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Minata Samaté-Cessouma, ambassadeur à Addis Abeba : L’occasion pour le Burkina Faso de faire à nouveau entendre sa voix sur la scène diplomatique africaine

Publié le mercredi 28 septembre 2011 à 03h22min

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Il faut dire les choses telles qu’elles sont. L’Afrique me semble aujourd’hui tout à la fois sourde, aveugle et, surtout, muette. Il y avait, autrefois, sur ce continent, quelques grandes voix. Dont on pouvait, certes, parfois, critiquer le discours mais qui portaient loin une vision africaine des relations internationales. Ces grandes voix se sont tues.

Et alors que le continent, de l’Afrique du Nord à la corne de l’Afrique, en passant par le corridor sahélo-saharien et la région des Grands Lacs sans oublier le Soudan, connaît des bouleversements majeurs, il faut se rendre à l’évidence : non seulement l’Union africaine ne joue pas son rôle mais elle est inaudible. Et il n’est aucun chef d’Etat africain en exercice qui ait le courage politique et diplomatique de s’exprimer sur l’évolution du monde contemporain et même du continent. Oh ! bien sûr, des discours il y en a ; des entretiens avec les journalistes aussi. Mais les mots qu’ils contiennent sont aseptisés et on ne sort pas de l’ornière du « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, vive la paix et le dialogue, la solidarité internationale, etc. ». Il suffit de lire ceux prononcés par les chefs d’Etat africains à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies pour se convaincre de l’inanité de ces mots ajoutés aux mots. Tant d’argent dépensé, « d’élites » mobilisées, pour raconter des fadaises, promettre « l’émergence » - nouveau leitmotiv de ceux qui sont pas loin d’être au fond du trou -, se féliciter les uns les autres… !

Il manque une grande voix à l’Afrique. Qui ose dire des choses différentes de ce que l’on entend partout et toujours ; et qui assume totalement son discours. Abdoulaye Wade a été, un temps, celui de son premier mandat, cette voix-là. Certes, on pouvait ne pas être d’accord, toujours, avec la forme et avec le fond, mais il osait s’exprimer sur des sujets « mondiaux » et donner un point de vue « africain ». Blaise Compaoré, bien que taiseux parmi les taiseux, a, lui aussi, laissé sa trace dans l’histoire de la diplomatie africaine et ses médiations ne doivent pas occulter ses déclarations, particulièrement dans Le Journal du Dimanche du 30 juin 1996 (« Mondialisation ou perdition ») et dans Le Figaro du samedi 6-dimanche 7 juin 1998 (« L’essentiel, pour nous, dirigeants, c’est de gérer l’histoire dans l’intérêt des populations »).

Mais tout cela est bien loin, très loin, et, désormais, on n’entend plus guère s’exprimer le président du Faso. On me rétorquera qu’il reste les actions menées : les médiations du Togo à la Guinée en passant par la Côte d’Ivoire ; l’engagement dans la recherche d’une solution au Darfour ; la présence diplomatique sur la scène francophone, africaine et moyen-orientale (je pense au Qatar) ; l’image forte (bien que quelque peu déglinguée aujourd’hui) d’un Burkina Faso « pays des hommes intègres »… Mais le pays est loin de capitaliser le résultat de ses actions continentales et internationales et si chacun pense, à Ouaga 2000, que la « machine tourne bien », elle tournerait mieux encore (si tant est qu’elle tourne bien) s’il y avait quelqu’un pour dire où veut aller le pays et comment il veut y aller ; et dans quelle Afrique et quel monde il doit ainsi tracer sa route. Au temps de la « Révolution », il y avait le DOP, le « discours d’orientation politique » ; aujourd’hui, on gère le quotidien, on ne « gère plus l’histoire ».

Alors que l’Union africaine est devenue le forum de la désunion (à commencer par celle des deux têtes de « l’exécutif » : son président, Obiang Nguema Mbasogo, et le président de la commission, Jean Ping), Ouaga 2000 vient de nommer un nouvel ambassadeur à Addis Abeba. Pour gérer les relations avec l’Ethiopie ainsi qu’avec l’UA et la CEA et une flopée de pays limitrophes (autrefois, cela allait de la Somalie à l’Angola et de l’Afrique du Sud à la République démocratique du Congo !).

Alors que Djibril Bassolé est confronté à la pression de l’administration centrale du « Quai d’Orsay » burkinabè - trop de « politiques » recasés dans la diplomatie au détriment des diplomates de carrière - et que Compaoré et les « compaoristes » sont, eux, de leur côté, confrontés au retour au bercail de quelques anciennes têtes d’affiche (Paramanga Ernest Yonli arrive de Washington et Salif Diallo de Vienne ; on attend, aussi, le retour d’Ottawa de Juliette Bonkoungou), Ouaga 2000 a choisi de confier Addis Abeba et tout ce qui va avec à une femme qui est, en quelque sorte, un « produit mixte » : diplomate de carrière, ministre éphémère (plus de trois ans quand même !). Minata Samaté-Cessouma, ministre plénipotentiaire, 1ère classe, 14ème échelon, vient donc d’être nommée ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire auprès de la République fédérale démocratique d’Ethiopie, représentant permanent auprès de l’Union africaine et de la Commission économique africaine.

Née le 14 juillet 1961 à Ndorola (province du Kénédougou), dans l’Ouest du pays, à un jet de pierre de la frontière avec le Mali, Minata Cessouma, épouse Samaté (en l’occurrence le journaliste Kloutan Samaté, ancien présentateur du 20 h à la télévision nationale), est diplômée de l’ENAM (section diplomatie) et de l’Institut international d’administration publique (IIAP) de Paris (section relations internationales), titulaire d’une maîtrise en sciences juridiques (option droit public) et d’un DESS en administration internationale (décrochés à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne).

Addis Abeba ne sera pas une découverte pour elle ; elle y était premier conseiller d’octobre 1997 à août 2003 après avoir été chef du service « organisations internationales » au ministère des Affaires étrangères de 1995 à 1997. Conseiller diplomatique du président du Faso, elle entrera dans le premier gouvernement de Tertius Zongo, le 10 juin 2007. Ministre déléguée à la Coopération régionale sous l’autorité de Djibril Bassolé, elle remplaçait Jean de Dieu Somda. Elle le restera tout le temps où Zongo sera à la primature. La nomination de Luc Adolphe Tiao comme premier ministre, le 18 avril 2011, et son remplacement par Vincent Zakané (Directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale) l’ont rendue disponible. Bassolé, qui l’avait eue comme « déléguée », revenant à la tête de la diplomatie, lui offre ainsi sa première ambassade et non des moindres ; mais ayant déjà une expérience éthiopienne et ayant eu à gérer les dossiers de la coopération régionale burkinabè, elle est bien armée, professionnellement, pour assumer sa nouvelle tâche.

Si son mari est un communicateur habitué à être exposé, Minata Samaté a la réputation d’une femme « très discrète ». « Il est difficile de trouver un membre du gouvernement plus effacé » écrivait Lounga dans le Journal du Jeudi (17 juin 2010). A Addis Abeba, elle va prendre la suite d’une figure emblématique de la diplomatie burkinabé (« un monument de la diplomatie burkinabè et africaine » écrit Grégoire B. Bazié - lefaso.net - vendredi 23 septembre 2011) : Bruno Nongoma Zidouemba, qui n’a pratiquement jamais été autre chose que diplomate et qui l’a été pendant vingt sept ans en Amérique, en Europe et en Afrique !

L’arrivée de Minata Samaté dans la capitale éthiopienne et, surtout auprès de l’UA, laisse espérer qu’elle pourrait y être le poisson pilote d’un Blaise Compaoré qui, agacé par les errements de l’organisation panafricaine mais, dans le même temps, débarrassé de l’écrasante (parfois « éructante ») tutelle que Kadhafi faisait peser sur l’UA, se déciderait à devenir cette grande voix d’Afrique qui manque au continent. Ce n’est qu’une espérance ; mais qui consacrerait cette formidable évolution « sociale » qu’a connue la terre voltaïque depuis qu’elle est entrée dans l’histoire du continent il y a bien plus longtemps que ne le pense Nicolas Sarkozy.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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