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Centenaire de la République de Chine : L’autre Chine, Taiwan.

Publié le vendredi 7 octobre 2011 à 18h57min

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Pour les « Occidentaux » de ma génération, la République de Chine, autrement dit Taiwan (mais on disait alors Formose, évolution de sa dénomination portugaise : Formosa), est née en 1949 à la suite de la victoire des communistes chinois conduits par Mao Tsê-tung (c’était l’orthographe employée par ma génération) face aux nationalistes chinois conduits par Chiang Kai-shek qui, battus militairement, se réfugièrent dans cette île (36.000 km² soit la superficie des Pays-Bas ou de la Guinée Bissau) qui sépare la mer de Chine orientale de la mer de Chine méridionale.

Annexée en 1895 par les Japonais, l’île de Formose avait été rendue en 1945 à la Chine qui y exerçait sa souveraineté depuis la fin du XVIIème siècle. Début de l’histoire. Ancrée dans la sphère « occidentale » - c’était le temps de la « guerre froide » et, plus encore, des conflits en Asie du Sud-Est (Corée, Indochine…) - Formose devint rapidement un modèle de développement économique et technologique. Ce n’était pas la Chine rurale et archaïque ; c’était la Chine industrielle et moderne. La croissance économique de Formose, devenue Taiwan, ne fascinera pas « l’Occident » autant que les soubresauts révolutionnaires de la Chine rouge, celle de Mao. Taiwan n’était, pensait-on, qu’une excroissance de l’Amérique du côté de l’Asie, moins exotique encore que ne l’était le Japon.

Histoire simple ; mais tronquée. Qui fait l’impasse sur le mouvement nationaliste dirigé par Sun Yat-sen, qui, dès la fin du XIXème siècle, voulait une Chine moderne et unifiée alors que l’empire mandchou était partiellement soumis aux impérialismes « occidentaux » (Amérique, Angleterre, France…) et confronté aux ambitions de ses voisins (Corée, Japon…). Le 10 octobre (le « Double-Dix ») 1911, les nationalistes l’avaient emporté à Wuchang et renversaient le régime mandchou, proclamant la République chinoise le 1er janvier 1912. Sun Tat-sen en sera le premier président, la capitale étant implantée à Canton, sa ville natale. Le Kuo-min-tang va alors diriger le pays avant de devoir faire face à l’insurrection communiste. Chiang Kai-shek, qui avait pris la suite de Sun Yat-sen après la mort de celui-ci (1925), va installer son gouvernement à Nankin. Luttant bientôt sur deux fronts : les communistes d’une part, les Japonais d’autre part (dont l’expansion en Chine se développa dès 1931). En août 1945, le Japon capitulera.

A Chongqing (autrefois Tchoung-King), dans la province du Sichuan, où le gouvernement nationaliste s’était replié depuis 1938, Chiang Kai-shek et Mao Tsê-tung, unis un temps contre les Japonais, vont tenter de mettre sur pied une conférence politique consultative. Leur échec va provoquer une des plus implacables guerre civile de l’histoire contemporaine. L’armée rouge va l’emporter sur l’armée nationaliste.

Le 1er octobre 1949, alors que la République populaire de Chine est proclamée, Chiang Kai-shek devra finalement céder le terrain continental et s’installer à Formose. Mais tandis que 600 millions de Chinois allaient découvrir les joies (et surtout les peines) de la dialectique maoïste, 10 millions de Taiwanais allaient faire de leur île la plus belle pépite économique de toute l’Asie. Pendant deux décennies, Taïwan sera ainsi la Chine sur la scène mondiale ; jusqu’à son exclusion de l’Organisation des Nations unies (ONU), le 25 octobre 1971, au profit de la République populaire de Chine.

La République de Chine est ainsi une des plus vieilles républiques au monde. En 1910, le monde ne comptait que 53 Etats indépendants dont 5 en Asie (comprenant le Proche et le Moyen-Orient) : Chine, Japon, Perse, Siam, Turquie. C’est dire que le « père de la République », fondateur de la Chine moderne, Sun Yat-sen, « philosophe et révolutionnaire », était un précurseur dont la pensée politique a été, en « Occident », occultée par la connexion de Chiang Kai-shek, son successeur au pouvoir, avec les Américains. Un siècle après la fondation de la République de Chine, Taiwan se retrouve isolée sur la scène internationale : 23 pays seulement (dont des petits Etats d’Amérique centrale - Caraïbes - et du Sud) ont maintenu des relations avec Taïpeh dont 4 en Afrique : Burkina Faso, Gambie, Sao Tomé & Principe, Swaziland. Deux autres pays africains ont ces dernières années choisi de basculer dans le camp de Pékin : Sénégal et Tchad ; l’Afrique du Sud (post-apartheid, au temps de Nelson Mandela), avait, quant à elle, rompu avec Taïpeh le mercredi 27 novembre 1996.

Etant, historiquement, un des cinq membres fondateurs de l’ONU, la République de Chine a vécu comme une injustice son exclusion au profit de la République populaire de Chine. Ce qui se comprend. Désormais, l’action diplomatique de Taïpeh vise à réintégrer Taiwan dans la communauté internationale (Jeux olympiques, OCDE, Gatt puis OMC, etc.) et, depuis 1993, il s’agissait essentiellement de revenir au sein des Nations unies (où il y a deux Corées et où il y avait, autrefois, deux Allemagnes). Plusieurs arguments étaient avancés. Tout d’abord, après avoir considéré la Chine « communiste » comme « rebelle », Taïpeh a, à compter de 1991, rompu avec cette position : la République populaire de Chine existe tout comme la République de Chine (ce que le président Ma Ying-jeou appellera, quand, après son élection en 2008, les relations avec Pékin vont évoluer, la « non-dénégation mutuelle »), chacune avec son territoire. Ensuite, Taiwan compte 23 millions d’habitants, ce qui la situe dans le Top 50 démographique mondial (cette donnée ne prend pas en compte l’importante diaspora taiwanaise).

Enfin, le PNB/hab. place Taiwan parmi les « pays très riches », ce qui n’est pas un indicateur négligeable dans le contexte de mondialisation actuel. Comme le notait Frederick Tchien, ministre des Affaires étrangères dans les années 1990 : « La République de Chine est la seule nation ayant un territoire, une population et une puissance économique d’une certaine dimension à avoir été exclue des Nations unies ». Cette stratégie de retour au sein de l’ONU, à cette époque, était d’ailleurs « soft » : ni réadmission ni admission mais « permission » à la République de Chine de « participer » aux activités de l’ONU, une « institution qui se montre de plus en plus apte à jouer le rôle pour lequel elle a été créée » (Frederick Tchien - Géopolitique - été 1994).

L’apaisement des relations entre Taïpeh et Pékin, pour des raisons économiques autant que diplomatiques, a des effets collatéraux. Taiwan va fêter, dans quelques jours, le centenaire du « Dix-Dix », événement fondateur de la première république constitutionnelle d’Asie ; aussi les Taiwanais s’identifient, désormais, à des… Taiwanais et redoutent que les « relations spéciales » entre Taïpeh et Pékin ne débouchent sur une réunification à laquelle est opposé le DPP, parti d’opposition au pouvoir de 2000 à 2008 avec une ligne politique « indépendantiste ». Il est symbolique que ce soit à Chongqing, capitale du gouvernement nationaliste pendant la guerre sino-japonaise, qu’ait été signé, le mardi 29 juin 2010, l’accord cadre de coopération économique (ECFA) qui vise à plus d’intégration entre les deux économies.

Taiwan représente aussi un enjeu géopolitique considérable pour Pékin dont 90 % du commerce est assuré par voie maritime : son accès au Pacifique est verrouillé par une barrière d’archipels qui va du Japon aux Philippines ; le détroit de Bashi qui sépare Taiwan des Philippines constitue la seule voie d’accès significative vers le Pacifique ! Ajoutons que la revendication de Pékin sur Taiwan s’inscrit dans sa politique d’appropriation du plateau continental dont les ressources pétrolières et sous-marines ne sont pas encore clairement définies ; mais le flou du statut international de Taiwan favorise toutes les spéculations…

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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