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France-Libye 2011 : La reconstruction après la démolition !

Publié le mercredi 12 octobre 2011 à 20h18min

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Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, s’envole demain (mercredi 12 octobre 2011) pour Tripoli avec une flopée de représentants d’entreprises françaises. Parce que « les dirigeants libyens sont favorablement disposés et [que] les entreprises sont mobilisées » ; sans oublier que « c’est un pays qui a un immense potentiel, y compris dans le tourisme ».

Une façon comme une autre de dire, d’une part, qu’il faut « battre le fer quand il est chaud » ; et d’occulter, d’autre part, que Total a été, le 23 septembre 2011, la première compagnie étrangère à reprendre la production de pétrole (dans le contexte des « révolutions arabes » ça fait toujours mauvais genre même s’il faut bien produire du pétrole quand on ne produit rien d’autre). Lellouche a intérêt à se dépêcher ; même Le Figaro, pourtant peu enclin à critiquer la gestion de Nicolas Sarkozy, titrait récemment (6-7 août 2011) sur « l’état calamiteux » du commerce extérieur de la France. Et cela ne va pas en s’améliorant : l’estimation de notre déficit commercial pour 2011 tourne autour de 66 milliards d’euros, une quinzaine de milliards de plus qu’en 2011 !

Autant dire que Lellouche, qui a été (dans sa période pré-sarkozienne) un éminent spécialiste des questions de défense et de géopolitique, peut se réjouir que la France expédie ses canonnières au large de la Côte d’Ivoire et de la Libye : en surfant sur nos connexions politico-militaires avec les nouveaux maîtres de l’une et de l’autre, la France peut ainsi s’imposer dans les programmes de reconstruction. Nous ne sommes pas les seuls et chacun avance ses arguments pour justifier la course aux retombées économiques. Même la Tunisie « n’entend pas passer à côté des opportunités qui se profilent », argumentant que « l’économie tunisienne a assumé un lourd fardeau en accueillant 900.000 réfugiés libyens ».

Il y a déjà un bon bout de temps que les entreprises françaises frétillent d’allégresse à l’idée d’aller construire une nouvelle croissance sur les sables libyens. Le 6 septembre 2011, elles étaient près de 400 à participer à la conférence organisée par le MEDEF et la Chambre de commerce franco-libyenne, sur « La Libye en septembre 2011 : le Conseil national de transition et ses projets ». Lellouche y participait ainsi que l’ambassadeur François Gouyette, chef de la Cellule Libye au ministère des Affaires étrangères, et Jacques de Lajugie, ministre conseiller pour les affaires économiques, chef du service économique régional pour le Moyen-Orient et représentant des donateurs de l’OCDE auprès du comité directeur du « mécanisme financier temporaire » pour la Libye ; Antoine Sivan, quant à lui, envoyé spécial de la France auprès du CNT, était en liaison téléphonique depuis Benghazi. C’était tout juste au lendemain de la tenue à Paris de la « Conférence de soutien à la Libye nouvelle » (1er septembre 2011) et avant que Sarkozy et David Cameron, Premier ministre britannique, aillent s’exhiber sur la côté libyenne, à Tripoli et à Benghazi.

La « Libye nouvelle » est un pays sans gouvernement (pas même provisoire), la guerre fait encore rage à Syrte et à Bani Walid, la situation sécuritaire n’est toujours pas stabilisée et personne ne sait où se trouve le « guide de la révolution »… mais les entreprises sont déjà à l’œuvre. Pas le temps d’attendre, le déficit commercial se creuse… !

Lellouche, Gouyette, Lajugie, Sivan, c’est le carré d’as de la « politique libyenne » de la France. Qui doit faire la démonstration que la stratégie de Sarkozy était non seulement la bonne (virer Kadhafi - ce qui n’est pas encore fait - et instaurer la démocratie - ce qui n’est pas encore fait - sans pour autant ouvrir la porte aux islamistes radicaux - ce qui n’est pas encore fait) mais que, plus encore, elle est « payante » en termes de business. Or, en cette matière, il faut occuper le terrain avant que les rapports de force politiques ne puissent s’exprimer pleinement.

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer le parcours de Pierre Lellouche, analyste devenu politique, « chiraquien » cruellement déçu par Jacques Chirac (cf. LDD France 062/Lundi 1er juillet 2002), « sarkozyste raisonné » - de la même façon qu’il se qualifiait « d’atlantiste raisonné » - chargé de mission sur la Turquie, représentant spécial de la France pour l’Afghanistan et le Pakistan (cf. LDD Afghanistan 004 à 009/Vendredi 6 à Vendredi 13 mars 2009), enfin - on ne peut pas passer sa vie à regarder passer les trains et ne jamais monter dedans - secrétaire d’Etat aux Affaires européennes et, désormais, au Commerce extérieur. Lellouche n’est pas un naïf en matière de relations internationales. Il sait que si « la France bénéficie naturellement de l’image d’un pays qui a aidé à la libération de la Libye », cette image est volatile, que « les cadeaux politiques ne viendront pas compenser les écarts de compétitivité ou de compétence » et que la concurrence sera forte, Tripoli étant l’objet de toutes les convoitises. Aux affaires européennes, il avait touché du doigt (avec Kadhafi voilà un an) le rôle que jouait la Libye comme « pôle de fixation » (c’est un euphémisme) de l’émigration africaine vers les pays de l’Union européenne (Kadhafi réclamait alors 5 milliards d’euros par an à l’UE pour « fixer » les émigrants africains, expliquant que cet argent était destiné au « développement de l’Afrique »). Le souci de Lellouche est de « fixer » durablement les bons interlocuteurs. Pas simple, sans institutions, sans gouvernement légal, la Libye n’est qu’un protectorat où des individus s’efforcent de mettre en forme une économie informelle où tous les coups sont permis !

L’ambassadeur François Gouyette connaît bien la Libye - où il avait débuté sa carrière de diplomate en 1981-1983 avant d’y être nommé ambassadeur fin 2007 (cf. LDD Libye 032/Lundi 7 janvier 2008) - et le monde arabe (il a été en poste à Djeddah, Damas, Ankara, ambassadeur à Abu Dhabi, ambassadeur chargé du processus euro-méditerranéen). Le 26 mai 2011, lors du séminaire organisé par Jean-Pierre Chevènement (« Un printemps arabe ? »), il avait reconnu qu’il « y a incontestablement une mouvance islamique importante sur la scène politique en Libye » ajoutant : « « A Tripoli, il était totalement impossible de voir des Frères musulmans. Or, demain, ils seront là. Ce ne sont évidemment pas les gens d’Al Qaïda qui infiltrent le CNT, comme la propagande de Kadhafi le prétend. Pour autant, il faudra, dans cette société profondément religieuse, voire bigote, qu’est la société libyenne, prendre en compte l’importance de l’islam politique des Frères ».

Jacques-Emmanuel de Lajugie n’est pas, lui non plus, un enfant de chœur. IEP-Paris, ENA, ancien de la Coface, conseiller financier pour le Proche et le Moyen-Orient à la direction du Trésor, il a été le patron de la Direction des relations économiques extérieures (DREE) de 1996 à 1998 (nommé par Chirac, il a été « démissionné » quand Dominique Strauss-Kahn était ministre de l’Economie pour avoir griffonné en marge d’une note de Strauss-Kahn sur la « moralisation de la vie publique » : « Voilà une occasion pour DSK de se refaire une vertu… » ; c’était en 1997 !). Nommé le 4 décembre 2006 directeur du développement international de la Délégation générale pour l’armement (DGA), il vient d’être promu ministre conseiller pour les affaires économiques et chef de service économique ayant compétence sur la zone Moyen-Orient.

A ce trio de choc (chacun sait que les « Trois mousquetaires » étaient quatre), il faut ajouter Antoine Sivan, envoyé spécial de la France auprès du CNT. Ils ont pour mission de faire de la France un partenaire économique et commercial de premier rang de la « Libye nouvelle ». Mission impossible ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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