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Tsutomu Sugiura, ambassadeur du Japon au Burkina : "Celui qui a connu une épreuve, comprend la situation de celui qui est en difficulté"

Publié le jeudi 4 août 2011 à 04h04min

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Tsutomu Sugiura est le premier ambassadeur résident du Japon au Burkina Faso, depuis l’ouverture de l’ambassade du pays du Soleil levant à Ouagadougou en janvier 2009. Dans l’interview qu’il nous a accordé, le 29 juillet, le diplomate nippon parle de la coopération entre les deux pays qui s’est beaucoup renforcée ces deux dernières années et de la récente crise qui a secoué le Burkina ayant entraîné le rapatriement de la centaine de volontaires japonais officiant dans les provinces...

Sidwaya (S.) : En janvier 2009, votre pays ouvrait une ambassade à Ouagadougou, avec vous comme premier ambassadeur résident. Deux ans après, comment se portent les relations entre le Japon et le Burkina ?

Tsutomu Sugiura (T.S.) : Je crois que les relations entre le Japon et le Burkina Faso ont été renforcées sans aucun doute depuis l’ouverture de l’ambassade à Ouagadougou en janvier 2009, notamment depuis mon installation en tant que premier ambassadeur résident au Burkina Faso. J’ai parcouru les quatre coins du pays des Hommes intègres et rencontré de nombreuses populations locales et fait des échanges amicaux avec des villageois. C’est une expérience enrichissante pour moi. Cette sorte d’activité serait impossible si je n’étais pas ambassadeur résident.

S. : Quels sont les domaines dans lesquels le Japon entretient sa coopération avec le Burkina ?

T.S. : Conformément aux engagements que le gouvernement du Japon a pris à l’occasion de la TICAD IV en 2008, la Coopération japonaise vise à soutenir les efforts des pays en développement, en vue de leur décollage économique. Par conséquent, le Japon exécute sa coopération économique pour aider à assurer une distribution efficiente et équitable des ressources et une bonne gouvernance dans les pays en développement, à travers la satisfaction des besoins essentiels humains, le développement des ressources humaines et des infrastructures socio-économiques. La détermination du Japon à contribuer activement aux efforts de développement du Burkina Faso se concrétise à travers plusieurs activités de coopération. Notre coopération économique se renforce dans les domaines prioritaires que sont l’éducation, l’eau potable, la santé, l’agriculture, l’environnement et l’aide alimentaire. La coopération technique est un volet important de notre coopération bilatérale.

Elle a connu une évolution considérable, par l’envoi d’ experts et de jeunes volontaires japonais dont le nombre s’élève à plus de cent au Burkina Faso et l’accueil au Japon de nombreux fonctionnaires burkinabè pour participer aux stages de formation que l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) organise. En plus de notre coopération économique et technique, nous estimons qu’il est important de développer davantage les contacts humains et les échanges culturels.

A ce sujet, je voudrais rappeler les récents séjours au Burkina Faso du célèbre anthropologue japonais, le Pr Junzo Kawada dans le cadre du SITHO et de l’ambassadeur Koïchiro Matsuura, ancien directeur général de l’UNESCO, qui a animé une conférence au cours de laquelle, il a retracé les 50 dernières années de nos relations amicales et présenté les nouvelles orientations de notre future coopération pour soutenir le développement socio-économique du Burkina Faso. De plus, à l’occasion du dernier SIAO, les jeunes volontaires japonais, en collaboration avec des ONG burkinabè impliquées dans la protection de l’environnement, ont présenté au public leur savoir-faire en matière de récupération d’ordures plastiques. Ce type de relation contribue à la compréhension mutuelle et à la tolérance entre les peuples, facteurs indispensables pour la construction d’un monde de paix. Sur le plan international, le Burkina Faso et le Japon entretiennent également une excellente relation de collaboration au sein des différentes instances de l’Organisation des Nations unies, car nous partageons la même vision de paix et de solidarité.

C’est pourquoi, le Japon compte sur la précieuse coopération du Burkina Faso sur les débats qui sont en cours, dans le cadre des réformes du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Japon, en tant que pays ami du Burkina Faso, a toujours l’intention de soutenir les efforts du gouvernement burkinabè pour l’amélioration des conditions de vie des populations.

S. : Depuis 2009, à combien peut-on estimer l’enveloppe financière consacrée à cette coopération ?

T.S. : Depuis l’établissement des relations diplomatiques entre nos deux pays en 1962, environ cent soixante (160) milliards de francs CFA ont été octroyés au Burkina Faso par le Japon pour la réalisation des projets de coopération dont plus de 47 milliards de francs CFA depuis 2009, année d’ouverture de l’ambassade du Japon à Ouagadougou. Ceci traduit le renforcement continu des relations entre nos deux pays.

S. : Le Burkina a connu recemment une crise militaro-civile. Comment avez-vous vécu cette situation en tant que diplomate ?

T. S. : Les récentes manifestations ont été malheureusement marquées par des actes de violence et de vandalisme dans plusieurs localités et entraîné des pertes en vies humaines. Je présente mes sincères condoléances à toutes les familles endeuillées et exprime ma solidarité aux nombreux blessés au cours des différentes manifestations. J’apprécie les mesures mises en œuvre par le gouvernement pour un retour au calme.

S. : La crise a eu pour conséquence le rapatriement des volontaires japonais qui travaillaient dans différentes régions du Burkina. Cela n’a t-il pas constitué un frein à la bonne marche des relations entre le Japon et le Burkina ?

T. S. : Heureusement non, je ne le pense pas ; comme vous savez, les relations entre nos deux pays sont construites sur des bases assez solides et diversifiées, donc cela ne constitue aucun frein à la bonne marche des relations bilatérales, bien que sans volontaires, il y avait moins de présence japonaise dans plusieurs régions du Burkina. Cependant, en ce qui concerne les divers projets financés par le Japon, je voudrais préciser qu’ils ont avancé, malgré la crise, car le suivi était assuré par l’utilisation des moyens modernes de communication entre les experts japonais et les responsables locaux. La coopération a continué pendant leur absence ; par exemple, nous avons procédé à la cérémonie de remise de 683 tables-bancs octroyés à la commune de Banfora, par une école primaire de Nagoya au Japon. Nous avons également organisé une conférence sur la
coopération japonaise au PMK (Prytanée militaire de Kadiogo) et à l’Université polytechnique de Bobo-Dioulasso.

S. : A quand le retour annoncé des volontaires ?

T. S. : Pour le retour des volontaires, nous avons besoin d’effectuer les formalités indispensables pour envoyer des volontaires du Japon et il est
également nécessaire que le Bureau résident de la JICA se prépare à les recevoir à nouveau au Burkina Faso. Comme les coordinateurs des volontaires de la JICA sont arrivés à Ouagadougou depuis mi-juillet et ont commencé les procédures pour accueillir les volontaires, je pense que leur retour sera effectif après la saison des vacances d’été. Mais les experts travaillant dans le cadre de l’exécution des projets sont déjà
retournés au Burkina au mois de juillet.

S. : Est-ce que le Japon va continuer d’accompagner le Burkina avec le coup porté à sa stabilité et à son image suite aux derniers remous ?

T. S. : A cette question, je dis "oui". Les deux pays ont subi une crise nationale, le Japon une catastrophe naturelle et le Burkina une crise socio-politique. Celui qui a éprouvé une difficulté, comprend bien la situation de celui qui se trouve en difficulté. Malgré les derniers tumultes, je crois que le caractère paisible et gentil du burkinabè reste inchangé. S’agissant des problèmes socio-économiques qui se cachent derrière la crise, nous sommes toujours prêts à accompagner les efforts des Burkinabè pour les résoudre ensemble.

S. : Comment appréciez-vous la manière dont les autorités s’emploient à résoudre la crise notamment avec la radiation des militaires ?

T.S. : Je voudrais saluer la patience et la détermination des autoritès burkinabè pour résoudre la crise. Ils ont attaché de l’importance au dialogue avec toutes les couches de la société, pour éviter les disputes inutiles et trouver la solution paisible. Mais la dernière mutinerie par une minorité de militaires à Bobo-Dioulasso s’écartait du bon sens social. C’est bien compréhensible pour les autorités d’exercer leur autorité en vue de rétablir la sécurité et la stabilité des citoyens. Je pense que la radiation des personnes qui ont violé le règlement d’une organisation est bien normale et raisonnable.

S. : Le 22 juillet dernier, vous accompagniez des responsables de la société japonaise Mitsui chez le Premier ministre, dans l’optique de plaider pour l’obtention d’un accord d’exploitation de la mine de
manganèse de Tambao. Quels sont les atouts de cette société ?

T.S. : Pour répondre à cette question, je dois vous donner des explications sur le SOGO SHOSHA, qui signifie une société commerciale générale en japonais et qui est un modèle unique d’entreprise qu’on ne peut pas trouver ailleurs dans le monde. Ses activités s’étendent non seulement dans les transactions commerciales de toutes les gammes de marchandises, telles que les produits agro-sylvo-pastoraux et halieutiques, les produits alimentaires, les produits miniers et les métaux, les produits chimiques, le pétrole et le gaz naturel liquide, la construction des infrastructures et des immeubles, les machines, les véhicules, les
produits électriques et électroniques, mais aussi le financement, l’investissement et l’opération de divers projets. Le SOGO SHOSHA est, en un mot, une société multifonctionnelle, ou bien une "solution provider".

Il est un innovateur des affaires globales. On pourrait dire sans exagération que le SOGO SHOSHA a remorqué la croissance économique du Japon après la seconde guerre mondiale. Je crois que ses expertises et ses expériences seront utiles pour le developpement durable de ce pays. Les plus grands SOGO SHOSHA au Japon sont au nombre de cinq dont la société Mitsui qui a été fondée en 1876. Elle a réalisé, au cours de l’exercice 2010, un chiffre d’affaires de plus de 86 milliards d’euros (environ 57 trillions FCFA) et un bénéfice net de 2,7 milliards d’euros (environ 1,8 trillion FCFA). Avec un effectif de plus de 40 000 employés, elle possède 155 bureaux et filiales dans 67 pays dans le monde. Elle est aussi très active dans ses activités de ce qu’on appelle en anglais la Corporate Social Responsibility.

S. : Quelle a été la réponse du gouvernement par rapport à la candidature de la société Mitsui ?

T.S. : Nous n’avons pas encore la réponse du gouvernement burkinabè. Mais, je pourrais dire que la société Mitsui est dans la bonne voie. Concernant le gouvernement du Japon, il a déjà manifesté son soutien concret au projet de développement de la mine de Tambao en finançant à hauteur de 600 000 US$, dans un contexte budgétaire difficile, une première étude de faisabilité des infrastructures ferroviaires d’Abidjan à Tambao. C’est un acte qui marque la détermination et le soutien inébranlable des autorités japonaises à soutenir le projet de Mitsui pour Tambao, car c’est un projet-phare pour nous d’attirer les investissements privés du Japon.

S. : Le Japon a aussi connu une grave crise avec un terrible séisme et la crise du nucléaire de Fukushima ? Quel est l’état des lieux ? Quelles sont les dispositions prises par le gouvernement japonais pour endiguer la situation ?

T.S. : Veuillez accepter d’abord notre sincère gratitude pour l’aide et le soutien que votre pays nous a apportés suite au grand seisme de l’Est du Japon, notamment pour le soutien financier à travers la Croix-Rouge burkinabè. Le gouvernement japonais, qui continue de travailler avec les habitants des zones sinistrées ainsi que l’ensemble de la population japonaise, fait tout son possible pour surmonter cette épreuve, protéger les sinistrés y compris les ressortissants étrangers et permettre une reconstruction, la plus rapide possible. Petit à petit, le Japon poursuit solidement ses avancées en faveur d’un rétablissement de la sûreté sur le site de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi. En effet, à Tokyo et dans les régions autres que celles situées à proximité de la centrale, le taux de radiation est revenu à la normale et ne présente aucun danger pour la santé. Pas à pas, nous faisons en sorte de retrouver un Japon sûr et rassurant en mobilisant les connaissances et les technologies des différents pays, et en poursuivant nos efforts pour stabiliser la situation sur le site de Fukushima.

Le gouvernement japonais a commencé une analyse en profondeur des causes de l’accident, en créant une "Commission d’enquête et de vérification" sur Fukushima. Le Japon continuera de partager avec la communauté internationale les enseignements tirés de cet accident avec un maximum de transparence et apportera une contribution prépondérante dans les discussions sur la sûreté nucléaire mondiale. Le Japon, conjointement avec la Communauté internationale, réalisera une "reconstruction ouverte" tournée vers l’avenir de manière à pouvoir rendre les bienfaits dont il a bénéficié. Lors de la présente épreuve, les gens à travers le monde ont montré les images de Japonais s’entraidant et faisant leur possible pour reprendre le dessus. Un tel comportement peut être interprété comme l’expression de cet esprit de "coexistence" que les Japonais entretiennent de génération en génération.

L’évolution humaine se fait à travers la compétition, et sa perpétuation dépend de sa capacité à coexister.
Une de ses formes est la "coexistence entre les individus". Le concept de sécurité humaine dont le Japon est défenseur sur la scène internationale, est un reflet de cet état d’esprit cultivé par les Japonais. Une autre forme est celle de la "coexistence entre les nations". L’une des missions de la diplomatie japonaise qui a contribué à la paix et au développement de son pays d’aujourd’hui par la coopération internationale, est d’encourager une coexistence harmonieuse entre les nations par la promotion des échanges internationaux dans les domaines politique, sécuritaire et économique. Enfin, la "coexistence de l’homme avec la nature" est indispensable. Fort des enseignements tirés du grand séisme de l’Est du Japon et de l’accident de la centrale de Fukushima, le Japon s’est décidé à prendre l’initiative lors des discussions internationales sur le renforcement de la sûreté nucléaire et la politique environnementale, en plus de répondre aux catastrophes naturelles de grande ampleur.

S. : Le 17 juillet dernier, l’Equipe nationale féminine de football du Japon remportait la Coupe du monde de cette catégorie. Cela témoigne t-il d’un Japon qui gagne malgré les difficultés ?

T.S. : Tout de suite après cette victoire, j’ai reçu beaucoup de messages téléphoniques et électroniques de félicitation et d’admiration pour l’équipe du Japon. J’ai été très touché par cette solidarité exprimée par mes amis burkinabè et par mes collègues diplomates. Cette victoire a vraiment encouragé et réconforté les sinistrés du séisme et de l’accident de la centrale nucléaire, mais aussi la population entière du Japon.

L’équipe nationale féminine de football du Japon s’appelle la Nadeshiko Japon. La Nadeshiko, qui signifie en japonais les fleurs de l’œillet, est un pronom symbolique pour désigner des femmes pudiques japonaises. C’est également un symbole de souplesse et d’endurance. La victoire de cette équipe nous a témoigné qu’on pourrait surmonter les difficultés avec souplesse et endurance

S. : Quelles sont les perspectives de coopération avec le Burkina ?

T.S. : Vu la situation nationale récente, je pense qu’il est nécessaire de réaliser la coopération dans la formation professionnelle des jeunes et également dans la promotion des investissements privés pour créer des emplois, en plus des domaines prioritaires existants. Dans cette optique, nous avons construit le Centre de formation d’apprentissage pour les femmes vivant avec le VIH/Sida à Banfora l’année dernière.

Par ailleurs, la question des changements climatiques constituant un défi urgent pour tous les pays d’Afrique, le Japon pourrait renforcer le partenariat avec le Burkina Faso dans le cadre de la lutte contre le réchauffement global. De plus, des initiatives seront encouragées pour promouvoir les échanges culturels et commerciaux entre nos deux pays.

Interwiew réalisée par Gabriel SAMA

Sidwaya

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