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Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

Publié le jeudi 18 août 2011 à 01h37min

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Le dernier Conseil des ministres, celui du 3 août dernier, a décidé de réviser une nouvelle fois la RAF, c’est-à-dire la loi portant Réorganisation agraire et foncière dans notre pays. Le texte du projet de loi n’est pas encore connu, mais les éléments du compte rendu du Conseil des ministres permettent d’en esquisser les orientations. Le projet de loi de relecture de la RAF devrait être pour l’essentiel, une mise en "cohérence avec les nouvelles lois sectorielles sur le foncier". Il s’agit principalement de prendre en compte les éléments introduits par la loi 034, portant régime foncier rural au Burkina Faso. Or cette loi affirme des modèles socio-économiques, dont on n’a pas le courage de dire toute la nocivité. La loi 34 redonne la force en réalité à deux acteurs : Les coutumiers/ propriétaires terriens et les agro businessmen.

Les premiers sont déjà constitués et c’était justement contre leur emprise sur le seul moyen de production accessible à la grande majorité que les révolutionnaires, (disons Thomas Sankara), avaient inventé en 1984 la RAF. Une phrase du Conseil des ministres restitue de façon suffisamment claire le contexte de l’adoption de la RAF sous la révolution : "Le gouvernement en élaborant en 1984 cette loi était préoccupé par la résolution des problèmes du secteur agricole notamment les conflits agriculteurs-éleveurs, les entraves coutumières, l’occupation anarchique des terres, etc". Une des mesures qui avait mis tout le monde sur le même pied d’égalité dans l’accès à la terre, c’était d’avoir déclaré "la terre, propriété de l’Etat".

Cette disposition anéantissait les prétentions coutumières, pas toujours correctement fondées, et minimisait les conflits sur la terre.
Les deuxièmes acteurs favorisés par la loi 34, ce sont les agro businessmen en constitution. Ce sont des acteurs nouveaux, parfois des agriculteurs du " dimanche ", mais qui introduisent la spéculation foncière dans les terroirs et désorganisent les rapports sociaux, dont on ne mesure pas pour l’instant toutes les conséquences.

En 1984, quand la RAF était adoptée, la pression sur la terre était moindre par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui. En 1984, les Burkinabè étaient à peine 8 millions. Aujourd’hui, ils sont 16 millions. 80% des Burkinabè continuent de vivre essentiellement de la terre. La forme d’exploitation agricole courante reste l’exploitation de type familial avec en moyenne une vingtaine de personnes par exploitation. Dans ces conditions, l’option d’une loi foncière qui privilégie seulement 15% de la population est-elle politiquement opportune ? C’est pourtant ce que nous sommes entrain de mettre en place sans l’affirmer vraiment. Ce qui se prépare sur le terrain est le suivant :
Là où la terre est encore abondante, comme dans le Ziro, c’est une spéculation effrénée dans la confusion la plus totale. Tous les obscurs descendants des premiers occupants se croient fondés à vendre la terre. Disons plus honnêtement à brader la terre.

Les populations qui se sont installées sur les mêmes terres, mais qui ne sont pas de l’ethnie locale, sont dépossédées des terres qu’elles occupent depuis plus de trente ans. Elles sont infondées à faire prévaloir leur droit sur la terre, parce que coutumièrement elles sont allochtones et la loi 34 fixe deux nouvelles épreuves qu’elles ne peuvent pas franchir. La condition des années d’occupation et l’attestation du procès verbal de palabre. Ces éléments ne sont attestés et acceptés que par les supposés premiers occupants qui ne peuvent être que de l’ethnie locale. La loi 34 est venue donc aggraver la situation sur le terrain, non plus pour les éleveurs seulement, mais aussi pour les agriculteurs allochtones, comme on a pu le voir, il y a quelques mois, à Solenzo.

Là où la surpopulation a déjà atteint des seuils de rupture, la guerre de la terre n’est plus qu’une question de jour. Avec la loi 34, les propriétaires coutumiers, à bon droit, ont commencé à immatriculer les terres qui sont supposées leur appartenir au risque d’exproprier des occupants qui y sont depuis des années immémoriaux. Mais comme leur ancêtre s’était installé avec l’accord de l’ancêtre du propriétaire actuel, l’occupant allochtone n’a aucun droit. L’Etat, dans le sillage de la décentralisation, a mis en place les Comités Villageois de Développement (CVD) qui devraient amoindrir les excès des premiers occupants, mais ce sont des structures sans pouvoir et sans prérogatives réelles. Ce sont des " machins " semblables à ces brigades de police de proximité qui n’ont jamais existé. Jusque là, l’émigration avait joué les soupapes de régulation. Elle n’est plus possible. Il faut même s’attendre à des expulsions massives dans les années à venir.

Le vrai problème sur cette question foncière reste la volonté politique. Que le gouvernement fasse le choix d’une économie et d’une société libérale, c’est son droit. Il lui faut l’assumer et prendre les mesures pour que la justice sociale indispensable à la paix sociale prévale. Or cela n’est pas visible sur le terrain. Dans le flou actuel, chacun fait ce qu’il veut. La situation est entrain de pourrir. Quand ça va exploser, ça va être difficile à gérer et le coût humain sera effroyable. Pour celui qui prend la peine de se rendre sur le terrain, les tensions sont là, perceptibles. Il suffit d’un rien pour que ça explose.

Il faut donc conformer la RAF en introduisant les nouvelles dispositions des lois sectorielles. Mais il faut plus. Il faut adresser vraiment et sérieusement la question du foncier sur le terrain. Si le gouvernement continue la politique de l’autruche sur cette question, il met le pays en danger. C’est maintenant qu’il faut agir. Sinon dans les conflits qui se préparent, les bons offices gouvernementaux seront accueillis avec des coups de fusils. Que ceux qui croient le propos excessif fassent un tour sur le terrain et écoutent les frustrations qui se fermentent.

Par Newton Ahmed Barry

L’Evénement

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Vos commentaires

  • Le 18 août 2011 à 02:52 En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    Le probleme est que je ne vois pas un Thomas Sankara pour nous delivrer ! Dieu, sois notre secour !

  • Le 18 août 2011 à 09:06 En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    Très bonne analyse. Plus grave, le Burkina aura des centaines de milliers de paysans sans terre d’ici 2020 comme au Brésil et des millions d’ici 2030. Un pays rural comme le Burkina doit d’abord et avant tout développer l’agriculture familiale, respectueuse de l’environnement, pourvoyeuse d’emplois et qui développe l’économie locale. Quand aux agrobusinesmans, on aura bientôt des favelas comme au Brésil qui seront plus ou moins branchés à l’économie mondiale et qui ne générera pratiquement rien comme rentrée de devises au Burkina sauf créer des problèmes sociaux graves sur le terrain comme le développement des agrocarburants au détriment des céréales, etc. Politique de courte vue quand on sait que le pétrole triplera son coût d’ici 2030 avec la raréfaction en cours. La seule issue pour le Burkina est l’agroécologie et de s’adapter aux changements climatiques.
    Finalement, on voit pour qui bosse nos gouvernants à savoir une petite classe de privilégiée et non pour l’immense majorité du peuple qui survit au jour le jour

  • Le 18 août 2011 à 10:06 En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    Très cher Newton,
    C’est tout simplement l’un des signes annonciateurs des rafales qui précèdent la tornade et/ou la tempête, le chaos qu’on crée pensant pouvoir continuer "à gouverner" lorsqu’on admet implicitement qu’on a échoué à gouverner dans l’ordre, la discipline avec le souci et l’espérance d’un jour meilleur pour son peuple. Ayons nos mains sur nos têtes, le tonnerre gronde déjà et il est tellement si différent du tonnerre de la saison que mêmes les sourds ne le sentent pas seulement mais l’entendent.

    Respectueusement votre.
    Karim

  • Le 18 août 2011 à 11:25, par Oser inventer l’avenir En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    Merci pour la pertinence de cet article .Le constat n’est plus à faire ,les faits sont mesurables sur le terrain,l’heure est à la recherche de solutions pour éviter le bain de sang qui se profile à l’horizon.
    Que ceux des gouvernants qui ont encore de l’esprit comprennent la sagesse de cet opinion de BArry.

  • Le 18 août 2011 à 12:29, par TGM En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    Soyez un peu optimiste dans votre analyse. Les Burkinabés savent se comprendre. On ne va pas arriver á un conflit de l’ampleur telle que vous decrivez.

    • Le 18 août 2011 à 17:27 En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

      Bjr j ai le plaisir de prendre part a ce debat que Mr Newton a souleve. Vous m excuserez de l absence des accents due a mon computer qui est anglais -arabe. Bref le precedent lecteur ignore profondement les realites du terrain qu il fasse un tour a son propre village il trouverra sans doute un frere un coussin ou un neuveu lui dire qu il a ete victime de retrait d une partie ou toute de sa parcelle familliale si ce n est au benefice d un expatrie ( blanc c est ce qu on dit au village)ou que s ais-je encore . J encourage newton a creuser fort pour que cette hemoragie cesse dans nos villages sinon on se retrouvera un jour sans village .......... sans pays Merci Newton. Un burkinabe loin du pays.

  • Le 18 août 2011 à 12:38, par zoulli En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    Le problème du foncier au burkina est vraiment une bombe à rétardement.Il faudra faire de sorte que les conflits ne naissent surtout que la prevention est nulLe dans notre pays.
    aucun village ne sera à l’abrit vue le brassage de la population.

  • Le 18 août 2011 à 13:03, par leregard En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    En côte d’Ivoire la question de la terre est pour quelque chose dans la guerre civile. Notre gouvernement devra faire très attention. On a déjà des conflits dans des zones aménagées (vallée de la Nouaho, Sidéradougou, Manga, etc.).D’autres zones aménagées auraient refusé d’accueillir des allogènes (Bagré). Des gens du pouvoir sous le fallacieux prétexte de faire de l’agro-business, se sont taillés de grands domaines dans des régions dont ils ne sont pas originaires (pour leur faciliter la tâche d’ailleurs, des dispositions spéciales avaient été prises pour l’obtention du titre foncier : le gouvernement avait allégé pour une courte période, mais assez longue pour que ces gens obtiennent ce dont ils ont besoin sans supporter les frais réels : le même exercice a été fait pour l’importation des véhicules de transports (vol légalisé). Personnellement je n’ai rien contre l’agro-business, mais je dis que l’agriculture familiale forte est la meilleure (en Europe agriculture française est la première. elle est essentielle familiale). Bien sûr à côté, on pourra toujours faire de l’agro-business. Au Sourou, des terres avaient été données à un des milliardaires burkinabè pour y faire de l’agro-business. je ne suis pas sûr que cette personne exploite ces terres. L’agro-business, c’est la création d’ouvriers agricoles et le renchérissement des prix des produits alimentaires (les investisseurs ne sont pas des philanthropes)avec tout ce que l’Amérique latine connaît pour s’être massivement tournée vers ce secteur (crimes, troubles sociaux, etc.). Le Burkina peut-il se payer le luxe d’un tel climat social ? Par ailleurs, il semble que dans des zones aménagées (Bagré), les populations autochtones auraient empêché l’implantation de populations halogènes !
    Le problème au Burkina, les lois sont faites pour satisfaire quelques personnes du pouvoir, pire la plupart des lois n’ont rien à voir avec nos us et coutumes. Or, me semble-t-il, pour que la population se reconnaisse dans les lois , celles-ci devraient écrite pour codifier nos us et coutumes. Donner une force à l’agro-business conduira inévitablement à des conflits. Aujourd’hui les populations dont les terres sont convoitées ont leurs enfants qui ont fait de bonnes études contrairement la situation il y a quelques années. Ces enfants ne seront pas d’accord que les terres de leurs ancêtres (nulle part au Burkina, cela est accepté) soient vendues ou tout simplement pillées par les tenants du pouvoir. Ils les réclameront d’une manière ou d’une autre. ce sera la guerre civile. Déjà, il y a les prémices (chaque jour , des conflits éclatent dans les régions au Burkina sur la question de la terre). Alors, revenons à nos us et coutumes et codifions les pour plus de clarté. chaque village au Burkina connait les limites de ces terres. Personne ne peut impunément se les approprier même avec le concours de la "loi". Il y aura revendication. Je crois que l’agro-business devrait s’orienter vers la transformation des produits agricoles, l’organisation des producteurs par filière comme SOFITEX, occuper les terres les plus difficiles pour des exploitations que les populations ne font pas (gomme arabique, amélioration du pâturage naturel, etc.).
    Épargnons le Burkina de telles catastrophes car le pays n’a pas assez de ressorts pour rebondir après une guerre civile.

  • Le 18 août 2011 à 13:33, par Ad’mada En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    Merci mr Newton !
    Que tout le monde sache que ce sont certains gourous du régime qui sont allés s’accaparer des terres dans le Ziro. Si aujourd’hui il y a guerre civile à cause des terres, Le Président COMPAORE et tous ses différents gouvernements sont les premiers responsables.

    J’ai la même vision que vous. SOS aux paysans de Sapouy et leurs terres.

    Il faut interdire la vente et l’achat des terres dans cette zone restituer les terres déjà vendues.

  • Le 18 août 2011 à 19:24, par Le Prédicateur En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    Mon cher ami, très bonne vision. On n a pas besoin d’aller sur le terrain pour se rendre compte de la gravité de la situation. J’ai pu assister à un atelier d’amendement de l’avant projet de loi. A l’époque on avait attiré l’attention des cadres du MAHRH sur la mise de la dite loi. Ce que j’ai pu constater c’est qu’elle a été adoptée textos. Nous avons juste été informés, notre appréciation n’a pas servie. C’est comme ça dans ce pays où personne ne peut contre carrer une loi même dangereuse qu’elle soit. C’est vraiment dommage !

  • Le 23 août 2011 à 16:44, par bogui En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    J’ai eu la chance de participer à l’adaptation de la loi 034 en boîte à images. J’avoue qu’elle est quand même bénéfique pour les allochtones qui ont donc désormais des quaranties sur leurs terres qu’ils explitent. Mais là où il faut améliorer c’est surtout la vente des terres. Voyez-vous, de Ouaga à Ziniaré, ou à Tanghin-Dassouri par exemple, je ne pense pas qu’il est de terres libres. Les soit-dissant agrobusinessmen ont tout acheté pas pour cultiver mais pour d’autres fins.C’est là que le conflit va naître, car les petits fils des propriétaires un jour, ou tôt ou tard, voudront de la terre, et n’en trouveront pas malheureusement.

  • Le 23 août 2011 à 23:24, par WISDOM En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

    Je ne sais comment vous remercier M Newton pour ce travail abattu. Je ne connais pas trop les contours de la loi 034 mais je n`aimerais voir la terre de mes ancetres octroyee a quelqu`un par l`Etat soit disant que c`est un agrobusinessman, excusez mes propos, sauf si je vis plus parce que on ils ont tout les moyens pour piller nous les pauvres. On ne se laissera pas faire. Si vous voulez en savoir plus, je suis Lobi et chez moi la terre reste sacree. En tout cas je suis pret a prendre une arme(une fleche pour mes esclaves) contre celui qui va s`avanturer sur le terrain de mon pere. Trop parle, vous avez rempli vos poches laisser nous cultiver notre terre gagner notre pain quotidien au lieu de creer une guerre qui ne fera que nous metre en retard.

    • Le 24 août 2011 à 23:41, par badou En réponse à : Façon de voir : La terre va être source d’une grave guerre civile dans notre pays

      salut les freres Burkinabés
      je partage ividemment votre analyse.
      Les multiples relectures de notre loi fonciere qu’est la RAF n’est qu’une facon de rendre toujours plus disponible les terres afin de s’en accaparer.
      Seulement si le pouvoir en place pouvait mesurer la portée car il y aura d’une part une certaine crise interne entre les communautés pas parce que c’est de l’ethnicisme mais c’est l’histoire de notre patrie qui l’impose.
      En ce sens que si vous prenez la region de l’ouest les populations du centre et celles du nord sont installées pour produire et bien produire qafin de participer a leur maniere a l’effort de developpement.
      Mais cette loi risque je dis bien risque de nous diviser car celles ci ne pourront pad etablir le fait qu’elles soient proprietaires terriens
      A quoi cela nous conduirait
      Comment pourraient elles face a ces chefs coutumiers qui sont de moins moins soucieux de ceux qui vivent soi disant dans leur ressort
      Autant de questions qui pourraient si on en prend garde nous mettre en mal
      Pensons à la crise ivoiriennne ou nous etions taxés d etrangers .................
      Prenons garde
      A bon entendeur
      badou

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