Cependant, Chirac est bien placé pour savoir que le rayonnement d’une langue ne peut se maintenir et se développer par de simples incantations nostalgiques sur son passé. En fait, les appels de Chirac en faveur d’une mobilisation pour la défense de la langue française ne sont qu’un prétexte pour exhumer le contentieux entre la France et les USA à propos de l’Irak, cette "boîte de pandore" que Bush a ouverte et qu’il éprouve des difficultés à refermer. Il a donc choisi l’opportunité de cette visite pour revenir à la charge.

Au-delà donc de cet appel à la sédition sur le plan culturel, c’est tous les fondements de la diplomatie américaine dans le monde, tels que les conçoit Bush, qui sont mis en cause. En fait, Chirac n’a jamais fait mystère de son hostilité vis-à-vis des velléités unipolaires des USA.

Mais, le moment choisi et le profil des pays visités pour démontrer, avec des accents gaulliens, que la France entend rester dans sa détermination à empêcher l’Amérique de tourner en rond et de mener le monde entier dans la barque hasardeuse de Washington, ne sont pas fortuits.
Le Vietnam, à n’en pas douter, était une vitrine idéale pour le président français en vue de fédérer tous ceux qui refusent le diktat actuel des Etats-Unis.

La France d’abord, pour s’être fait humilier dans les marécages de Dien-Bien-Phu, sait à quel point ce pays est attaché à son indépendance. Les USA, aussi, enlisés dans les marécages de l’Annam et du Tonkin et ridiculisés par le Viet-Cong.

Quant à l’Empire du Milieu, la Chine, elle ne pouvait qu’écouter avec une oreille attentive, les airs anti-américains de la France au moment où les Etats-Unis apportent leur soutien multiforme aux velléités indépendantistes de Taïwan, considérée par Pékin comme sa "province" naturelle.

Le moment choisi par le président français pour démontrer que la France entend rester la conscience d’un monde qui refuse de marcher au son de la fanfare américaine, n’est pas non plus fortuit. Certains spécialistes en arts martiaux prétendent que la meilleure façon de terrasser son adversaire au judo est de s’appuyer sur sa force. Cependant, dans ses rapports conflictuels avec Bush pour cause de guerre en Irak, Chirac semble utiliser actuellement la stratégie inverse.

Il entend exploiter à fond la mauvaise posture actuelle du locataire de la Maison Blanche dans le secret espoir certainement de le mettre en difficulté électoralement, au moment où, à tort ou à raison, on estime que Bush ne serait pas étranger à la non libération des otages français.

Toujours est-il que les propos anti-américains pour ne pas dire anti-Bush de Chirac interviennent à un moment où celui qui sollicite un second mandat fait non seulement l’unanimité contre lui sur le plan international, mais également aux USA où le doute commence à s’installer dans l’esprit de beaucoup d’Américains qui sentent confusément que la politique actuelle de leur pays risque de les conduire dans le cycle infernal d’un anti-américanisme sans retour. En tout cas, il n’y a pas meilleur instrument de mesure de cette lassitude des Américains que la dégringolade de la cote de popularité de Bush au fur et à mesure que s’approche l’élection présidentielle.

En effet, selon les résultats de récents sondages, Bush mordrait la poussière si les citoyens des autres nations devaient prendre part au scrutin. Sur le plan intérieur, après le premier face-à-face télévisé entre les deux candidats, Kerry semble avoir eu le dessus aux yeux de l’opinion américaine. Piètre performance pour un président en exercice contraint à la défensive face à un adversaire censé être un néophyte en politique intérieure et internationale.

En tous les cas, ce fut un président au profil bas, au raisonnement presque limité et qui n’a pu mettre à profit son expérience et l’avantage d’être au pouvoir pour contrarier son adversaire. C’est donc face à un président fragilisé, entouré d’une équipe obsédée par l’après-élection, bousculé par ses adversaires démocrates, que Chirac a décidé de sonner la mobilisation de tous ceux qui, à des degrés divers, (défenseurs du droit international, de la liberté, victimes des guerres d’occupation, etc), en ont assez de cette injustice planétaire.

Réussira-t-il sa mission d’aiguilleur de la conscience de ceux qui, en Amérique, croient encore en Bush ? Peu importe, car dans ce monde qu’on voudrait globaliser et attacher à la botte des Etats-Unis, il fallait au moins une voix discordante. C’est vrai que l’impact de la position française peut être limité du fait qu’elle agit seule, certains de ses alliés traditionnels comme l’Allemagne ou circonstanciels comme la Russie, ayant rompu les rangs.
N’empêche que cette position courageuse de la France est à saluer car sans elle, que deviendrait le monde ?

Mais le monde présenterait un meilleur visage si le président français accompagnait ses thèses tiers-mondistes et d’avocat des désespérés, d’actes concrets sur le terrain de ses rapports avec certaines de ses ex-colonies. En tout cas, il ne donne pas le bon exemple dans son précarré africain. C’est le cas ivoirien et de bien d’autres pays où il n’hésite pas à pactiser avec des dictateurs et à entretenir des rapports exécrables avec eux.

Sur ce point, Bush pourrait lui répliquer en lui demandant de balayer d’abord sa propre cour où s’amoncellent les immondices nauséabondes des coups tordus.

Le Pays