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Georges Ouédraogo : "Je n’ai pas droit à la retraite"

Publié le mardi 5 octobre 2004 à 00h00min

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Georges Ouédraogo, le Gandaogo national, a plus d’une corde à son arc. Il y a quelques années, cet artiste inoxydable sur le plan musical, avait ouvert un kiosque qui a malheureusement fait long feu. Aujourd’hui, Georges Ouédraogo remet ça en ouvrant un bar-restaurant dancing au secteur 30 qu’il baptise "Bozambo" du nom de son célèbre groupe du début des années 1970. Sidwaya Plus a rencontré ce musicien expérimenté.

Sidwaya Plus (S.P.) : Qu’est-ce qui t’a motivé à ouvrir un bar-restaurant ?

Georges Ouédraogo (G.O.) : Vous savez que j’ai une longue carrière musicale et à 50 ans passés, je me dois de penser à autre chose. Ce n’est pas que je ne vais plus faire de la musique ou que je vais m’arrêter de chanter. Je me suis dit que faire un bar est un peu logique dans ma carrière puisque j’ai joué beaucoup dans les dancings. C’est un domaine que je connais et je me suis dit pourquoi pas.

S.P. : Georges Ouédraogo prépare-t-il donc sa retraite ?

G.O. : C’est un peu cela. Je ne vais pas m’arrêter à cette seule expérience mais essayer d’avoir quelque chose d’autre à faire. Je vais essayer de faire des télécentres et d’autres petits trucs.

J’ai déjà un endroit où je préconise faire un magasin de vente d’articles de musique. S’il plaît à Dieu, tout cela fera partie de ma vie. Si j’avais été dans la Fonction publique ou salarié dans le privé, j’aurai eu quelque chose tous les trois mois pour vivoter. Je n’ai pas eu cette chance et si j’arrêtais aujourd’hui de chanter, je mourrai de faim. Je n’ai pas droit à la retraite et il faut que je songe à faire quelque chose en plus de la chanson.

S.P. : Penses-tu ouvrir un jour un studio d’enregistrement ?

G.O. : Un studio d’enregistrement, c’est bien. Mais à l’heure actuelle, il y a tellement de studios à Ouagadougou. Il y a Seydoni Productions qui est là ; il y a le petit frère Smockey qui a un studio. Jonathan Kaboré, Damien et Dési et les Sympathics disposent également de studios d’enregistrement. Il y a d’autres personnes qui avec les nouvelles technologies arrivent à faire des enregistrements qui ne sont pas mal. Je me dis que c’est déjà saturé pour une ville comme Ouagadougou.

S.P. : Pourquoi le nom Bozambo pour ton bar ?

G.O. : Bozambo est le nom d’un groupe que nous avons créé en 1973 avec le regretté Jimmy Hyacinthe. Quand j’ai voulu faire mon bar, j’ai trouvé que le nom Bozambo était indiqué. Le groupe Bozambo a eu du succès. C’est avec ce groupe que j’ai été connu dans le monde entier.

S.P. : Parlez-nous un peu plus de ce groupe Bozambo ?

G.O. : Bozambo était un groupe de jeunes avec deux Burkinabè, deux Ivoiriens et des Antillais. Quand il s’est agi de trouver un nom, j’ai proposé Bozambo qui signifie en mooré "diminuer la magouille". Pour moi, c’était pour dénoncer la corruption et l’injustice. Il paraît aussi qu’il y a un film qui s’appelle Bozambo et c’était en congolais. Nous avons trouvé que le nom était bien et nous l’avons donné à notre groupe. Au départ, le groupe se composait de Jimmy Hyacinthe comme chef d’orchestre et soliste, Rato Venance à l’orgue et au piano, Jean Bouzouss Tapsoba à la basse et moi-même à la batterie. Après le départ de Jean Bouzouss Tapsoba, le groupe a intégré Coco Jean-Pierre, Alain Benjamin et Abdel Dabo. C’est avec le groupe Bozambo qui a surtout évolué en Europe que nous avons sorti l’album Kato Kato. Nous avons été connus sur le plan international avec le groupe Bozambo.

S.P. : Aujourd’hui c’est un bar qui porte le nom Bozambo. Peut-on s’attendre à voir un jour une formation reprendre ce nom ?

G.O. : Si j’avais les moyens d’avoir du matériel complet, j’allais monter une formation Bozambo II qui allait jouer dans ce bar. Ce serait la réalisation d’un rêve pour moi. Seulement, voilà, les moyens manquent.

S.P. : As-tu des partenaires pour ce bar ?

G.O. : Non. Je n’ai pas de partenaires. Je suis le seul à monter ce bar. Je n’ai pas pris de prêt bancaire aussi, puisque j’ai un compte artistique et je n’ai pas de garantie à déposer à la banque. C’est avec mes économies que j’ai ouvert ce bar. J’ai pris des tables ou des chaises avec des gens.

S.P. : As-tu l’expérience nécessaire pour gérer un bar ?

G.O. : Je compte beaucoup sur mon gérant. J’ai aussi un peu d’expérience car je connais le milieu des bars. Si je vois que les choses ne sont pas comme je veux, j’ai quelque chose à dire à mon personnel. On ne peut pas faire un travail sans bénéfices.

S.P. : On se rappelle que tu avais aussi ouvert un kiosque dans le temps ?

G.O. : J’avais ouvert ce kiosque en face de l’hôpital Yalgado. A un moment, l’autorité m’a vu et m’a dit qu’on allait agrandir la route jusqu’à l’hôtel Silmandé et on m’a demandé de quitter les lieux.

S.P. : Qu’est-ce que ce kiosque avait de particulier ?

G.O. : Rien - absolument rien - c’était un kiosque comme les autres kiosques. On faisait surtout à manger. Les gens venaient manger et trouvaient que c’était bien.

S.P. : Quelle est la différence du bar Bozambo d’avec les autres bars de la ville ?

G.O. : Ce qui fait la différence, c’est que nous avons réservé une bonne place pour la jeunesse du secteur 30 et de toute la ville de Ouagadougou. Les mariés peuvent profiter de notre cadre pour leurs réceptions et soirées. Les jeunes qui veulent faire leur prodada sont aussi les bienvenus au Bozambo du lundi au vendredi.

Maintenant, les samedi et dimanche sont réservés à la prestation d’orchestres qui vont réunir des musiciens se rencontrant pour l’occasion. Ce sera une occasion de rencontres et d’échanges entre des musiciens de tous âges. Je voudrais que toute ma génération de musiciens qu’ils soient Congolais, Burkinabè, Camerounais ou Ivoiriens arrivant ou vivant à Ouagadougou puissent jouer dans ce bar. C’est un lieu de rencontres musicales. Je veux que ce soit au "Bozambo" qu’on découvre chaque musicien qui arrive à Ouagadougou.

S.P. : Que devient Georges Ouédraogo sur le plan national ?

G.O. : Georges est toujours en forme. J’ai préparé mes petites compositions comme d’habitude. J’attends de vendre un peu plus l’album "Rosalie" avant de faire un nouveau disque. Autrement dit je suis toujours sur scène. Le disque "Rosalie" a un an six mois alors qu’il faut au moins deux ans pour rentabiliser un album. J’attends donc un peu pour sortir un autre disque.

S.P. : Penses-tu que le genre musical que tu fais puisse rivaliser avec ce qui se fait actuellement par les jeunes ?

G.O. : Pourquoi pas ? Pourquoi "Rosalie" marche ? Même quand je joue avec Dési et les Sympathics dans mon bar, cela est très apprécié. Cela rappelle le bon vieux temps aux gens. Une fois que vous avez trouvé votre voie, il faut la suivre sans dérouter. Je ne peux pas dire qu’aujourd’hui il y a le ragga qui marche et moi je vais laisser mon warba pour chanter cela. Le public ne va même pas l’admettre. Donc je vais continuer sur cette lancée, c’est-à-dire dans ma spécialité. C’est ça qui fait la personnalité d’un artiste. C’est sa créativité, c’est-à-dire un truc propre à lui. Je reste fidèle à mon genre. Cela ne veut pas dire que ce que font les autres n’est pas bien. Chaque génération à sa spécialité.

S.P. : Que penses-tu de l’évolution de la musique burkinabè ?

G.O. : La musique burkinabè a évolué. Je crois que c’est déjà bon. La manière de chanter des jeunes est de leur temps. La jeunesse des autres pays font la même chose. Vous avez vu qu’après les Mayébo, ce sont les Tango Tango, aujourd’hui. Chaque génération vient avec sa musique. Quand j’écoute les "Faso Kombat", c’est de la musique burkinabè qu’ils font, même si le tempo est transformé. Parce que ce n’est pas un tam-tam simple mais une batterie qui joue du ragga côtoyant le warba. Je trouve que les enfants ont évolué et ils font de la bonne musique.

S.P. : N’y a-t-il pas une crainte aujourd’hui quant à la formation des jeunes musiciens avec le développement du play-back ?

G.O. : On fabrique aujourd’hui dans les studios des musiciens qui ne savent jouer d’aucun instrument. On est vedette et on ne peut même pas jouer en live avec un orchestre. On est obligé de faire le play-back. On a toujours demandé aux enfants que même s’ils ont des facilités pour faire des enregistrements, il fallait qu’ils apprennent à jouer des instruments. Aujourd’hui au Burkina on n’a plus beaucoup d’instrumentistes. Cela est plus vrai avec les instruments à vent. On ne compte même pas plus de trois bons ventistes. Il n’y a que dans l’armée qu’on a encore des instrumentistes. Il faut que les jeunes qui veulent faire de la musique apprennent sérieusement à jouer des instruments.

S.P. : Que penses-tu de la piraterie ?

G.O. : Vous faites bien d’évoquer ce problème. A un moment, j’avais pensé pirater mes propres œuvres et aller les vendre au marché avec un gros couteau dans ma main droite et une hache dans la gauche. Cela pour vous dire jusqu’à quel point la piraterie a pris de l’ampleur dans notre pays.

Des vendeurs viennent me proposer des cassettes de Georges Ouédraogo où je ne me reconnais pas. S’il n’y avait pas la piraterie, nous aurions pu nous en sortir. Par exemple si je touche 100 000 FCFA de droits tous les 3 mois, sans les pirates j’aurais pu toucher 300 000 FCFA tous les 3 mois. Même le Bureau burkinabè des droits d’auteur (BBDA) qui ne dort pas à cause de nous les artistes, n’arrive pas souvent à trouver une solution face aux pirates. C’est devenu un fléau et on ne sait pas ce qui va se passer à l’avenir avec les pirates. Je ne sais pas si cela finira un jour.

S.P. : As-tu de bons rapports avec le BBDA ?

G.O. : Bien sûr ! Nous dépendons du BBDA et s’il n’était pas là, on allait rentrer un jour au grand marché avec chacun son couteau et son pistolet pour se régler les comptes avec les pirates. Le BBDA est là pour nous défendre mais manque parfois de moyens. Il faut que le gouvernement ferme les yeux pour nous aider. Voyez dans quelle situation nous sommes à cause de la piraterie. Il ne faut pas que les jeunes vivent la même chose que nous.

S.P. : Tu es l’un des rares musiciens burkinabè à connaître un vrai succès en Côte d’Ivoire. Comment expliques-tu cela ?

G.O. : Tout est venu du début. Le succès de Georges Ouédraogo au niveau de la Côte d’Ivoire remonte à 1974 avec le groupe Bozambo quand on a sorti l’album Kato Kato. Ensuite il y a eu le 2e disque Pougzinga dans lequel j’ai fait un solo de batterie dans le titre Kombissi. Ce solo et la manière dont j’ai chanté le mooré dans Pougzinga ont émerveillé les Ivoiriens. Tous les slow que j’ai chantés ensuite ont plu aux Ivoiriens et quand j’arrivais dans ce pays on m’appelait l’Américain noir. Mon succès en Côte d’Ivoire date de cette époque.

S.P. : Tu sembles avoir de bons rapports avec Aïcha Koné ?

G.O. : C’est une longue histoire. En 1970 j’étais dans le groupe "les Free men" d’Abidjan et on jouait à Adjamé avec des musiciens comme Bailly Spinto, Moussa Diabaté et Camus. Bailly Spinto et moi avons rejoint ensuite les "New system Pop". La maman de Aïcha Koné tenait un restaurant à côté du lieu où nous jouions. C’est ainsi qu’elle venait danser tous les soirs lorsque nous jouions. Elle était alors toute petite. Et puis un jour en France, lorsque j’étais avec le groupe Bozambo, notre productrice nous a demandé d’accompagner une chanteuse pour son premier disque. A notre grande surprise, cette chanteuse n’était personne d’autre que Aïcha Koné. C’est ainsi que nous avons accompagné Aïcha Koné pour son premier disque "Déni Kélé". Aïcha est restée depuis une sœur pour moi. C’est une dame de cœur qui travaille beaucoup et qui a de la volonté. Elle est toujours disposée pour venir en aide aux artistes burkinabè qui arrivent en Côte d’Ivoire et qui ont des difficultés. Je n’ai jamais manqué de lui écrire ou de lui téléphoner. Quand elle vient ici, elle demande toujours à me voir. Quand je vais en Côte d’Ivoire, je loge parfois chez elle.

Elle est mariée et son mari, M. Camara est mon ami.

S.P. : Georges Ouédraogo a-t-il réussi grâce à la musique ?

G.O. : Bien sûr. Je n’ai rien fait de ma vie si ce n’est que la musique. Si j’arrive aujourd’hui à investir 10 à 15 millions dans une affaire, je crois que je peux dire que j’ai réussi.

S.P. : Donc tu as investi 15 millions dans le bar ?

G.O. : Même si cela ne vaut pas 15 millions, il ne manque pas beaucoup.

S.P. : Un dernier mot ?

G.O. : Je remercie Sidwaya Plus d’avoir pensé à moi. Je remercie les gens de mon quartier, surtout le maire de Bogodogo et tous ceux qui m’ont épaulé, qui m’ont donné l’autorisation de pouvoir faire ce bar. Je demande la compréhension de la population du secteur n° 30 car ce bar appartient à tout le monde. C’est un lieu ouvert à tous.

Propos recueillis par
Hamado NANA et
Léon Hermann BAKOLO (Stagiaire)

Sidwaya Plus

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