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Bourgi n’est pas qu’un « porteur de valises ». C’est surtout un acteur de la « diplomatie parallèle » de l’Elysée et d’ailleurs ! (5/5)

Publié le dimanche 18 septembre 2011 à 19h20min

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Le 7 décembre 2004, dans « l’affaire Bourgi-Béjot », je suis appelé à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Paris le 25 janvier 2005. Il me faut réagir. J’appelle mon avocat. Pas chaud pour plaider une affaire de diffamation. Il me conseille d’aller voir ailleurs. Ailleurs, on m’explique gentiment que Bourgi, c’est le « réseau Pasqua » et que ce n’est pas bon, ni pour les affaires, ni pour la santé, de s’en prendre au « réseau ». C’est un point de vue.

Finalement, un avocat parisien, à quelques jours de l’audience, va accepter de plaider pour moi. Il n’est pas spécialiste de la diffamation, mais s’occupe des dossiers des Africains qui, en France, ont « maille à partir » avec notre justice. Sa demande de report ne sera pas acceptée. Mais appelée à l’audience le 25 janvier 2005, l’affaire sera renvoyée d’audience en audience pour être fixée, « pour plaider », le 11 octobre 2005. Ni chez Ramaël ni aux audiences de la 17ème chambre, je n’ai rencontré Bourgi. Le 11 octobre 2005, il était représenté par Me William Goldnadel. Qui m’a semblé, ce jour-là, en deçà de ce que je subodore être ses notes d’honoraires. Me Eric Luthi, qui plaidait pour moi, était plus convaincant. Il convaincra, d’ailleurs, le tribunal présidé par Nicolas Bonnal. Le 15 novembre 2005, Bourgi sera déclaré « irrecevable en son action et en toutes ses demandes »*. Il ne fera pas appel.

La Lettre du Continent avait présenté l’affaire comme une « diffamation à suivre… ». Connaissant Antoine Glaser depuis plus de trente ans et ses relations, parfois tendues, avec Goldnadel, je me suis empressé de lui communiquer la décision du tribunal. Il était alors à Bamako où il assistait au sommet France-Afrique. La « diffamation à suivre… » n’a jamais été suivie. A Paris, à Abidjan, à Dakar, à Libreville, etc. parler de Bourgi était alors dérangeant. On minimisait son impact ; et, pourtant, il restait omniprésent dans les affaires franco-africaines. Sous Nicolas Sarkozy comme il l’était sous Jacques Chirac. C’est nécessairement qu’il était utile à quelque chose (ou à quelques uns).

Dans Comment la France a perdu l’Afrique (éditions Calmann-Lévy - Paris, 2005) Bourgi déclarait : « Je suis le dernier des Mohicans, et j’existe uniquement parce que je suis le dernier ». En 2008, avec ses « Confessions d’un homme de l’ombre » (Le Nouvel Observateur du 1-7 mai 2008), il voudra s’extraire de son carcan d‘individu en marge. Bourgi disait déjà qu’il « en [avait] assez de cette réputation sulfureuse ». Mais c’était son fonds de commerce. N’avait-il pas remis au Nouvel Observateur, la photo que lui avait dédicacée Mobutu Sese Seko : « Un ami, que dis-je, un complice, pour tout ce qui se fait dans l’ombre pour la cause franco-zaïroise ». Une dédicace qui datait du 7 juin 1995 alors que, depuis 1990 le régime du « Léopard » était en totale déconfiture. Pourquoi exhiber ainsi son « amitié » (grassement rémunérée dit-on) pour Mobutu, le plus « sulfureux » des chefs d’Etat africains à cette époque, alors que Honoré N’Gbanda Nzambo Ko Atumba, conseiller spécial de 1992 à 1997 du président zaïrois et un de ses intimes, dans ses mémoires (Les Derniers jours du maréchal Mobutu - éditions Gideppe - Paris, 1999), dénonçait, en Bourgi, « ces faux lobbies » et évoquait quelques « escroqueries » qui auraient mal tourné quand il s’agissait de « se partager le butin » (cf. opus cité, page 152) ?

Bourgi se présente, dans son CV, comme avocat. Il ne l’a été qu’à près de 50 ans ; et n’a jamais plaidé… Et l’image qu’il laisse se développer depuis qu’il a entrepris de médiatiser son action est celle du « Monsieur Afrique de l’Elysée », « d’homme de l’ombre », de « missi dominici entre l’Elysée et les palais africains », « d’éminence grise des relations franco-africaines », du « M. Françafrique », etc. Or, le voilà réduit au rôle de « porteur de valises ». Un job qu’il revendique « médiatiquement » et qui lui permet de faire l’impasse sur ses autres activités. Il n’a pas été, pourtant, que cela, que ce « groom de l’Elysée » (l’a-t-il même été plus que d’autres ?). « Je suis un repenti », clame-t-il aujourd’hui dans le même temps ; mais, repenti pour repenti, pourquoi ne raconterait-il pas ce que sont les activités des réseaux d’une diplomatie parallèle qui, au-delà de ces « affaires de mallettes », pourrait être au service d’une nébuleuse affairo-politique dont les activités seraient bien plus significatives que celles de « groom de l’Elysée » ?

Bourgi a, manifestement, gagné beaucoup d’argent (combien d’avocats inscrits au barreau de Paris et n’ayant jamais plaidé peuvent avoir « pignon sur rue » dans le XVIème arrondissement de Paris et rouler dans une voiture de sport dont le prix d’achat dépasse les 100.000 euros ?) ; dans le système politico-économique qui régit notre monde contemporain, on ne gagne beaucoup d’argent qu’en en faisant gagner beaucoup plus encore à d’autres.

L’arbre cacherait donc la forêt. En l’occurrence, ce sont les « valises de l’Elysée » qui cachent le reste. Un système pervers d’intermédiaires français et africains qui instrumentalisent tout autant l’Etat français que les Etats du continent pour le compte d’intérêts strictement privés : la sphère politico-affairiste en France ; les « familles » plus ou moins élargies des chefs d’Etat en Afrique. Tout cela au nom d’une politique de proximité (dont le leitmotiv tient en trois mots : « Moi, j’aime l’Afrique ! ») qui se veut le vecteur privilégié d’une « diplomatie parallèle » et qui, bien souvent, n’est qu’une activité « mafieuse » (au sens de « groupe occulte de personnes qui se soutiennent dans leurs intérêts par toutes sortes de moyens »).

Les chefs d’Etat, trop souvent, ont bien plus à craindre de leur entourage que de leur peuple. Posez la question à Mamadou Tandja ou à Lansana Conté mais aussi à Laurent Gbagbo ; et pendant que vous y êtes, interrogez aussi sur cette question les chefs d’Etat actuellement au pouvoir. Les « porteurs de valises » n’ont d’autre vocation que de calmer les ardeurs des uns, les impatiences des autres. Et ce n’est pas vrai qu’en Afrique… ! Laisser penser que le « porteur de valises » n’est qu’un intermédiaire entre un chef d’Etat africain et un chef d’Etat français est une vision simpliste des choses de la vie. La chaîne est bien plus complexe et, au passage - au-delà de « l’immoralité » de la connexion strictement financière - oblige à des actions dommageables pour les pays et les peuples.

On peut bien penser que Bourgi a roulé pour lui-même, baladant dans quelques pays d’Afrique noire francophone une réputation de plus en plus médiatiquement entretenue « d’homme de l’Elysée » (il n’est, hélas, pas le seul à avoir choisi ce positionnement même s’il bénéficie, sur ce « créneau » d’une aura particulière compte tenu de la connexion « revendiquée » de son père avec Jacques Foccart). Mais puisqu’il se dit lui-même « repenti », et le qualificatif est significatif (« ancien membre d’une organisation clandestine - notamment d’une organisation terroriste - qui accepte de collaborer avec la police en échange d’une remise de peine »), on attend de lui qu’il raconte ce qu’ont été les contreparties à ces échanges financiers dont il assure avoir été non seulement le témoin mais l’acteur majeur.

* L’attendu de la 17ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris, dit notamment : « Attendu, toutefois, que l’évolution d’une telle « collusion » sans que ne soit indiqué son objet ni son but ne constitue pas l’allégation d’un fait précis ; que le seul fait précis attentatoire à l’honneur ou à la considération contenue dans ce passage n’est imputé qu’à « certains hommes d’affaires libanais » dont la partie civile ne fait manifestement pas partie puisqu’elle est notamment décrite comme universitaire et avocat ; qu’elle n’est donc pas visée par le propos litigieux et qu’elle est ainsi irrecevable en son action ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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