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RECONNAISSANCE DU SOUDAN DU SUD PAR L’UA : Au-delà du symbole

Publié le mercredi 17 août 2011 à 02h19min

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Bon gré, mal gré, les Etats africains vont devoir entériner la reconnaissance récente par l’Union africaine (UA) de son 54e membre : le Soudan du Sud. Il émerge des cendres de l’entité ayant jusqu’alors constitué le Soudan. Pourtant, ses habitants et leurs leaders ont dû batailler fort pour en arriver à cette reconnaissance officielle le 27 juillet 2011 à Addis Abeba (Ethiopie). D’abord, les fils et filles de la République du Soudan du Sud ont dû recourir aux armes. Les 20 ans de guerre civile auront ainsi coûté 2 millions de morts. L’indépendance est survenue après un référendum le 9 juillet dernier.

Parmi ceux qui n’auront pas vu le lever du soleil de cette indépendance, figure John Garang, leader historique du Mouvement pour la libération des peuples du Soudan du Sud. Décédé dans un accident d’hélicoptère, il aura pour successeur en 2005 : Salva Kiir Mayardit.

Ce dernier, en homme de terrain, avait su gérer le processus du référendum de main de maître. Après moult négociations menées habilement avec Khartoum, il était parvenu à arracher son pays des griffes du président El Béchir avec l’appui de la communauté internationale. Aujourd’hui, président de la République du Soudan du Sud, Salva Kiir passe pour un homme conciliant. Il aura néanmoins fort à faire, avec des problèmes de sécurité interne et une opposition « en pleine ébullition ».

En admettant le Soudan du Sud comme membre à part entière, l’UA a sans doute pris certains de court. Depuis dix-huit ans en effet, l’organisation n’avait pas intégré de nouveau membre. Contrairement à l’évidence, les choses ne paraissent pas aussi simples. Cela revient à toucher aux frontières du continent. Or, en 1964, l’UA, alors Organisation de l’unité africaine (OUA), avait défendu l’intangibilité des frontières. C’est donc dans la douleur que l’organisation panafricaine déroge à cette règle.

L’Erythrée fut le dernier Etat à entrer dans l’Union en 1993 après 30 ans de guerre d’indépendance contre l’Ethiopie. Par contre, en 2005, l’UA a rejeté la demande de reconnaissance de la région autonome du Somaliland. Une demande formulée en pleine guerre civile. Aujourd’hui, d’aucuns pourraient indexer l’UA pour ses positions qui frisent parfois une certaine incohérence. Nul n’ignore, en effet, que la question de l’indépendance du Soudan du Sud n’a pas été aussi facile à traiter. Le chef de l’Etat soudanais, El Béchir, a dû reculer face à la pression de la communauté internationale. Celle-ci avait été scandalisée par une mal gouvernance, laquelle en empruntait au génocide de peuples aux réalités culturelles et aux aspirations fondamentalement différentes de ceux de la plupart de leurs « ex-compatriotes » d’origine arabe.

L’UA a presque été mise devant le fait accompli. Mais, avait-elle vraiment le choix ? Le Soudan est un pays dirigé de main de fer depuis de nombreuses années par El Béchir, poursuivi par le Tribunal pénal international. Le vin ayant été tiré, il fallait bien le boire ! Reste à savoir si le sacro-saint principe de l’intangibilité des frontières ne va pas à nouveau susciter des débats. Reconnaître de nouveaux Etats africains constitue-t-il une solution durable pour la paix ou cela ouvre-t-il la boîte de Pandore ? Toujours est-il que le Soudan du Sud est né dans un contexte africain marqué du sceau de la pauvreté, de la discrimination et de l’impunité, lesquelles ont le plus souvent engendré souffrances, conflits fratricides et déplacements de populations.

Or, au plan interne, les nouvelles autorités du Soudan du Sud ont besoin d’être guidées et épaulées. Elles auront donc du mal à trouver des Etats susceptibles de leur servir de références. En effet, presque partout, en Afrique, la corruption a gangréné l’appareil d’Etat et sclérosé les esprits. Gagnées par la boulimie du pouvoir et transformées par la mégalomanie et le goût immodéré de l’argent, les élites tournent allègrement dos aux valeurs célébrant l’honneur et la dignité, le mérite et le respect de la vie naguère considérée comme sacrée. Ouvertement, on cultive l’arrivisme plat, l’incompétence et le déni des droits humains. Même s’ils clament haut et fort leur adhésion aux principes chers à la démocratie républicaine, très peu de dirigeants africains et leurs partisans, osent vraiment les respecter dans les faits. De sorte qu’en dehors de quelques exceptions vite ternies par des manquements graves, des modèles vont manquer cruellement à Salva Kiir et ses compagnons. Aussi faut-il souhaiter au nouvel Etat un bien meilleur avenir, et surtout l’aider à relever des défis qui sont à la limite de l’insurmontable.

Si l’UA brille par ses incohérences, c’est qu’elle reflète la vie des Etats membres eux-mêmes. Dans ce sens, le Soudan du Sud apprendra vite qu’il y a un discours qui se tient dedans, et un autre dehors. Le jeu des relations internationales est devenu si ambigu que la diplomatie souffre de louvoiements incessants. En la matière, la multiplicité des réseaux, leur connexion avec d’autres situés hors du continent, n’ont pas que des avantages. Les mains, les pieds aussi bien que la langue, peuvent se retrouver liés à un moment ou un autre de la vie d’un dirigeant qui nourrit des ambitions légitimes pour son pays. Il faut souhaiter que le nouvel Etat donne à d’autres, indépendants depuis une cinquantaine d’années, de véritables leçons au plan des droits humains, de la démocratie, du développement intégré et du juste partage des ressources nationales. La valeur d’un Etat n’est point proportionnelle au nombre d’années d’indépendance. Aussi, les dirigeants du Soudan du Sud devront-ils faire l’effort de se distinguer de ceux généralement épinglés par l’opinion.

Mais, outre sa reconnaissance par l’UA, le Soudan du Sud gagne-t-il vraiment dans l’opération ? Comment dans cette ambiance, parvenir à recoller les morceaux d’une entité à la recherche d’une véritable identité ? Certes, le Soudan du Sud dispose d’un drapeau national et de sa monnaie propre. Mais la question des frontières nationales reste toujours posée, particulièrement avec Khartoum qui n’a pas accepté de bon cœur ce départ quelque peu forcé de sa vache à lait (pétrole !). Avec le grand frère de Khartoum, il va donc falloir déployer d’intenses énergies dans le futur afin de trouver une solution aux problèmes qui fâchent.

Parallèlement, Salva Kiir et son équipe devront œuvrer à unifier, pacifier et réorganiser le pays. Nul doute qu’en vue d’un meilleur développement du Soudan du Sud, l’on aura besoin de mobiliser les compétences tous azimuts. Outre les cadres de sa propre diaspora, le pays pourra compter sur la contribution de nombreux Africains d’ailleurs. Sans doute qu’avec la reconnaissance de l’UA, les organisations interafricaines afflueront aux portes du nouvel Etat. Celui-ci, comme tout bébé dans son évolution, aura certainement besoin d’un coup de pouce pour avancer. Mais, si la quête de soutien diplomatique est inévitable, le Soudan du Sud n’aura certainement pas besoin que les Etats membres de l’UA s’enlisent, à son propos, dans des querelles de chiffonniers comme ils en ont l’habitude, au risque de ternir encore une fois la réputation de l’organisation panafricaine.

"Le Pays"

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