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Berlin veut « ouvrir un nouveau chapitre » dans les relations de l’Europe avec l’Afrique (3/3)

Publié le mercredi 5 octobre 2011 à 18h48min

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Le document intitulé « Allemagne et Afrique : la stratégie du gouvernement fédéral », publié le 15 juin 2011, est largement consacré au développement économique du continent sous un intitulé sans ambiguïté : « Exploiter ensemble des possibilités ». Selon Berlin, les pays africains sont parvenus « à créer de bonnes conditions pour une croissance économique durable » et l’Allemagne estime à 300 millions de personnes « les classes moyennes africaines dotées d’un fort pouvoir d’achat » (ce qui me semble une vision optimiste).

Le gouvernement fédéral a donc pour vocation d’aider les entreprises allemandes à faire face à la « concurrence accrue » qui caractérise les marchés africains, notamment celle des « pays influents [sic] comme la Chine et l’Inde ». Plus de 600 entreprises allemandes employant 146.000 personnes seraient implantées en Afrique sans que Berlin précise « qui » et « où » ; mais le document note que « sur 54 pays africains, la majeure partie du commerce extérieur allemand se réparti entre cinq pays seulement : l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Nigeria, la Tunisie et l’Algérie » (Nigeria et Algérie fournissent 18 % de son pétrole tandis que l’Afrique du Sud représente 34 % de ses achats de houille). Une stratégie économique guère innovante : « La politique africaine de l’Allemagne entend contribuer, grâce au commerce, aux investissements et au développement économique, à faire croître la prospérité dans les pays africains ». Le vecteur de cette prospérité étant le « secteur privé » ; le document rappelle les « nombreux instruments de la promotion des affaires économiques extérieures » (notamment la GTAI - Germany Trade and Invest) mises en place, l’impact du réseau diplomatique, les bureaux de représentation des chambres de commerce…

La priorité de Berlin est le développement des infrastructures énergétiques, secteur pour lequel elle revendique « des compétences clé ». L’Allemagne soutient « l’initiative Desertec » lancée voici deux ans et dont Guido Westerwelle, ministre des Affaires étrangères, dit qu’elle « permettra de fournir aux pays industrialisés de l’électricité propre en provenance de régions désertiques » (c’était, voici quelques mois, au lendemain de l’annonce par Berlin de la sortie du nucléaire d’ici à 2022). Ce projet, imaginé par Peter Höppe, directeur du département de recherches en géorisques de Munich Ré, numéro un mondial de la réassurance, vise à approvisionner l’Europe en électricité « verte » (production de 15 % des besoins en électricité de l’Europe d’ici à 2050) grâce à l’implantation de centaines de centrales thermo-solaires (technologie du « Concentrating Solar Power - CSP ») dans les pays qui bordent le Sahara, et du transport de l’électricité produite par un réseau de lignes de courant continu haute tension. 400 milliards d’euros d’investissements sur quarante ans ! Le lundi 13 juillet 2009, à Munich, une douzaine d’entreprises allemandes, ont ainsi créé Desertec Industrial Initiative chargée du « business plan » du projet. Mais la liste des pays africains concernés : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Soudan, Tchad, Niger, Mali, Mauritanie, laisse percevoir le handicap majeur de ce projet : l’interruption de la transmission d’électricité vers l’Europe serait chose facile ; et même les promoteurs de Desertec soulignent que « l’exemple du gaz montre bien à quel point le transport du courant peut être utilisé comme instrument du pouvoir ».

Il n’y aura que les mauvais esprits pour penser que l’intérêt que Berlin porte aujourd’hui à l’évolution de l’Afrique a un quelconque rapport avec la nécessité de stabiliser politiquement la région au Nord du 18ème parallèle dans la perspective de la mise en place de Desertec, projet auquel adhère la chancelière allemande Angela Merkel : c’est un projet, a-t-elle affirmé, qui « conviendrait à merveille à la stratégie méditerranéenne de l’Union européenne » et qui mériterait d’être subventionné par Bruxelles (le commissaire européen à l’énergie est, par ailleurs, un ressortissant allemand : Günther Oettinger ; ce qui arrange bien les choses). Les Verts allemands et Greenpeace soutiennent, eux aussi, ce projet. A noter que c’est en Egypte, au Caire, que sera organisée, en novembre 2011, la grande conférence annuelle de Desertec, qui dispose d’ores et déjà d’un bureau à… Tunis.

« L’Afrique est importante pour l’Allemagne, souligne le document. La coopération renforcée avec ce continent voisin est dans notre intérêt mutuel. Les Etats d’Afrique sont nos partenaires pour la gestion des problèmes internationaux urgents ainsi que pour l’établissement et la sauvegarde de la paix et de la sécurité. Ils sont nos partenaires pour le règlement des questions mondiales, telles que le changement climatique, la migration et la sécurité alimentaire. Ils le sont aussi comme sites économiques avec des marchés en plein essor, une classe moyenne de plus en plus nombreuse et des entrepreneurs innovants. Enfin, ils sont nos partenaires en raison de leur diversité culturelle et sociale ». Ce plaidoyer pourra étonner. Berlin entend, en la matière, « parler d’une seule voix » ; autrement dit : « le gouvernement fédéral garantit, à travers une étroite collaboration entre les ministres fédéraux ainsi qu’entre la Fédération et les Länder, une politique allemande homogène à l’égard des Etats d’Afrique […] Le gouvernement fédéral voudrait que l’action menée au titre de sa politique africaine soit plus homogène. Le but est d’établir une plus grande cohérence entre les différents champs d’action politiques, c’est-à-dire entre la politique étrangère et de sécurité, les politiques agricole, commerciale, environnementale, ainsi qu’entre la politique éducative, de recherche et de développement ». Angela Merkel s’est d’ailleurs rendue en Afrique noire (Kenya, Angola et Nigeria), en juillet 2011, pour faire la promotion de ce nouveau concept diplomatique : « Allemagne et Afrique ».

On pourrait penser que le discours de l’Allemagne sur l’Afrique est un discours de circonstance. Il est vrai que la visibilité de la République fédérale d’Allemagne sur le continent africain reste faible malgré la présence, remarquable, du Goethe Institut (qui fête ses 60 ans cette année) et, à Paris (qui demeure, malgré tout, la capitale de l’Afrique noire francophone), la mise en place d’un « espace africain » au sein du CIDAL, le Centre d’information et de documentation sur l’Allemagne (à noter que l’Afrique n’est pas non plus étrangère à Reinhard Schäfers, l’ambassadeur à Paris, qui a été en poste à Mogadiscio de 1982 à 1985). Mais, dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies, le 28 septembre 2011, « WW » a réaffirmé que le monde avait « un intérêt élémentaire à ce que les bouleversements au Sud de la Méditerranée soient couronnés de succès. Nous, Allemands, a-t-il ajouté, offrons notre assistance pour : un nouveau départ en Egypte et en Tunisie, des réformes au Maroc et en Jordanie, un renouveau en Libye après la chute du dictateur. Chaque pays, chaque société suivra son propre cheminement vers la modernité, par le biais de réformes ou de révolutions. Nous, Allemands, voulons apporter une aide active. Une aide qui portera sur la mise en place d’une justice indépendante, de médias divers et variés, d’une société civile pleine de vie, d’un processus constitutionnel et d’un travail sur le passé ».

On le voit, beaucoup d’ambitions à l’international (et pas seulement dans un axe Ouest-Est mais aussi Nord-Sud) même si on peut s’étonner de l’évocation du Maroc et de la Jordanie quand l’Algérie, par exemple, est absente de cette énumération (la Syrie, la Palestine, Israël, l’Afghanistan, la Corne de l’Afrique sont des sujets plus ou moins longuement traités par ailleurs dans ce discours). Mais, manifestement, il se passe quelque chose du côté de Berlin en ce qui concerne l’Afrique et l’Afrique devrait en être consciente ; pour en bénéficier.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêch Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 5 octobre 2011 à 21:32, par Beton En réponse à : Berlin veut « ouvrir un nouveau chapitre » dans les relations de l’Europe avec l’Afrique (3/3)

    que l´on ne nous parle pas de nouveau chapitre et d´ancien chapitre...notre naiveté est entrain de creuser notre propre tombe...nous savons tous qu´il ya actuellement une crise menacante en Europe et que tous ces beaux parleurs n´ont eu , n´ont et n´auront qu´un seul but en Afrique : nous extraire tous nos biens , quelque soit la methode...autrefois c´etait avec des chaines et des fouets, aujourd´hui cest a travers des languages diplomatiques...Qui ne sait pas qu´en Afrique nous avons d´immenses potentialités !!!...sont t´ils eux des méssis pour nous montrer la voix du developpement ?...c´est plusue naif de penser que celui qui ta enchainé hier ,a affamé tes enfants, veuille aujourd´hui de ton epanouissement...et tant que nous ne briserons pas ce contact avec ses imperialistes d´occidentaux ,(des hommes qui se nomment royalement les civilisés et traitent les autres d´indigenes),il ny aura point de developpement pour l´Afrique !!!...

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