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L’évolution de l’Afrique permet à l’Amérique de Barack Obama d’assurer la cohérence de ses discours et de ses actes

Publié le lundi 29 août 2011 à 03h20min

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Si « les lois de l’Histoire sont plus fortes que les appareils bureaucratiques », il est cependant des leaders politiques qui, en matière diplomatique, sont confrontés à des conjonctures particulièrement favorables qui les laissent penser que leurs actes sont en cohérence avec leurs paroles. Une bonne analyse ne suffit pas toujours ; il faut aussi compter avec la « concordance des temps ». Barack Obama, en la matière, réussit le doublé : les paroles et les actes. Même si les actes ne sont pas exclusivement les siens, loin de là ; et, plus encore, ne sont pas dépourvus d’arrière-pensée. Il y a deux ans, à l’occasion de son premier déplacement en Afrique noire, le président US avait prononcé le « discours d’Accra ». C’était le 11 juillet 2009.

« Alors ne vous y trompez pas : l’Histoire est du côté de ces courageux Africains [« les jeunes qui s’élèvent contre le népotisme et qui participent à la vie politique »], et non dans le camp de ceux qui se servent de coups d’Etat ou qui modifient les Constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions ».

Deux ans plus tard, à Washington, voici quelques semaines, il recevait les président béninois, guinéen, nigérien et ivoirien (par ordre d’entrée en scène dans l’histoire). Ce qui n’est pas, exactement, rendre hommage aux « jeunes qui s’élèvent contre le népotisme » ni à ceux qui ont souffert des régimes précédemment en place. Mais les chefs d’Etat reçus à la Maison-Blanche étaient tous des « civils » qui accédaient au pouvoir par la voie des urnes ; à Conakry et à Niamey, ils prenaient la suite des militaires (même si les militaires nigériens ne peuvent pas être comparés - politiquement - aux militaires guinéens) ; à Abidjan, c’était, enfin, l’aboutissement d’un long processus mettant fin à une situation d’exception qui mobilisait les communautés africaine et internationale.

A Cotonou, je me pose la question de savoir ce qui a pu motiver cette invitation du Dr. Boni Yayi : il en est à son deuxième mandat et son mode de production politique n’est pas exempt de dérives ; il fallait, sans doute, ne pas injurier les esprits du vaudou… ! Quoi qu’il en soit, en Afrique de l’Ouest, la chute de Tandja après son tripatouillage de la Constitution, celle de la clique militaire au pouvoir en Guinée après les années « terribles » de Conté et les années « terreur » de Sékou Touré, et le « coup de pied au cul » balancé par la France à Gbagbo après que l’ONU lui ait tapé sur les doigts et que les Ivoiriens lui aient clairement signifié qu’au-delà d’une certaine limite son ticket n’était plus valable, tout cela va dans le bon sens. Les « méchants » sont partis ; reste à espérer que les nouveaux seront des « gentils ».
Quelques mois avant le troisième anniversaire de son élection, Obama peut estimer avoir pensé juste en 2009, à Accra !

D’autant plus juste que, en Afrique du nord, trois « potentats » ont, dans le même temps, vu s’effondrer leur trône : Ben Ali, Moubarak et Kadhafi. N’oublions pas que, juste avant le « discours d’Accra », il y avait eu le « discours du Caire » (jeudi 4 juin 2009), dans lequel Obama reconnaissait « la dette de la civilisation à l’islam ». Patrice Claude, envoyé spécial dans la capitale égyptienne à cette occasion, avait écrit (Le Monde daté du samedi 6 juin 2009) : « Un discours peut éventuellement changer une atmosphère, mais il ne fait pas le printemps ». Deux ans plus tard, le « printemps arabe » était pourtant là !

Conakry, Niamey, Abidjan, Tunis, Le Caire, Tripoli. Six capitales africaines ont, en quelques mois, vécu une alternance « hors norme ». Dans quatre d’entre elles, des personnalités « historiques » (à des degrés divers) sont tombées : Gbagbo, Ben Ali, Moubarak, Kadhafi ; ailleurs (Conakry, Niamey), des putschistes cèdent la place. Aucune de ces capitales n’avait un positionnement diplomatique « anti-occidental » (pas même Tripoli où Condoleezza Rice, secrétaire d’Etat US, avait débarqué le vendredi 5 septembre 2008, scellant ainsi la reprise des relations entre les Etats-Unis et la Libye) ; bien au contraire : elles avaient toutes des connexions significatives avec les puissances occidentales (notamment celles qui ont un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU) et/ou européennes, qu’il s’agisse des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Italie… « Révolutions arabes » en Afrique du Nord ou alternances politiques radicales en Afrique de l’Ouest (les nouveaux « patrons » à Conakry, Niamey et Abidjan sont considérés comme des « opposants historiques » aux régimes jusqu’alors en place), il n’y a pas rupture dans les relations internationales quel que soit l’ancrage idéologique des nouveaux venus (Alpha Condé et Mahamadou Issoufou dirigent des partis membres de l’Internationale socialiste ; mais c’était le cas, aussi, d’un des partants, Gbagbo, tandis que Kadhafi aimait à se présenter comme un leader « progressiste »).

Une analyse de cette situation en termes « d’idéologies » n’aurait aucun sens. Les idéologies impliquent un positionnement spécifique de part et d’autre ; or il n’en est rien : Condé est plus proche, idéologiquement, de Gbagbo que de Ouattara ; et il n’y avait rien de commun, idéologiquement, entre Kadhafi et Ben Ali, pas même entre les putschistes nigériens et les putschistes guinéens. Alors, d’où vient cette « concordance des temps » ? Il y a trente ou quarante ans, au vu de ce qui vient de se passer, on aurait évoqué la CIA, les « réseaux Foccart », le MI6... Aujourd’hui, rien de tout cela. Rien d’autre que la « capacité d’absorption » par Washington des mouvements sociaux mondiaux ; rien d’idéologique, que du pragmatique. « Yes, we can ».

Illustration : à l’ambassade US à Abidjan, le secrétaire d’Etat adjoint du Bureau Afrique, William Fitzgerald, vient de réunir les ambassadeurs US de six pays de la région (Côte d’Ivoire bien sûr, Burkina Faso, Ghana, Guinée, Liberia, Sierra Leone et Mali). Alors que la situation ivoirienne est loin d’être stabilisée et que le « statut » de Gbagbo fait débat, le patron Afrique de l’administration US fait le déplacement pour assurer les responsables politiques ivoiriens que Washington partage leur « vision de faire de la Côte d’Ivoire la locomotive de la sous-région » et les assurer qu’il est « évident que le nombre de compagnies américaines qui travaillent ici va augmenter à l’avenir ». Lors de la conférence des ambassadeurs US, il soulignera « l’importance de la Côte d’Ivoire et des pays voisins dans le cadre des efforts en vue de la promotion de la démocratie, des droits de l’homme et des opportunités économiques ». Imagine-t-on, il y a quelques décennies, que l’on aurait pu même sur le même plan, la démocratie, les droits de l’homme et les « opportunités économiques » ?

Les Américains vont plus loin : Philipp Carter III, l’ambassadeur US à Abidjan, n’hésite pas à proclamer : « Nous souhaitons un fort taux de participation à ces législatives [il s’agit, bien sûr, des législatives ivoiriennes qui doivent se dérouler avant fin 2011]. Le gouvernement des Etats-Unis fera ce qu’il peut au même titre que les autres bailleurs de fonds pour aider au succès de ces élections ». Et il ajoute, sibyllin : « Nous l’avons déjà démontré et vous pouvez compter sur nous pour le refaire. En tout cas, avec notre système de travail, il est impensable de faire d’un vainqueur un vaincu et vice versa ». En d’autres temps, on aurait dénoncé l’ingérence US dans les affaires africaines, des « régimes fantoches », la militarisation de l’Afrique par l’Amérique (dans le même temps, un bâtiment de l’US Coast Guard, le Cutter Forward, escalait à Conakry dans le cadre de la sécurisation des frontières maritimes des pays membres de Africa Partnership Station - APS -, afin de renforcer la coopération militaire entre la Guinée et les Etats-Unis)… Aujourd’hui, on écoute seulement Obama nous dire : « Yes, we can ». O.K. ! Ils peuvent le faire et ils le font !

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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