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La mise en cause de Nicolas Bazire dans « l’affaire Karachi » fragilise la nébuleuse affairo-politique sarkozienne (1/2)

Publié le vendredi 23 septembre 2011 à 20h16min

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Il fallait que cela arrive. Confrontés à une crise économique et financière majeure, les Etats « occidentaux » (qui avaient prôné avec ardeur la « mondialisation ») se délitent sous le poids des « affaires ». Normal, quand une ville est submergée par un tsunami, les égouts se répandent dans les rues. La France en fait la lamentable expérience. Après « l’affaire Bourgi », voici « l’affaire Karachi » (sans oublier les autres : Elf, Frégates de Taiwan, Clearstream, Bernard Tapie, emplois fictifs à la mairie de Paris, etc.).

Des histoires de carambouille racontées par des « porteurs de valises » et des femmes abandonnées, et qui mettent en cause des personnalités du monde des affaires inféodées à nos dirigeants politiques (et vice-versa). Aussi cocasses (Bourgi) ou dramatiques (14 personnes tuées dans l’attentat de Karachi !) que soient ces « affaires », au-delà de l’anecdotique, elles sont l’expression des dérives d’une gouvernance qui ne sait plus faire la part des choses entre le sens de l’Etat et celui de son intérêt personnel.

Il ne faut pas s’en étonner. Et si, aujourd’hui, c’est Edouard Balladur, premier ministre de 1993 à 1995, qui se trouve dans la ligne de mire, c’est que « la génération Balladur » a été celle qui a initié cette révolution du capitalisme français où la logique financière l’a emporté sur la logique industrielle au nom de l’autre révolution : celle des technologies de la communication (Balladur est aussi celui qui a initié la seule dévaluation du franc CFA jamais décidée par Paris). Ils étaient des trentenaires quand ils ont rejoint Balladur à Matignon, des quadras quand ils ont bouleversé le capitalisme français et des quinquas quand ils ont pris le pouvoir économique. Tout a démarré avec la formation des « noyaux durs » lors des privatisations et le dépeçage des entreprises nationalisées de l’époque « Mitterrand ».

Le temps des X-Ponts, des X-Mines, des X-Télécoms…, l’élite des ingénieurs français, était révolu ; les énarques des cabinets ministériels, après avoir « pantouflé » dans le privé aux limites de la nébuleuse affairo-politique, allaient prendre les commandes de nos groupes bancaires et industriels, la connivence politique l’emportant sur la compétence industrielle. Jean-Marie Messier, figure de proue de ce nouveau capitalisme, ex-conseiller de Balladur, ex-patron de Vivendi, et Eric Besson, aujourd’hui ministre de l’Industrie, avaient créé alors le Club des Quarante : quarante dirigeants d’entreprises de moins de quarante ans ! Tout un symbole. Celui de la fascination des élites politiques pour les élites du monde des affaires (il faudrait évoquer aussi la fascination des hommes politiques et des hommes d’affaires pour les femmes « médiatiques », qu’il s’agisse d’info ou de show).

Illustration de cette fascination. C’était il y a six ans : samedi 17 septembre 2005. Ce jour-là, à la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Bazas, en Gironde, Delphine Arnault, fille aînée du PDG du groupe LVMH (numéro un mondial du luxe), épousait Alessandro Vallarino Gancia (comme les apéritifs italiens dont il est l’héritier). Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et… administrateur de LVMH, et Renaud Dutreil, ex-ministre, ex-député, ex-candidat (battu) à la mairie de Reims, président de… la filiale américaine du groupe LVMH, et les autres, avaient été rejoints pour le dîner au château d’Yquem (un des vignobles les plus prestigieux du bordelais, propriété de Bernard Arnault) par un invité de marque… Nicolas Sarkozy.

Sarkozy était alors ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire dans le gouvernement de Dominique de Villepin. Il est aussi le patron de l’UMP. Il était surtout le candidat de la droite à la présidentielle 2007. Déjà en campagne ! Mais ce 17 septembre 2005, était également invité au mariage de Delphine Arnault, un autre reclassé de la politique : Nicolas Bazire, ex-directeur de cabinet de Balladur : « le plus jeune directeur de cabinet d’un Premier ministre sous la Vème République ». Bazire n’est pas, alors, encore un quinqua (il est né le 13 juillet 1957 à Fort-de-France, en Martinique ; son père était directeur à l’ORTF). Etudes à Rouen puis à l’Ecole navale. Il sera élève-officier sur le porte-hélicoptères Jeanne d’Arc, le navire-école de la marine nationale, avant d’embarquer sur l’escorteur d’escadre Guepratte. Bref séjour en mer : il va rejoindre le magazine des armées TAM en tant que chef des reportages.

Dans le même temps, diplômé de Sciences Po, il prépare l’ENA. Il va intégrer la « promotion Fernand Baudrel » (1985-1987) et, à la sortie de l’Ecole, sera nommé auditeur puis conseiller référendaire à la Cour des comptes. Il quittera l’administration pour devenir chargé de mission auprès du secrétaire général du groupe Thomson SA et, de 1993 à 1995, directeur de cabinet de Balladur à Matignon. Quand Balladur s’engage dans la présidentielle 1995 face à Jacques Chirac, Bazire devient son directeur de campagne. Edouard va perdre la présidentielle dès le premier tour. Bazire rebondit dans la banque : associé-gérant de Rothschild et Cie Banque puis président du conseil des commanditaires de Rothschild et Cie Banque. En 1999, il rejoint Bernard Arnault comme directeur général de son groupe et entre au conseil d’administration de LVMH. Il va, dès lors, multiplier les postes d’administrateur : Ipsos, Rothschild, Carrefour, Suez Environnement, Atos…

Dans le même temps, Messier, autre ancien du cabinet Balladur, est propulsé sur le devant de la scène médiatique. Il a créé de toutes pièces, à partir de la Compagnie générale des eaux - mais avec l’onction des « parrains » du capitalisme français - « le deuxième groupe mondial de la communication ». Mais Vivendi Universal va s’effondrer plus rapidement encore qu’il n’avait atteint les sommets. « L’histoire tourmentée de Vivendi Universal, en 2002, illustre - en de nombreux points sinon en tous - les dérives du capitalisme hybride dans lequel la France a plongé […] Un nouveau capitalisme anglo-saxon auquel la France s’est progressivement convertie », écrira Laurent Mauduit dans Le Monde daté du 1er janvier 2003. « Gigantesque holding financière, sans réelle synergie industrielle », Vivendi Universal sera « happée dans une course folle aux acquisitions » (Mauduit, cf. supra). Messier, dès le début du XXIème siècle, concentrait en lui toutes les dérives qui ont provoqué la crise financière de 2007 puis la crise économique de 2008.

« People » avant l’heure, ostentatoire dans les dépenses du groupe, des stocks-options, des « parachutes en or », des salaires exorbitants, un comportement « déréglementé », l’apologie d’un « système de réseaux et de connivence », sans oublier un art consommé de la mise en scène. Sarkozy, qui vient du même moule et appartient à la même génération, regardera avec envie la réussite financière et médiatique de ses anciens petits camarades. « Sarkozy jugeait que Messier, alors au faîte de sa gloire, ne l’estimait pas à sa juste valeur, voire le dédaignait […] Nicolas était un peu jaloux », affirmera Besson dans un entretien avec Renaud Dély et Didier Hassoux, auteurs de « Sarkozy et l’argent roi » (éditeur Calmann-Lévy - Paris, 2008).

Dély et Hassoux évoquent aussi dans ce livre l’impact de Stéphane Richard (actuel patron de France Télécom) sur Sarkozy. « Richissime. Cet homme inconnu des Français, le président de la République le jalouse en secret. C’est lui qui a inscrit en Sarkozy cette irrépressible envie de « faire du pognon » le jour venu ». Et les auteurs de rapporter les mots de Sarkozy, le 23 octobre 2006, quand, ministre de l’Intérieur, il a remis la Légion d’honneur à Richard : « Mon cher Stéphane, un jour nous travaillerons ensemble […] Mais il est vrai que toi, tu as de la chance, tu as une belle maison, tu es riche […] Un jour, je serais aussi riche que toi ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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