser la classe politique française ; par ailleurs, il obligeait les journalistes français, reconnaissants, à "fermer leur gueule" sur les affaires de Côte d’Ivoire.

Il était gagnant sur toute la ligne. D’autant que l’affaire était menée, non pas par les socialistes français (je rappelle que le EE.LdL-Gh_-Q-J_.s.t...1oJ.l_ membre rk-,rJmerrJûfifllJ.çzle Nciq]jste) , mais par une éminente. personnalité de l’UMP, député depuis 1967 : sous De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand et Chirac. Une belle alliance pour le paria de l’action diplomatique française.
Ce n’est pas Gbagbo qui a raisonné ainsi. Ce sont les Français, compagnons de route de Julia. Qui, eux aussi, ont des comptes à régler avec la classe politique française. Pas Julia ; il a 70 ans et est bien plus idéaliste (pour ne pas dire idéologue) qu’aventurier.

Mais quelques "éminences grises" (ou se voulant telles) des relations franco-africaines. Je rappelle que dans les histoire d’otages au Moyen-Orient, un pays africain est toujours impliqué. Dans "l’affaire Kaufmann, Carton, Fontaine ",c’était le Gabon et Bongo (compte tenu de la dimension nucléaire - et le Gabon est producteur d’uranium - du dossier). Et que l’on y retrouve toujours quelques amis des chiites libanais qui peuplent autant l’Afrique (notamment la Côte d’Ivoire) que le Liban.

Qui a concocté cette opération de sauvetage des otages qui visait au naufrage des relations diplomatiques françaises ? Il fallait être introduit dans la sphère présidentielle ivoirienne pour convaincre Gbagbo d’envoyer un Grumman présidentiel au Bourget pour embarquer les "Pieds Nickelés" des affaires franco-ivoiro-irakiennes à destination du Moyen-Orient. Julia a joué les interfaces entre Paris, Damas et Bagdad.

Qui a joué les interfaces entre Paris et Abidjan ? Car si Julia a un CVet une carte de visite qui tient la route, ce n’est, semble-t-il, pas le cas de ceux qui sont impliqués dans cette opération. La presse a cité les noms de Philippe Brett et Pierre Girard, son partenaire au sein de l’ Qfdic (l’épouse de Julia est née également Girard).

Il faudrait y ajouter Philippe Evano, professeur d’histoire à la Sorbonne, Jean-Pierre Camouin, sénateur UMP, Bruno Carnez un ancien de l’Unesco. Du côté de leurs interlocuteurs ivoiriens, la presse évoque les noms de Moustapha Aziz, "marchand d’armes" pressenti pour rejoindre la représentation ivoirienne auprès de l’Unesco, et Moïse Koré, l’habituel évangéliste de service.

Reste à savoir qui sont vraiment ces hommes et ce qui a les motivé. On s’apercevra sans alors que cette opération a été non seulement un coup tordu mais aussi une manip franco-ivoirienne.

Jean-Pierre béjot
La dépêche Diplomatique

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