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Niamey en première ligne pour les opérations de déstabilisation « post-Kadhafi ». Rien d’étonnant à cela !

Publié le vendredi 29 juillet 2011 à 03h41min

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Niamey ne pensait pas, vraiment, avoir tourné la page. Et Mahamadou Issoufou, élu à la présidence de la République du Niger le 12 mars 2011, avait conscience que la concordance des temps ne jouait pas en sa faveur. Il a accédé au pouvoir quelques jours avant le déclenchement de l’opération « Aube de l’Odyssée », le 19 mars 2011.

Mais cette action militaire, conçue à l’origine par l’ONU pour protéger les populations civiles de la répression menée par Tripoli contre la « rébellion » de Benghazi, a pris une ampleur exceptionnelle : il s’agit, désormais, pour l’OTAN et les puissances coalisées, de virer Kadhafi du pouvoir. L’Europe, bien plus que l’Amérique, ayant toujours considéré le « leader de la révolution libyenne » comme un pantin peu crédible, pensait en terminer en peu de jours. L’affaire dure depuis plus de quatre mois ! Blaise Compaoré, le président du Faso, qui est un des meilleurs connaisseurs de Kadhafi, a toujours souligné que ce qui importait chez cet homme-là, avant même de prendre en compte sa capacité financière, c’était sa « capacité de nuisance ». On en a la démonstration aujourd’hui.

Au lendemain de son élection et à la veille de l’opération « Aube de l’Odyssée », Issoufou, dans un entretien avec Christophe Boisbouvier (RFI - 17 mars 2011), avait refusé de répondre aux questions portant sur la situation en Libye : « Je ne peux pas me prononcer sur les affaires intérieures d’un pays voisin […] Je vous dis que je n’ai pas pour habitude de m’ingérer dans des affaires intérieures d’un pays voisin. Et c’est la réponse que je peux vous donner pour l’instant ». Dans son discours d’investiture, le samedi 9 avril 2011, il évoquera, cependant, « les menaces auxquelles notre pays et les autres pays du Sahel sont exposés ». Il dira alors que « les événements qui secouent actuellement notre sous-région aggravent ces menaces », soulignant « la disparition de la frontière entre défense extérieure et sécurité intérieure ». On ne pouvait pas être plus clair ; d’autant plus clair que Issoufou mettra les points sur les « i ».

A l’occasion de son séjour à Deauville dans le cadre du G8, il déclarera sur RFI le samedi 28 mai 2011 (alors que Abdoulaye Wade venait de recevoir, à Dakar, les délégués du CNT, la « rébellion » à Benghazi) : « J’ai des positions totalement indépendantes. Moi, je suis un démocrate. Je n’ai pas besoin de m’aligner sur le CNT ou bien sur Kadhafi. J’ai des intérêts aussi à défendre, les intérêts de mon pays, les intérêts du Niger. Que cette région-là soit sécurisée, que cette région-là soit en paix et que la démocratie s’installe et se consolide dans toute la région africaine ».

Un mois plus tard, il sera plus précis encore dans l’entretien accordé à Philippe Martinat (Le Parisien - 25 juin 2011), faisant part de son inquiétude alors que la situation militaire sur le terrain était l’expression du chaos politico-social dans lequel se trouvait la Libye : « Je suis d’autant plus inquiet que l’on risque d’assister à une dissémination importante d’armes, de munitions et d’explosifs dans toute la sous-région, ce qui transformerait la zone en véritable poudrière. Nous redoutons surtout que la désagrégation de l’Etat libyen ne laisse le champ libre aux tribus ou aux shebabs, ces islamistes présents en Somalie, ce qui favoriserait les trafiquants de drogue, d’armes et d’êtres humaines, car c’est par là que transitait l’immigration clandestine ».

Dans un long entretien accordé au journaliste burkinabè Cheick Beldh’or Sigue (Le Pays - 5 juillet 2011), il dira la même chose concernant la Libye : pas de solution militaire/négociation politique ; risques d’instabilité pour les pays voisins ; danger de « somalisation » de la Libye ; refus d’alignement sur un camp ou sur l’autre ; une priorité : « l’intérêt du Niger ». Tout en soulignant que le temps presse. En visite d’amitié et de travail en France, du 4 au 8 juillet 2011, Issoufou tiendra exactement le même discours à François Soudan et Anne Kappès-Grangé (Jeune Afrique - 17 juillet 2011). La sécurité intérieure du Niger est tributaire de sa défense extérieure. Un mois auparavant, le 12 juin 2011, une cargaison d’explosifs avait été saisie dans la région d’Arlit et des arrestations avaient été opérées. « La crise libyenne amplifie […] les menaces auxquelles les pays du Sahel sont exposés », expliquera le chef de l’Etat à sa sortie de l’Elysée, le 6 juillet 2011. Il soulignera que « le plus important dans cette affaire, c’est la capacité des forces de défense et de sécurité nigériennes à assumer les missions de protection des Nigériens et de leurs biens. Mais aussi la sécurité des expatriés et de leurs biens ».

Discours cohérent. Le Niger a une frontière de 354 kilomètres avec la Libye ; mais est aussi frontalier avec le Sud-Est de l’Algérie, l’Est du Mali, l’Ouest du Tchad, au cœur de la zone de plus grande instabilité entre Tropique du Cancer et 15ème parallèle ! Avant même le début de la « rébellion » contre Kadhafi, à Benghazi, la zone sahélo-saharienne était, déjà, celle de tous les dangers et le Niger était bien placé pour le savoir. Paris aussi (à l’Elysée comme au siège de AREVA). Deux députés français, François Loncle (PS) et Henri Plagnol (UMP) ont été, quelques semaines, en « mission d’information », de Nouakchott à Niamey, et doivent publier, d’ici fin 2011, un rapport sur la sécurité dans le Sahel. C’est un sujet de préoccupation, aussi, pour d’autres capitales européennes, dont Madrid : le secrétaire d’Etat espagnol à la sécurité, Antonio Camacho Vizcaino, a visité les pays du Sahel en avril 2011. La préoccupation était AQMI (sans oublier ses connexions avec la « rébellion » touarègue ; en la matière, le feu couve toujours sous la cendre) ; aujourd’hui, avec l’effondrement du régime Kadhafi, elle est, au moins, décuplée !

Proximité géographique avec la Libye ; proximité diplomatico-économique avec la France (AREVA oblige), « chef de guerre » contre Kadhafi ; un président « d’alternance » ; des militaires qui viennent de quitter le pouvoir après qu’un des leurs (Mamadou Tandja) ait été contraint par certains d’entre eux d’abandonner une présidence dont il voulait qu’elle perdure… Tous les ingrédients sont réunis pour que Niamey, autrefois proche de Kadhafi, soit la cible d’opérations de déstabilisation « post-Kadhafi » ; en visant Niamey, on vise Paris et son approvisionnement en uranium. Un esprit simple, avec quelques galons sur la manche, motivé, peut y trouver une raison d’agir. C’est sans doute ce qui s’est passé ces jours derniers conduisant les autorités à arrêter, le 22 juillet, des militaires nigériens, dont des officiers, pour « tentative de renversement du régime » et « tentative d’assassinat » du chef de l’Etat. A l’encontre de ce qui s’est passé à Conakry, ces militaires n’ont pas pu enclencher le processus qui devait aboutir à la mise en place d’un « Comité national pour la restauration de la démocratie populaire » ; ce qui prouve que la sécurité est, pour l’instant, bien assurée.

Il s’agissait là, semble-t-il, d’une démarche individuelle qui n’implique pas l’armée ; rien d’une tentative de coup d’Etat (on sait qu’au Niger, ils ont plutôt tendance à réussir qu’à échouer). Issoufou disait récemment (Jeune Afrique - 17 juillet 2011 - cf. supra) que l’armée nigérienne « est, pour l’essentiel une armée républicaine. Certes, il y a eu des circonstances précises qui ont fait qu’elle est intervenue en 1974, en 1996, en 1999 et, enfin, le 10 février 2010. Doit-on en conclure que c’est une armée putschiste ? Je ne le pense pas ». Niamey (comme Paris) peut avoir cependant une certitude : non seulement la « capacité de nuisance » de Kadhafi est décuplée dès lors qu’il a le dos au mur (plus encore si le mur n’est pas en bon état) mais la « somalisation » tant redoutée par Issoufou est d’ores et déjà en marche. Et dans le contexte qui est celui de l’Afrique entre Tropique du Cancer et 15ème parallèle, il y aura du grain à moudre pour les aventuriers de la planète.

Jean-Pierre Bejot
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 28 juillet 2011 à 19:57 En réponse à : Niamey en première ligne pour les opérations de déstabilisation « post-Kadhafi ». Rien d’étonnant à cela !

    Kadhafi se cherche et à l’heure actuelle malgré ses sorties entempestives pour impressionner,il n’a pas les capacités ni la liberté de destabiliser un régime.Le problème est plutôt interne au niveau des militaires nigériens tout comme en Guinée mais ils oublient que c’est du passé.Ils prennent le pouvoir par les armes et le lendemain,ils seront matés par la coalition internationale.C’est clair

  • Le 29 juillet 2011 à 11:07, par le pacifiste En réponse à : Niamey en première ligne pour les opérations de déstabilisation « post-Kadhafi ». Rien d’étonnant à cela !

    « Niamey en première ligne pour les opérations de déstabilisation « post-Kadhafi ». Rien d’étonnant à cela ! »

    Monsieur Jean-Pierre Bejot de « La Dépêche Diplomatique » où est le rapport entre votre titre (à moins que ce ne soit pas vous qui l’avez titré ainsi) et le contenu de l’article. Pas de rapport du tout. Aussi, ne cherchez pas à cogner la tête des gens. A travers votre commentaire (on peut y raconter ce qu’on veut), on a remarqué que le président nigérien est resté constant dans ses déclarations. Mieux ses déclarations laissent voir qu’il n’est pas d’accord avec ce qui se passe en Libye. Pour le pousser à prendre en horreur Kadhafi, vous voyez la main du régime Kadhafi dans la tentative de coup d’état au Niger. Soyons sérieux. Vous faites souvent de bonnes analyses (sur Gbagbo par exemple) mais cette fois-ci, vous avez raté. La seule préoccupation du guide actuellement, c’est de bouter hors de la Libye l’impérialisme occidental qui s’y est introduit à travers ses propres frères (le n°2 du CNT vient d’être assassiné le 29 juillet, sûrement un règlement de compte au sein du CNT). En un mot comme en mille Kadhafi n’a pas ce temps.

  • Le 29 juillet 2011 à 11:09 En réponse à : Niamey en première ligne pour les opérations de déstabilisation « post-Kadhafi ». Rien d’étonnant à cela !

    L’écrit ne dit pas que c’est Khadafi qui destabilise ; la situation en Libye est favorable à la circulation d’armes dans la sous région et tenez vous bien même des pays "lointains" comme le Burkina ne sont pas à l’abris. Lisez bien les articles avant de commenter.

  • Le 29 juillet 2011 à 11:18 En réponse à : Niamey en première ligne pour les opérations de déstabilisation « post-Kadhafi ». Rien d’étonnant à cela !

    En réalité ces occidentaux là n’ont aucune considération pour les africains c’est simplement leurs intérêts qui guident leurs pas ! tant que ns aurons des dirigeants qui fachent ( Kadhafi ; Sankara ; Gbagbo...)nous allons toujours croupir sous le fouet. Ils sont prèts à investir dans les conflits pour tuer , mais difficillement pour sauver des vies avec ces temps de famine.
    C’est ds le même esprit qu’ils ont dépouillé l’Afrique de ses bras valides avec la complicités de nos chefs, aujourd’hui ils dépouillent l’Afrique de ses biens avec la complicité de nos chefs d’Etat, je me demande dailleurs s’ils ont vraiment le choix ! Mon Dieu à quand l’Afriquue ???

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