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Côte d’Ivoire : Hamed Bakayoko, ministre de l’Intérieur : itinéraire d’un enfant gâté (2/2)

Publié le vendredi 9 septembre 2011 à 19h28min

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Ministre des Nouvelles technologies de l’information et des Télécommunications, ce n’est pas le job le plus exigeant dans un pays en crise militaro-politique. En 2003, au lendemain de son entrée au gouvernement (13 mars 2003 - il s’agit du premier gouvernement de Seydou Elimane Diarra, à la suite des accords de Marcoussis), Hamed Bakayoko se retrouve en 32ème position protocolaire sur 39 ministres. Guillaume Soro est le numéro 10 (il est ministre d’Etat avec le portefeuille de la Communication) et il y a du beau monde dans cette équipe : Henriette Dagri-Diabaté, Mabri Toikeusse, Amadou Gon Coulibaly, Patrick Achi, Jeannot Kouadio Ahoussou…

Pour Bakayoko, l’essentiel est d’être un observateur privilégié du mode de fonctionnement des uns et des autres dans un gouvernement que d’aucuns pensaient capable de sortir le pays de la crise dans laquelle il était englué depuis six mois. Bakayoko pensait même pouvoir avoir des ambitions pour la Côte d’Ivoire : « Notre pays, déclarera-t-il alors que Abidjan se préparait à accueillir la première session extraordinaire de l’Union africaine des télécommunications - UAT - du 20 au 27 août 2003, tient à son leadership qui lui confère un rôle de plate-forme stratégique pour les conférences internationales, de terre d’échange pour réfléchir ensemble et construire l’Afrique de demain ». Il lui faudra rapidement déchanter.

En 2006, Elimane Diarra devra céder le poste de premier ministre à Charles Konan Banny. Dans le gouvernement formé le 28 décembre 2006, Bakayoko est un des cinq ministres RDR : le dernier d’entre eux et toujours en charge des NTIC mais sans les télécommunications (dommage, la liste des conférences internationales relatives à ce secteur auxquelles Bakayoko a participé de 2003 à 2006 est impressionnante). Il aura fallu vingt-quatre jours de tractations pour former ce gouvernement. Aux « houphouëtistes » qui le pressent, Konan Banny répondra alors qu’il n’est pas suffisamment incompétent pour « mettre un médecin à la tête des Nouvelles technologies de l’information » (je rappelle qu’après un DEUG de maths-physiques, Bakayoko a suivi les cours de l’Ecole supérieure des sciences de la santé à Ouagadougou puis un 2ème cycle d’études de médecine à la faculté de médecine d’Abidjan). Konan Banny, pas plus que Elimane Diarra, ne sortira la Côte d’Ivoire de la crise et sera en mesure d’organiser l’élection présidentielle.

En 2007, à la suite des accords de Ouagadougou, c’est Soro qui devient premier ministre. Bakayoko ne change pas de portefeuille mais fait un saut dans la hiérarchie gouvernementale : il se retrouve en vingtième position dans un gouvernement de 32 ministres. Il va conserver ce job jusqu’au 12 février 2010. Dans le nouveau gouvernement complété le 4 mars 2010, il sera remplacé par Jacques Gohorey Houga Bi, lui aussi un RDR. Bakayoko retrouve sa liberté de manœuvre auprès des Ouattara. On connaît la suite : campagne présidentielle, premier tour, deuxième tour, tour de passe-passe de Laurent Gbagbo, affrontement armé, capture de Gbagbo, prestation de serment de Alassane D. Ouattara, formation d’un vrai gouvernement (1er juin 2011) après celui dit de l’hôtel du Golf. Bakayoko en est le numéro 3 avec le titre de ministre d’Etat et le portefeuille de l’Intérieur.

Celui que la presse qualifie de « Golden Boy », que ADO traite comme son « premier fils » et dont Dominique Ouattara dit qu’il est « le fils aîné des Ouattara », se retrouve, en matière de police et de sécurité, face à une situation dramatique. Plus encore : dépourvu « d’outils » lui permettant de résoudre les problèmes. La police et la gendarmerie étaient devenus des corps déliquescents, les infrastructures étaient inexploitables (à commencer par la MACA, la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, récemment « restaurée » et ouverte à nouveau depuis mi-août 2011), les armes étaient entre les mains de « civils » qui n’entendaient pas les rendre…

Tout cela dans une ambiance de règlements de compte au sein des « corps habillés » guère propice au rétablissement de l’ordre. Absence de hiérarchie, absence de chaîne de commandement, profusion de sociétés de sécurité privées dont beaucoup avaient pour actionnaires ou responsables des « patrons » ou ex-patrons de la sécurité publique (police ou gendarmerie). Il y a tout juste deux ans (Jeune Afrique du 30 août 2009 - entretien avec Baudelaire Mieu), Frédéric Lafont, l’emblématique reponsable de Risk Group (cf. LDD 0344/Lundi 5 septembre 2011), expliquait : « Nous sommes confiants en l’avenir, nous n’avons aucune crainte pour le métier. Les perspectives sont bonnes […] Les gens ont toujours besoin de sécurité et la fin de la crise par l’élection d’un nouveau président de la République ne le fera pas disparaître ».

Dans sa lutte contre l’insécurité, Bakayoko doit compter avec le Premier ministre, Soro, qui gère le portefeuille de la Défense, et collaborer avec le ministre délégué à la Défense, Paul Koffi Koffi, ancien directeur de cabinet de Soro, un ingénieur statisticien économiste qui a fait carrière au sein de l’administration (ministère du Travail puis ministère de l’Economie et des Finances) avant de rejoindre, à compter de 2000, la primature (il a servi, à des postes divers, tous les premiers ministres qui se sont succédés depuis cette date). Ni Bakayoko ni Koffi Koffi n’étaient formés pour affronter les questions de sécurité. C’est donc sur le terrain qu’ils font leur apprentissage, au jour le jour. Remettre chacun à sa place a été leur priorité : rétrocession des commissariats aux policiers ; repli des forces militaires dans les casernes ; réinsertion des ex-combattants dans la vie civile (Bakayoko estime à 20.000 leur nombre) ; sanctions contre les éléments des FRCI qui se « mêlent des affaires judiciaires » ; sécurisation des trois grandes zones industrielles (Vridi, Koumassi, Yopougon) et des quartiers à risque (Plateau et Deux Plateaux, Cocody, Riviera III)…

Il est difficile pour le ministre de l’Intérieur de ne pas être, aujourd’hui, que le ministre de la sécurité tant la pression est forte. Celle de la population, celle des opérateurs économiques, celle de la « communauté internationale », celle des ONG… sans compter la pression politique alors que, d’ici quelques mois, doivent être organisées les élections législatives. Bakayoko a, cependant, au fil des jours, face à l’avalanche de critiques et de commentaires, « encadré » son propos : Laurent Gbagbo, qui a résisté les armes à la main au lendemain du deuxième tour de la présidentielle, « n’était pas un chef d’Etat ou un ancien chef d’Etat » mais un « chef d’opérations militaires » ; « Il y a eu des combats, comme il y a des combats aujourd’hui en Libye.

Mais après, il y a un décompte. Nous avons la conviction que nos hommes ont fait des morts dans le cadre des combats » ; en ce qui concerne « l’affaire Lafont », il pèse sur cet homme, « qui a un passé trouble en Côte d’Ivoire […] de lourds soupçons de collaboration avec le régime Gbagbo dans le cadre d’achats d’armes et de transport d’armes » ; quant à « l’affaire Charaux », cet ancien officier « a travaillé à la formation de milices et du CECOS […] impliqué dans les massacres de la crise post-électorale […], il a travaillé avec Anselme Seka Seka qui était l’homme de main de Madame Gbagbo » ; « La volonté politique affirmée par le président de la République, c’est de faire de la Côte d’Ivoire un Etat de droit » ; « Nous ne sommes là que depuis le mois de mai. Il faut être patient […] Les gens jugent beaucoup trop vite et beaucoup trop durement » (toutes ces citations sont extraites de l’entretien de Bakayoko sur France-Soir.fr et avec France 24).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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