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Chronique de la fondation « houphouëtiste » de la République de Côte d’Ivoire (3/5)

Publié le jeudi 11 août 2011 à 01h46min

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Au lendemain des incidents de Dimbokro (cf. LDD Côte d’Ivoire 0336/Lundi 8 août 2011), à l’occasion de son discours au stade Géo-André, à Abidjan (6 octobre 1951), Félix Houphouët-Boigny déclarera notamment : « Le RDA peut beaucoup dans ce pays : il peut et doit rapprocher les hommes de bonne volonté, quelle que soit leur idéologie politique, pour la réalisation en commun d’un programme de progrès économique et social, dans l’intérêt supérieur de la Côte d’Ivoire, de la France et de l’Union française...

[…] Nous avons fait triompher à Bamako la thèse de la collaboration avec la nation française et son peuple généreux sur la thèse de l’autonomie. Cela suppose inévitablement la collaboration avec tout gouvernement légal que la République se sera donné […] La République est faite de l’union de toutes les régions qui la composent. L’Union française sera la synthèse harmonieuse de toutes les unions locales puisant ses forces dans la communauté des intérêts à développer, à défendre, à sauvegarder ».

Houphouët-Boigny s’était donné le cadre d’action (qui, bien sûr, ne satisfaisait pas tout le monde) qu’il jugeait le plus apte à permettre l’évolution économique et sociale de l’Afrique en général et de la Côte d’Ivoire en particulier (dans la perspective, évidente, d’une hégémonie politique, économique et sociale de la caste des propriétaires terriens ivoiriens dont il était le représentant). Les années 1940 avaient été celles de l’apprentissage du combat politique. Les années 1950 lui permettront de s’initier, par le haut, aux pratiques de la IVème République française et de jouer de ses contradictions pour l’obliger à évoluer d’une ligne dure, conflictuelle, vers des positions plus modérées ouvrant la porte aux négociations.

Les années 1950 lui auront permis, sur cette base, d’augmenter ses exigences dès lors que ses capacités politiques (ou, plus exactement, d’encadrement politique) auront été reconnues. Houphouët-Boigny jouera la carte de la légalité ; et saura utiliser les structures mises en place, notamment l’instauration, le 30 avril 1946, du Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer (FIDES). Son raisonnement était simple : « Les difficultés sociales, le malaise de la fonction publique ne sont pas la conséquence de l’insuffisance des ressources mais résultent d’une évolution plus rapide des mœurs que le développement économique ».

Des mesures avaient certes été prises par les autorités françaises pour mettre en valeur, économiquement, les colonies (régime minier, régime douanier, caisse de soutien des prix des produits agricoles instaurée, en Afrique francophone, le 14 octobre 1954) ; mais Houphouët-Boigny plaidera pour l’octroi de facilités aux industries naissantes, l’accroissement des investissements publics ou privés, l’organisation de l’économie rurale. Il développera surtout, à cette époque, la thèse selon laquelle la Côte d’Ivoire, qui dispose d’avantages comparatifs certains par rapport à ses voisins doit être, dans la sous-région, un pôle de croissance et de développement bénéficiant à tous. « Je ne pense pas uniquement à la prospérité de la Côte d’Ivoire en sollicitant que l’aide financière de la métropole soit plus massive. Je songe beaucoup plus à l’avenir de l’ensemble franco-africain et, singulièrement, à la contribution que les territoires riches de l’Afrique française peuvent apporter au relèvement économique de leurs voisins plus déshérités…

« Nous sommes convaincus, en effet, qu’en hâtant la mise en valeur de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, du Cameroun nous rapprochons l’heure où la métropole ne comptera plus sur son seul effort pour l’équipement de la Haute-Volta, du Niger et du Tchad […] L’avenir, en Côte d’Ivoire, est plus facile à construire que partout ailleurs. Le café, le cacao, le bois, qui assurent au territoire un des plus florissants budgets de la Fédération, sont des facteurs de prospérité qui situent la Côte d’Ivoire au cœur de l’action de rénovation économique et sociale de l’Afrique ».

Autant de positions, jugées par la suite pragmatiques, qui le couperont d’organisations africaines plus radicales. L’Union des populations camerounaises (UPC) se verra ainsi, en 1955, exclue du RDA pour dérive vers des positions idéologiques proches de celles du Comité de l’unité togolaise (CUT) qui posait en termes clairs et immédiats la question de l’indépendance des pays africains, notamment ceux qui, ayant échappé au statut de colonies, avaient été placés sous tutelle. Houphouët-Boigny refusait-il l’indépendance ? Non ; mais c’était trop tôt, disait-il. « Nous ne construirons pas l’Afrique en nous enflammant pour de grandes idées en avance sur l’événement, nous bâtirons notre force sur la prospérité du paysan et le labeur productif du salariat qualifié… Il n’y a pas, il ne peut y avoir action utile en dehors de la coopération avec l’administration [coloniale]. Convaincus que, s’il existe d’autres voies pour l’émancipation africaine et l’avenir franco-africain, celles que nous proposons sont les plus raisonnables parce qu’elles font appel à l’effort de tous, à l’intérêt des parties en présence, à la compréhension mutuelle et au respect des originalités ».

Politique payante. Le RDA remporte une large victoire aux législatives de janvier 1956. Et le 1er février 1956, Guy Mollet proposera au leader ivoirien un job de ministre délégué à la présidence du Conseil. Certains y voient un hommage au continent tout entier. D’autres, la récompense d’une politique avérée de collaboration. Houphouët-Boigny n’y voit que l’occasion de se trouver mieux placé pour promouvoir le développement des colonies françaises d’Afrique. Dès le 29 février 1956, un projet de loi sera déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale française « autorisant le gouvernement à mettre en œuvre les réformes et à prendre les mesures propres à assurer une évolution des territoires relevant du ministre de la France d’outre-mer ». Dans sa chronique historique (« Le Combat du Rassemblement démocratique africain », éditions Présence africaine, Paris 1983), qui sert de fil rouge à cette « Dépêche », son auteur, Gabriel Lisette, précisera que « le projet de loi porte la signature de Guy Mollet, président du Conseil, Gaston Defferre, ministre de la France d’outre-mer, et François Mitterrand, garde des Sceaux, mais le ministre délégué Félix Houphouët-Boigny, qui en a été l’inspirateur, a été étroitement associé à son élaboration ». Quoiqu’il en soit, la loi-cadre est adoptée le 23 juin 1956 et ouvre de nouvelles perspectives aux colonies françaises d’Afrique.

En juin 1957, Houphouët-Boigny sera porté à la présidence du Grand Conseil de l’AOF. C’était l’occasion pour lui de réaffirmer ses positions, notamment son combat (qui sera celui de la second moitié des années 1950) en faveur d’une plus large union de l’Afrique, de l’Afrique et de la France et, aussi et déjà, de l’Afrique et de l’Europe. Son combat pour l’union s’inscrivait dans la volonté de « consolider l’autonomie de chaque territoire et l’indispensable coordination des activités de tous, principalement dans le domaine économique […] Les droits politiques étendus feront-ils le bonheur des Africains sans une structure économique saine que seule la métropole peut nous aider à nous procurer ? […] Il faut aller à l’idéal en tenant compte du réel. L’idéal, c’est le bien-être de tous dans la liberté. Le réel, c’est l’état de l’Afrique… Et pour cela, l’union devient pour tous un impérieux devoir. Nous unir pour créer le climat nécessaire à l’aide, aux investissements accrus de la métropole d’abord, de l’Europe ensuite. Car nous estimons que la communauté franco-africaine n’est pas exclusive de tout concours étranger. En donnant notre accord pour l’entrée de nos territoires d’Afrique dans le marché commun, nous avons le sentiment d’avoir prévu leur intérêt bien compris ».

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 11 août 2011 à 05:26, par De Chicado En réponse à : Chronique de la fondation « houphouëtiste » de la République de Côte d’Ivoire (3/5)

    Ainsi Houphouet voulait qu’on aide la Cote d’Ivoire pour la Cote d’Ivoire aide plus tard la Haute Volta a se developper. non seulement donc il a detourner nos fonds, en plus il a participer a l’assassinat de celui qui voulait nous developper. je remercie le journaliste pour ce rappel historique qui est un cours d’histoire pour ma generation.

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