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Consécration pour Yamoussoukro où Alassane D. Ouattara installe la Commission dialogue, vérité et réconciliation.

Publié le mercredi 28 septembre 2011 à 20h23min

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Onze mois après le premier tour de la présidentielle 2010 (31 octobre 2010), et bien des péripéties particulièrement dramatiques, c’est à Yamoussoukro que la République de Côte d’Ivoire, sous la conduite de son président, Alassane D. Ouattara, entend renouer avec son passé. Hier, mardi 27 septembre 2011, s’est tenu dans la « capitale » ivoirienne un conseil de gouvernement sous l’autorité du Premier ministre Guillaume Soro.

Ce matin, mercredi 28 septembre 2011, ADO a présidé le conseil des ministres et cet après-midi, à 15 h 30, il va présider la cérémonie d’investiture de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) dont il a confié la responsabilité à Charles Konan Banny. C’est dans le cadre de la Fondation Félix Houphouët-Boigny que se déroulent ces manifestations. Il s’agit non seulement d’avancer dans la reconstruction et la réconciliation mais aussi de renouer avec les symboles fondateurs de la Côte d’Ivoire. Et Yamoussoukro, le village du « Vieux », en fait partie. Laurent Gbagbo l’avait compris qui avait tenté une OPA sur le pays des Akouè* sans se soucier, pour autant, des Akouè eux-mêmes. ADO a remis les pendules à l’heure. En Afrique, il ne saurait y avoir de modernité si elle ne prend pas en compte la tradition. Ce serait vouloir marcher au pas avec un seul pied !

Ce deuxième débarquement (après l’investiture du 21 mai 2011) du « tout Abidjan » à Yamoussoukro (on parle de 2.000 invités !) consacre « Monsieur 83,4 % ». C’est le score en faveur de Ouattara réalisé à Yamoussoukro lors du deuxième tour de la présidentielle, le 28 novembre 2010. Un score imputable en partie au patient travail de terrain mené par Augustin Thiam, un électron libre de la diaspora ivoirienne qui, engagé tardivement en politique a choisi, d’emblée, le camp de Ouattara au plus profond du creux de la vague pour l’ex-premier ministre d’Houphouët-Boigny. Directeur de campagne du département de Yamoussoukro, Thiam a été promu gouverneur du district de Yamoussoukro sitôt Gbagbo capturé, et intronisé, au cours de l’été 2011, chef du canton Akouè sous le nom de règne de Nanan Boigny N’dri III.

Ce qui pourrait relever de l’anecdotique s’ancre, en réalité, dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Il y a un an (21-25 octobre 2010), à Yamoussoukro, étaient célébrées les funérailles de Nanan Yablé Kouadja II qui assurait l’intérim de la chefferie du canton Akouè. Augustin Thiam était pressenti pour lui succéder après la présidentielle. Le voilà donc aujourd’hui établi dans toutes ses fonctions. La société Akan est matrilinéaire : ce qui n’affirme pas le pouvoir des femmes mais établi simplement que si la mère est toujours certaine, ce n’est pas le cas du père ; d’où la primauté sociale de l’oncle dont la filiation est, elle, affirmée. Brou, la grand-mère maternelle de Houphouët, a eu cinq enfants. Sa fille aînée, Kimou N’dri a été la mère du futur leader ivoirien. La dernière de ses filles, Kimou Yamassou, dite Yaa Kan, va épouser Papa Sow et de cette union naîtront deux filles : Berthe Sow et Mariétou qui épousera Amadou Thiam, le père d’Augustin. Thiam a été non seulement un des premiers « journalistes » du continent mais une personnalité politique majeure (ministre d’Etat sous Houphouët). J’ai raconté sa saga à l’occasion de sa mort, le 6 janvier 2009, à Rabat, au Maroc, où il s’était installé après y avoir été ambassadeur (cf. LDD Côte d’Ivoire 0229 et 0230/Vendredi 23 et Lundi 26 janvier 2009).

Augustin Thiam, nouveau chef du canton Akouè (le canton aux 33 villages), est donc le fils d’une des nièces de Houphouët. C’est son frère aîné, Daouda, qui pouvait prétendre à devenir chef Akouè et « père de la famille Houphouët », dépositaire de ses biens coutumiers et financiers. Mais Daouda a préféré le monde de la politique et le monde des affaires tandis que Boubakar, le deuxième des fils de Amadou Thiam, est décédé en 1995. Aziz et Tidjane, quant à eux, ont fait une brillante carrière politique (Tidjane est, aussi, une tête d’affiche dans le monde de la finance internationale à Londres et peut prétendre, selon les rumeurs, à être le prochain premier ministre de la Côte d’Ivoire). Elevé dans la tradition par Mamie Faitai, la sœur aînée de Houphouët, Augustin Thiam s’est installé, à l’adolescence, au Maroc où son père était ambassadeur (de 1965 à 1978).

Revenu en Côte d’Ivoire où il fera ses études, médecin hospitalier à Abidjan pendant une douzaine d’années, il va s’essayer au journalisme quand ADO sera nommé premier ministre et le restera pratiquement jusqu’à la mort du « Vieux » (un de ses derniers papiers, dans Jeune Afrique, a, me semble-t-il, été publié fin août 1993 : il annonçait alors une « rentrée agitée » pour Ouattara à la suite du « sabrage » des effectifs de la fonction publique). Henri Konan Bédié, qui avait déjà obtenu la peau de son frère, Daouda (révoqué de son poste de directeur général de la raffinerie de la SIR, un texte signé « personnel SIR, militants du PDCI » dénonçait un « ivoiro-sénégalais » dont la « soi-disant brillante carrière […] a été faite à coups de décrets présidentiels sur les cadavres des jeunes et brillants Ivoiriens »), va lui trouver un « placard » où l’enfermer (secrétaire général du Comité interministériel de lutte antidrogue) ; ce qui ne gênera pas Augustin Thiam qui affirme avoir « mené la belle vie et l’assumer », se considérant comme « un enfant gâté de l’houphouëtisme, avec ses bons et ses mauvais côtés » (entretien avec Xavier Schwebel, pour Jeune Afrique).

La tradition et la modernité, à Yamoussoukro, sont donc désormais entre les mains d’Augustin Thiam. Tout un symbole de l’évolution de la Côte d’Ivoire puisqu’il est souvent présenté comme « d’origine sénégalaise » (« Qui des Ivoiriens n’a pas une origine étrangère ? Il ne faut pas parler de choses qu’on ne maîtrise pas » rétorque N’Guessan Amani Sylvain, neveu du chef de terre de Kami, village qui, au milieu du XIXème siècle, a cédé en héritage une partie des terres qui permettront d’ériger N’gokro, devenu en 1904 Yamoussou-Kro). Il convient de noter que Houphouët-Boigny avait une prédilection pour Saint… Augustin, parce que, disait-il, c’était un Africain. Augustin était le prénom chrétien du frère unique de Félix Houphouët, chef du canton des Akouè dès lors que Houphouët, l’aîné, s’adonnera à la médecine** ; mais Augustin, dont Houphouët disait qu’il était « mon autre moi-même », mourra brutalement en 1938. De son union avec Khady Sow, Houphouët aura notamment quatre garçons dont le deuxième, né en 1933, se prénommera… Augustin ; il deviendra son fils aîné dés lors que Félix Junior mourra prématurément (à l’âge de 10 ans). Notons encore que c’est Houphouët qui a fait bâtir, à Yamoussoukro, l’église… Saint Augustin.

Le docteur Augustin Thiam, qui est rentré s’installer à Yamoussoukro en 2003, se trouve donc aujourd’hui en charge du devenir de la « capitale » de la Côte d’Ivoire. Et, du même coup, de faire aboutir, enfin, le rêve du « Vieux » : faire de son village une « jolie petite ville » !

* Les Akouè sont une sous-tribu des Faafouët, une des quatre tribus majeures parmi les huit instituées au XVIIIème siècle par la reine Abla Pokou, une Akan issue du royaume Ashanti, fondatrice du peuple baoulé.

** Son père étant décédé en 1908, Houphouët deviendra « chef de famille » en 1910 (il avait officiellement 5 ans) à la suite de l’assassinat de son oncle Kouassi N’Go, chef du canton Akouè de Yamoussoukro. C’est le second mari de sa mère, Kimou N’Dri, dite N’Dri Kan, qui assurera la régence. A sa sortie de l’école de médecine de Dakar, en 1925, l’administration coloniale lui demandera de prendre la succession de son oncle mais Houphouët choisira de se désister en faveur de son frère Augustin, de trois ans son cadet, jusqu’au décès de celui-ci en décembre 1938. C’est le 8 juin 1939, que Houphouët sera nommé officiellement à cette fonction étant mis dès lors en position de congé hors-cadre de médecin auxiliaire de première classe.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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