LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Côte d’Ivoire 2011. Qui peut penser que du chaos peut émerger rapidement une société politiquement « sécurisée » ?

Publié le mercredi 7 septembre 2011 à 18h13min

PARTAGER :                          

Y a-t-il, en Côte d’Ivoire, instrumentalisation de la situation sécuritaire qui empêcherait les autorités de régler, dans le fond, les problèmes qui ne cessent de perdurer ? On peut le penser. Plus encore le redouter.

Sur fond d’ingérence diplomatique de Paris. Une ingérence « soft » ; les connexions entre Nicolas Sarkozy et Alassane D. Ouattara sont nombreuses ; politiquement, les deux hommes sont sur la même longueur d’onde, pour la gestion des affaires intérieures comme pour ce qui est des relations internationales. Et les go-between ne manquent pas entre l’Elysée et le « palais » présidentiel à Abidjan.

Quel est le problème ? ADO est au pouvoir et cette conquête du pouvoir n’a pas été « un long fleuve tranquille » ; il a fallu le coup de pouce de Paris pour dégager Laurent Gbagbo en touche. Dans cette action, les Forces Nouvelles (FN) ont semblé sur la « réserve » : le départ de Gbagbo était une bonne chose pour elles ; l’arrivée de Ouattara, homme d’ordre et de rigueur, laisse nécessairement circonspects des « rebelles » qui ont fait fortune pendant la « rébellion ». Ouattara, au lendemain de son élection et compte tenu de la « résistance » exercée par Gbagbo, avait besoin des FN et, du même coup, devait ménager leur chef, Guillaume Soro. Il a décroché un poste de premier ministre qui semblait dévolu à un PDCI-RDA, avec, en prime, le portefeuille de la Défense. Difficile de faire autrement.

Mais au sein des FN, des tensions sont rapidement apparues dès lors que la normalisation de la situation se profilait à l’horizon. Pro-Soro et pro-ADO se sont affrontés. Il s’agissait, d’une part, « de ne pas injurier l’avenir », d’autre part, de solder quelques comptes avant la remontée à la surface de dossiers peu reluisants sur les années d’occupation du Nord par les FN. Ibrahima Coulibaly, alias IB, allait en faire les frais. Au soir du 27 avril 2011, il était éliminé d’un jeu politique dont il avait été un « premier rôle » (cf. LDD Côte d’Ivoire 0313/Jeudi 28 avril 2011) et dans lequel il ambitionnait de revenir au premier rang. En fait, il dérangeait tout le monde après avoir servi tout le monde sans avoir toujours compris la règle essentielle du jeu politique : il n’y a pas de règle ; et, s’il y en a, il convient de ne pas les respecter.

ADO est à la présidence, Soro à la primature. Chacun avec ses hommes liges qui savent, au gré des événements, passer de l’un à l’autre. Non, ce ne sont pas deux camps antagonistes ; mais, quand même, je l’ai dit déjà, ils n’ont pas les mêmes valeurs (cf. LDD Côte d’Ivoire 0328/Vendredi 24 juin 2011). Plus encore, Soro, quant à lui, est une des deux têtes du pouvoir exécutif depuis… 2007 ! C’est dire qu’il sait comment fonctionne la Côte d’Ivoire de Gbagbo (ADO est encore loin d’avoir imprimé sa marque sur le pays) et qui doit quoi à qui. C’est qu’en dix ans, des fortunes se sont faites. A commencer par celle de « Saha Bléblé », alias Wattao, ancien chef d’état-major adjoint des FN, autrement dit l’ex-caporal Issikia Ouattara, « com-zone » de Séguéla, un territoire arraché en mai 2008 à Koné Zakaria, « autre chef de guerre à la réputation de boucher » écrivait Antoine Malo dans Le Journal du Dimanche du 21 mars 2010. Comme le disait Wattao à Jean-Philippe Tougouma (Sidwaya du 18-19 décembre 2007) : « Même si vous n’aimez pas le lièvre, il faut reconnaître qu’il court bien ». Wattao court bien.

Wattao, qui affirmait ambitionner d’être ambassadeur de Côte d’Ivoire à Paris la paix revenue, déclarait alors : « On ne peut pas prendre un menuisier pour en faire un docteur ». Il s’agissait de fustiger le comportement de IB, « un sergent-chef qui veut être président de la Côte d’Ivoire […] Vu son niveau intellectuel et son bagage intellectuel, il faut qu’il cesse de rêver ». Wattao, quant à lui, se refusait à rêver, disait-il, son avenir étant « dans la main du premier ministre Soro Guillaume, du président Blaise Compaoré et du président Laurent Gbagbo » (Sidwaya - cf. supra). Ces dernières semaines, on retrouvait le commandant Wattao, désormais commandant en second de la Garde républicaine, en première ligne dans « l’affaire Charaux » (cf. LDD Côte d’Ivoire 0344/Lundi 5 septembre 2011). En mission ? Sans doute. En tout cas chargé de donner un coup de pied dans la fourmilière des SMP françaises en Côte d’Ivoire qui pourraient être tentées de mener une « politique de substitution » aux FRCI, peu fiables pour assurer la sécurité de la présidence de la République et du pays. Il y a trop de colonels, retraités de l’armée française, actuellement à Abidjan pour penser qu’ils sont là, seulement, pour « faire du fric ».

Paris, manifestement, ne veut pas que la Côte d’Ivoire soit trop longtemps encore sous l’influence de Soro, premier ministre et ministre de la Défense, et veut faire revenir les PDCI-RDA - des hommes raisonnables et contrôlables - sur le devant de la scène. « L’affaire Charaux » pourrait bien être une provocation permettant de disqualifier Wattao pour disqualifier Soro. Augustin Kouyo, dans Notre Voie (samedi 3 septembre 2011), ne dit pas autre chose : « Wattao est un fidèle parmi les fidèles de Guillaume Soro […] Il n’y a pas de doute que le soutien militaire le plus sûr de Guillaume Soro demeure Wattao […] Mettre Wattao sous l’éteignoir reviendrait inévitablement à livrer Guillaume Soro mains et pieds liés ».

C’est au sein des forces de sécurité (armée, gendarmerie, police) que s’expriment le mieux ces clivages politiques (dont les frontières sont parfois floues). Et, du même coup, la situation sécuritaire de la Côte d’Ivoire passe au second plan des préoccupations des forces de… sécurité bien plus soucieuses de leur devenir « politique ». Pendant ces dernières années, en Côte d’Ivoire, « la raison du plus fort a été la meilleure » et il est difficile de revenir à une situation « normalisée ». Ouattara n’a plus exercé le pouvoir depuis décembre 1993 ; 18 ans ! une éternité : François Mitterrand était encore à l’Elysée et n’avait pas encore été confronté à sa seconde cohabitation ; Bill Clinton venait d’être élu, l’année précédente, à la tête des Etats-Unis tandis que Mikhaïl Gorbatchev était encore le patron au Kremlin même si l’URSS se désagrégeait et qu’il avait dû affronter une tentative de putsch… Une autre époque ; une histoire ancienne.

Quant à Bédié, voila bientôt 12 ans qu’il a été viré du pouvoir. Soro, Wattao, feu IB et les autres occupent le terrain politique et militaire ivoirien depuis bientôt 9 ans ! C’est dire qu’ils tiennent bien en main tous les leviers et qu’ils n’ont pas l’intention (malgré les belles déclarations nationalistes des uns et des autres) de lâcher le manche. Gbagbo dégagé de la scène politique, ce sont deux générations qui s’affrontent sans jamais se l’avouer. Et la jeune génération est celle qui a viré Bédié en 1999, et tenté de placer Ouattara en orbite en 2002. Elle a bien profité de la situation tout au long de ces années et n’entend pas lâcher la proie pour l’ombre.

Autant dire que la marge de manœuvre du nouveau pouvoir est étroite et que ADO a besoin, en ce moment, de tous ses amis ; sans pour autant être certain qu’ils ne sont pas passés dans le camp adverse. En 1994, après avoir quitté la Côte d’Ivoire, me recevant dans l’appartement de son épouse, Dominique Ouattara, à Paris, il me confiait qu’il préférait retourner à ses « affaires » plutôt que de subir une « ambiance délétère » au sein de la classe politique ivoirienne. Aujourd’hui, il ne s’agit même plus d’une « ambiance délétère ». Dans quelques semaines, le 31 octobre 2011, il y aura tout juste un an que le premier tour d’une présidentielle attendue et espérée s’était déroulée dans l’euphorie générale. Un an plus tard, l’euphorie est retombée et la Côte d’Ivoire sait qu’elle n’est pas encore sortie de l’ornière. Au moins, elle évite de l’approfondir.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 7 septembre 2011 à 21:20 En réponse à : Côte d’Ivoire 2011. Qui peut penser que du chaos peut émerger rapidement une société politiquement « sécurisée » ?

    Je suis tout à fait d’accord avec votre article. Comme vous l’avez si bien dit IB a été l’homme des premières heures de cette crise. Il a donc travaillé pour les deux générations qui s’affrontent. Soro est l’homme fort soutenu par des FN qui lui doivent aussi leurs richesses acquises. Ces personnes ne souhaiteraient pas quitter les alentours du pouvoir. C’est pourquoi il se sont partagés Abidjan pour en assurer la sécurité et spolier les habitants.

  • Le 8 septembre 2011 à 14:38, par bissongo En réponse à : Côte d’Ivoire 2011. Qui peut penser que du chaos peut émerger rapidement une société politiquement « sécurisée » ?

    VOUS AVEZ L IMAGINATION TRES FERTILE. ELUCUBRATIONS RIEN QUE CA !!!! DECIDEMENT VOUS FAITES PARTI DE CEUX QUI REFUSENT QUE LA COTE D IVOIRE A CHANGER EN CHERCHANT A OPPOSER LES UNS DES AUTRES. QUELLE VILENIE

    • Le 12 septembre 2011 à 00:36 En réponse à : Côte d’Ivoire 2011. Qui peut penser que du chaos peut émerger rapidement une société politiquement « sécurisée » ?

      Côte d’Ivoire : Sarkozy, président, Ouattara Vice-président

      Côte-d’Ivoire :

      La France règne en maître à Abidjan,

      Soro se rebelle contre Ouattara

      « Le véritable Président de la Côte d’Ivoire, de 1960 jusqu’à la mort d’Houphouët, se nommait Jacques Foccart (Conseiller Afrique de Charles De Gaulle et père de la Françafrique, ndlr). Houphouët n’était qu’un vice-président.

      C’est Foccart qui décidait de tout, en réalité, dans notre pays.

      Il pouvait dégommer un ministre ou refuser qu’un cadre ivoirien x ou y soit nommé ministre.

      C’était lui, le manitou en Côte d’Ivoire.

      Ses visites étaient régulières à Abidjan et bien souvent Georges Ouégnin (le directeur de protocole d’Etat sous Houphouët) lui cédait son bureau pour recevoir les personnalités dont il voulait tirer les oreilles ».

      C’est un chargé de missions de feu Félix Houphouët-Boigny qui nous a fait cette révélation ahurissante en 2004, après les événements de novembre qui ont vu la force française Licorne tuer plus d’une soixantaine de jeunes ivoiriens aux mains nues.

      Ce patriarche, proche collaborateur d’Houphouët à l’époque, avait été scandalisé par les tueries de la France en Côte d’Ivoire et criait son ras-le-bol à propos de la Françafrique. « On en a assez de la Françafrique !!! », disait-il écœuré.

      Cette réaction est identique, aujourd’hui, à celle d’un proche du Premier ministre, Guillaume Soro Kigbafori, qui s’offusque du retour à grande pompe de la Françafrique depuis avril dernier avec l’installation au pouvoir d’Alassane Dramane Ouattara suite au renversement du Président Laurent Gbagbo (souverainiste et indépendantiste, ndlr) par l’armée française.

      Selon ce proche de Soro, « c’est la France qui dirige notre pays. Les conseillers français sont partout et décident. Ce n’est pas normal ! ».

      Guillaume Soro menace de démissionner

      La colère de ce proche de Soro est aussi comparable à celle piquée par le Premier ministre, lui-même, le 7 août dernier. Selon la publication La Lettre du continent N°618 du 8 septembre 2011, Guillaume Soro Kigbafori aurait menacé de démissionner vu le contrôle total que Paris a sur le nouveau pouvoir ivoirien.

      La goutte d’eau qui a fait déverser le vase, au dire de "La Lettre du continent, est la toute puissance du français Philippe Serey-Eiffel, conseiller économique de Ouattara.

      Affecté par l’Elysée auprès d’Alassane Dramane Ouattara, depuis mars dernier, il décide dans des secteurs stratégiques tels que le budget, l’économie et les projets d’infrastructures. Philippe Serey-Eiffel est en réalité « le vice-chef de l’Etat chargé des Finances ».

      C’est pour ce faire que le palais présidentiel d’Abidjan aurait joint, dit-on, les membres du gouvernement pour leur dire de rendre compte directement à ce conseiller de Ouattara.

      Colère de Soro ! Qui, informé, appelle les ministres pour leur dire que c’est lui le chef du gouvernement. A ce titre, c’est à lui que les comptes-rendus doivent être faits, pas à un conseiller de Ouattara, fut-il français.

      Toujours en colère, il menace de démissionner face à Alassane Dramane Ouattara. Le chef de l’Etat ivoirien installé par Paris affiche une curieuse surprise, avant de demander à Soro de se calmer.

      Soro retrouve son autorité sur les ministres. Mais Ouattara continue d’être pouponné par l’Elysée. Guillaume Soro Kigbafori ne semble pas approuver cela.

      Cependant il rumine son indignation en silence.

      Sarkozy recherche un conseiller pour la Fonction publique et la Justice ivoiriennes L’Elysée a installé une batterie de conseillers autour de Ouattara pour qu’ils dirigent la Côte d’Ivoire.

      Comme sous Houphouët, c’est la Françafrique qui tient tout dans notre pays. Alassane Dramane Ouattara n’est, en vérité, qu’un vice-président de la Côte d’Ivoire.

      Le véritable chef de l’Etat de notre pays se nomme Nicolas Sarkozy. C’est d’ailleurs lui, selon La lettredu continent, qui serait actuellement en train de rechercher un conseiller français pour reformer l’administration et la Justice ivoiriennes.

      Le nom du français Yannick Prost, chargé de mission au sein de la cellule Union pour la Méditerranée (Ump), est cité. Dixit La Lettre du continent.

      Dans les autres secteurs, la France a déjà détaché des conseillers autour de Ouattara. Les renseignements sont l’affaire de deux ex-officiers de la Direction du renseignement militaire (Drm) de la France. Ils s’occupent des écoutes et ont leurs locaux installés au sous sol du palis présidentiel à Abidjan.

      La défense est dirigée par le général français Claude Réglat. Conseiller militaire de Ouattara, c’est lui qui est chargé de caser les forces pro-Ouattara et relooker les Frci. Il sera aidé par un autre conseiller militaire, le Colonel français, Marc Paitier, qui lui, a été affecté auprès du ministre de la défense qui n’est autre que Guillaume Soro Kigbafori.

      Pour la santé, le super ministre « ivoirien » est le médecin belge et Françafricain, Christian Delmotte. C’est lui qui sera chargé de monter « la couverture médicale universelle en Côte d’Ivoire ». Pour les questions climatiques, La Lettre du continent écrit que « Cédric Lombardo (ex-conseiller du Président Laurent Gbagbo pour les affaires environnementales, ndlr) qui souhaite proroger son contrat sous la présidence Ouattara serait en pourparlers avec Philippe Serey-Eiffel ». Une information que nous a infirmée par la famille Lombardo depuis la France. Au-délà de tout, cette armada de conseillers bombarder autour de Ouattara par l’Elysée pose une autre question : à quoi sert alors le gouvernement de Côte d’Ivoire ?

      Source :

      Didier Depry – Notre Voie

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique