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Conférence des ambassadeurs - Paris – 2011 : Le petit soldat, l’homme politique et le diplomate. Sans oublier le pompier de service !

Publié le mardi 6 septembre 2011 à 02h51min

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Le timing était presque parfait. Tripoli était aux mains des « insurgés » ; il ne manquait que la capture du « leader de la révolution ». L’autre « révolution » ; pas la « révolution arabe » qui enthousiasme tellement les anciens partenaires et amis des Ben Ali, Moubarak, Kadhafi, Al Assad…, mais la « révolution libyenne » qui, avant de dériver, avait pour devise : « liberté, unité, socialisme ». La XIXème Conférence des ambassadeurs pouvait donc débuter, le mercredi 31 août 2011, sur le thème, oh ! combien dans l’air du temps, de « la diplomatie dans un monde en mouvement : la France acteur du changement ».

Il y a un an, au lendemain de l’assassinat de Michel Gemaneau au Mali, et à l’occasion de la XVIIIème Conférence des ambassadeurs, « la lutte contre le terrorisme » avait été érigée en « priorité absolument majeure pour la France ». La question est de savoir si le renversement de Kadhafi va éradiquer les mouvements terroristes dans le « corridor sahélo-saharien » ou bien, au contraire, les booster. Quoi qu’il en soit, nous aurons couvert, à l’occasion de cette Confamba 2011, le spectre de la diplomatie française : du petit soldat au diplomate en passant par l’homme politique ; sans oublier le pompier de service.

L’uniforme du « petit soldat » a été endossé par Nicolas Sarkozy. Qui, dit-il, « au-delà de la Libye », refuse de se « voiler la face » : « L’Europe est menacée de « rétrécissement stratégique ». Que voit-on ? Une baisse continue des efforts de défense ; l’invocation d’un « soft power » qui sert de paravent au renoncement ; et, trop souvent, l’aveuglement face aux menaces ». Ce n’est pas la première fois que Sarkozy utilise le concept de « rétrécissement stratégique » ; en novembre 2010, en visite à Londres à l’occasion du sommet franco-britannique sur la défense, il y avait déjà fait référence ; mais il n’était pas question, alors, de le redouter : « Au moment où certains disent que l’Europe souffre d’un certain rétrécissement stratégique, nous montrons, Anglais et Français, que ce n’est pas le cas ».

Manifestement, en moins d’un an, c’est devenu une « menace » ; une façon de fustiger le comportement allemand qui n’a pas voulu s’aventurer sur le terrain de l’action guerrière contre la Libye. C’est que Sarkozy a, semble-t-il, pris goût à l’interventionnisme sur des théâtres d’opérations étrangers. Quand, autrefois, lors des crises, on envoyait des diplomates ou des médiateurs de haut niveau, aujourd’hui on envoie des militaires. C’est, nous dit Sarkzoy, que nous ne sommes pas conscients des menaces qui pèsent sur nous ; ce qui nous prépare « des réveils difficiles » a-t-il ajouté.

« L’homme politique » qu’est François Fillon, premier ministre, ne dit pas autre chose. Mais il dit les choses autrement. « Le réalisme politique fait partie de l’action diplomatique parce que les relations d’Etat à Etat ont leur logique. Mais le souffle de ces valeurs universelles ne doit plus être sous-estimé ». C’est pourquoi, souligne-t-il, « c’est l’honneur de la France que d’avoir pesé sur le cours des événements en Côte d’Ivoire et en Libye ». Il dit aussi que « le nouveau monde qui se dessine sera implacable pour les nations faibles et insouciantes ». C’est pourquoi il veut plus et mieux d’Europe, plus et mieux de coopération, plus et mieux d’entreprises exportatrices, plus et mieux de « diplomatie d’influence »…

Le « diplomate » ne peut-être que Alain Juppé, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et européennes. Juppé a choisi de faire court, très court. Sans oublier de rappeler qu’il y a 18 ans, c’est lui qui a créé ces conférences des ambassadeurs pour, dit-il, leur permettre de se « retrouver au moins une fois dans l’année » et rendre hommage à « la cohérence, l’unité et la capacité d’agir ensemble qui font la force de notre diplomatie ». « Changer notre regard » sur le monde arabe et « inventer une nouvelle manière de pratiquer la diplomatie », aider l’Europe « à sortir renforcée » d’une « phase difficile en nous appuyant bien sûr sur la relation privilégiée que nous avons avec l’Allemagne », poser des jalons pour « contribuer à l’émergence d’un monde plus structuré, mieux régulé, sur la base de valeurs partagées »,soutenir le continent africain « confronté à des défis majeurs, alimentaire, démocratique, économique ou encore de sécurité », dégager des perspectives en matière de sécurité des Français partout dans le monde. Ce sont là « les principaux enjeux et les grands défis auxquels notre diplomatie est confrontée ».

On perçoit la différence de tonalité entre le Président de la République, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. Non pas qu’il n’y ait désaccord sur le fond. Mais entre le « je vous explique ce que j’ai fait et ce que je suis prêt à faire et vous allez voir, c’est très bien » et le « je vous explique ce que nous pouvons nous efforcer de faire ensemble pour faire face aux difficultés actuelles », il y a une approche différente des problèmes. Et pas seulement due à la personnalité des intervenants.

En matière de politique étrangère, il est essentiel de savoir jusqu’où on peut aller ; et comment on peut y aller. Il faut une vision globale et de long terme ; même s’il est nécessaire, le cas échéant, d’intervenir dans l’urgence. La diplomatie vise à résoudre des crises, atténuer des tensions, grâce à la connaissance que nous pouvons avoir les uns des autres. Il faut maîtriser le présent pour pouvoir anticiper l’avenir et permettre une cohabitation plus harmonieuse entre les peuples, quelles que soient leur histoire, leur religion, leur culture. Nous sommes loin, me semble-t-il, de « la volonté de la France d’accompagner avec détermination le mouvement des peuples vers la démocratie », selon les mots de Sarkozy. Non pas que ce ne soit pas une ambition honorable ; mais qui peut avoir la prétention d’affirmer avec certitude que tel mouvement de tel peuple conduira à « la démocratie », sans que personne ne se pose la question qu’il pourrait y avoir plusieurs formes de démocraties et pas une forme unique. Vaste débat ; qui oblige à moins de volontariste et à plus d’humilité !

Ah !, j’oubliais le « pompier de service », en l’occurrence Henri de Raincourt, ministre chargé de la Coopération. « Le printemps des peuples, nous annonce-t-il, ne sera pas, en effet, circonscrit au seul monde arabe. C’est une vague de fond qui balaiera tous les continents et qui prendra une résonance particulière dans l’ensemble des pays en développement […] Il y aura d’autres Tunisie, d’autres Egypte et il y aura d’autres Libye. A chaque fois, la France sera observée et attendue. A chaque fois, la France aura l’opportunité de faire entendre sa voix, de faire prévaloir les valeurs de démocratie et de liberté auxquelles elle croit, et de préserver ses intérêts. Pour cela, il faut que sa politique de développement soit perçue, très en amont, comme étant au service des peuples. Le développement est en train de devenir l’un des ressorts essentiels de notre action diplomatique ». Joli discours. Mais il faudra accorder les actes et les paroles ; et accepter que les « peuples » donnent des coups de balai sans en être empêchés.

Attendons donc les prochains soubresauts annoncés pour voir comment Paris réagira à ce « printemps des peuples »*. Le marquis Henri de Raincourt risque alors de voir des têtes rouler dans la sciure ; et si l’on s’étonne que je puisse le qualifier de « pompier de service » c’est que les pompiers éteignent les incendies. Mais, parfois, certains d’entre eux, se révèlent pyromanes.

* Il est réjouissant d’entendre notre marquis évoquer le « printemps des peuples ». Cette expression a été forgée pour évoquer les révolutions en Europe, en 1848, qui voulaient l’émancipation des minorités nationales « ostracisées » par les oligarchies au pouvoir. En France, les journées insurrectionnelles des 22, 23 et 24 février 1848 ont mis fin au règne de Louis Philippe et instauré la IIème République. Mais, en Europe, au « printemps des peuples », succédera un été de réaction politique et de répression.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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