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René Bagoro, secrétaire général du Syndicat burkinabè des magistrats : « Je ne suis proche, ni de l’opposition, ni du pouvoir, mais du droit »

Publié le vendredi 22 juillet 2011 à 12h13min

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Le président du tribunal administratif de Ouagadougou, René Bagoro, peut être considéré comme l’une des valeurs sures de la magistrature burkinabè. L’on se rappelle, son acte déclarant illégale la carte d’électeur au lendemain de la présidentielle du 21 novembre 2010 avait mis du baume au cœur de l’opposition ; créé le doute dans les rangs de la majorité ; discrédité la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et fait trembler le Conseil d’Etat. Neuf mois après, le juge Bagoro, par ailleurs secrétaire général du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM), élucide la portée de sa décision et se prononce, sans détour, sur les grandes questions de la magistrature, ses rapports avec les politiques…sur son refus de participer au CCRP dont il continue de récuser le format et l’efficacité. Grande interview exclusive.

Lefaso.net : Comment se porte le Syndicat burkinabè des magistrats ?

René Bagoro : Le SBM se porte très bien parce que nous sommes un syndicat qui tient ses instances statutaires. Nous comptons tenir notre prochaine assemblée générale en octobre. Nous avons un dynamisme qui s’exprime à travers les adhésions et le fait de prendre part aux questions de la Nation burkinabè, au-delà de la justice.
Qu’est-ce qui différencie le SBM des autres syndicats ?
D’abord, en tant que syndicat de magistrats, nous avons une spécificité. Etant magistrats, nous sommes détenteurs d’un pouvoir et la logique aurait voulu qu’il n’y ait pas de syndicat dans la magistrature.

Mais, la réalité de notre situation qui fait de nous un pouvoir sans moyens nous a amené à créer des syndicats pour défendre nos intérêts. Sinon, du point de vue structurel, il n’y a pas une grande différence. Parce qu’à partir du moment où nous avons pu créer des syndicats, nous avons les mêmes droits que les autres, sauf, malheureusement le droit de grève qui est l’arme ultime quand les négociations ne marchent pas.

Le droit de grève est très important dans la stratégie de lutte d’un syndicat et vous vous n’en disposez pas. Quels autres moyens avez-vous véritablement pour faire entendre vos voix ?

L’on ne crée pas un syndicat pour aller en grève, qui est un moyen de lutte parmi tant d’autres. Normalement, quand on va en grève, c’est que tout ce qui est moyen de règlement à l’amiable n’a pas marché. Nous, nous avons les négociations, participons aux événements au niveau de la justice, faisons des propositions. Mais, la Constitution en son article 22 dit que le droit de grève est reconnu et s’exerce dans le cadre des lois et règlements. C’est pourquoi, nous estimons au niveau du SBM que s’il est nécessaire un jour, nous irons en grève. Nous pensons que notre statut, qui nous interdit le droit de grève, est aux antipodes de la Constitution.
Mais, comme je l’ai dit, la grève n’est que l’arme ultime et nous disposons d’autres moyens pour nous faire entendre.

L’on dénombre à ce jour trois syndicats de magistrats. N’est-ce pas trop pour votre corporation ?

C’est vrai trois syndicats avec environ 430 magistrats y compris les nouveaux intégrés c’est trop. Mais, il faut peut-être voir l’histoire de la constitution de ces syndicats pour comprendre.
Parlez- nous- en !
Le premier syndicat de la magistrature était le syndicat autonome des magistrats voltaïque (SAMAV) qui est devenu plus tard avec le changement du nom du pays Syndicat autonome des magistrats burkinabè (SAMAB). Le SAMAB va éclater pour donner naissance au syndicat des magistrats du Burkina (SMB).

Il faut rappeler qu’à un moment donné, Me Halidou Ouédraogo, qui était le président du SAMAB, a eu des petits problèmes. Avec la révolution, le syndicat s’est scindé en deux groupes entre d’une part les magistrats dit révolutionnaires et de l’autre, les magistrats dits réactionnaires dont le groupe des Halidou qui ont été dénoncés par ceux dits révolutionnaires et radiés du corps. Si bien qu’au retour, c’était difficile de s’entendre parce que le syndicat avait été déjà récupéré par des gens qui voulaient travailler avec le régime. Ce qui les a amenés à créer le SMB. Malheureusement, ils n’ont pas eu beaucoup d’occasions de s’exprimer puisque le syndicat aussitôt créé, ils seront presque tous affectés hors du corps de la magistrature. Ajouté à cela le fait que l’ancienne version du SAMAB avait déjà été récupérée avec des membres qui voulaient visiblement la mort du syndicalisme puisqu’ils n’en faisaient pas ; il fallait faire quelque chose, surtout qu’il y a eu entre-temps l’arrêt des recrutements de magistrats qui a perduré jusqu’en 1995.

Et lorsque les magistrats de la promotion 1999 sont arrivés dans la profession, ils se sont rendus compte que rien n’était fait pour défendre les intérêts de la magistrature et les problèmes s’empiraient, malgré l’existence des deux syndicats. Premièrement, le groupe de 99 a essayé en son temps de réconcilier les deux structures. On avait mis en place un comité pour les rassembler et faire en sorte qu’elles se fusionnent pour constituer une structure unique à même de défendre valablement les intérêts de la corporation. Mais, les efforts ont été vains parce qu’on s’est finalement rendu compte qu’il y avait beaucoup plus de problèmes qui les divisaient et qui rendaient impossible une unité.

On peut dire que c’est la divergence des intérêts qui les divisait…
Peut-être qu’on peut parler d’intérêts. Sinon, je ne parlerai pas d’idéologies parce que je ne sais pas si le syndicat qui voulait travailler avec le régime avait une idéologie. Mais, on peut concéder avec vous que c’est la divergence des intérêts.
C’est pourquoi, la tentative de réconciliation ayant échoué, les jeunes magistrats ont décidé de ne pas prendre part, ni pour l’un ni pour l’autre des syndicats. D’autant plus que les problèmes qui les divisaient n’étaient souvent pas idéologiques mais personnels.
C’est ainsi qu’a été créé le 2 octobre 1999 à Bobo-Dioulasso le Syndicat burkinabè des magistrats (SBM) qui a mené depuis sa création un certain nombre d’actions, notamment la grève en 2001 et la marche avortée en 2006.

Avez-vous été sanctionnés en 2011, étant donné que vous n’avez pas droit à la grève ?

Les magistrats grévistes avaient été menacés de sanctions mais finalement ils n’ont pas été sanctionnés. Parce qu’à ce moment il n’y avait aucun texte qui interdisait le droit de grève. C’était la loi de 1965 qui était en vigueur mais qui ne disait pas clairement que la grève était interdite aux magistrats et nous avons exploité cette faille. Sinon, il y a une volonté de sanction qui n’a pas été maintenue. Cela dit, il y a eu quand même des affectations sanctions.

A quand date le texte qui vous interdit d’aller en grève ?

Depuis 2001 nous avons un statut qui nous interdit formellement la grève, notamment à son article 36. Mais, nous estimons au niveau du SBM que cet article est anti constitutionnel.

Quelles sont, brièvement, les principales difficultés auxquelles fait face le corps de la magistrature burkinabè ?

Le corps rencontre d’énormes difficultés. D’abord, il y a les problèmes matériels. Voyez (NDLR : il m’indique son bureau), je suis le président du tribunal mais je n’ai pas d’ordinateur de travail. Il en est ainsi pour presque tous les collègues. Quand vous avez l’ordinateur, vous n’avez pas l’imprimante et vice-versa. Les palais ne sont pas également adaptés. Parce que la construction d’un palais répond à une architecture donnée. Le seul établissement au Burkina qui répond aux normes architecturales, c’est le palais de justice de Ouagadougou construit au lendemain des indépendances.

Outre les difficultés matérielles, il y a le fait que les autorités politiques travaillent toujours à éroder notre indépendance à travers la main mise du ministère de la justice sur les nominations et celle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Normalement, le CSM devrait pouvoir gérer la carrière des magistrats et prendre en charge toutes les questions concernant l’indépendance, mais sa composition actuelle, avec le Président du Faso comme président et le ministre de la justice comme vice-président, en a fait une coquille vide dont le rôle se limite simplement aux affectations.

Se pose également le problème de nos conditions de vie.
Nous sommes un pouvoir et nous devons, compte tenu de nos missions, avoir une certaine conduite. Ce qui induit des obligations qui font qu’il nous faut suffisamment de moyens pour pouvoir vivre dignement. Si le magistrat n’est pas bien payé alors qu’on lui demande de ne pas aller s’asseoir n’importe où pour prendre par exemple sa bière ou fréquenter n’importe qui, il faut donc les moyens qui permettent de s’en sortir parce que c’est un travail intellectuel qu’il fait. Certaines mesures sont prises aujourd’hui, mais elles sont loin de répondre à nos préoccupations.

Qu’est-ce qui explique que votre situation perdure autant ?

Je crois que les autorités ne veulent pas d’une justice indépendante. A ce propos, il y a quelques années, un ministre de la justice disait qu’à compétences égales il travaillerait avec les magistrats acquis.
Il n’avait fait que dire haut ce que tout le monde pense bas. Parce que comment comprendre aujourd’hui qu’au sommet de l’Etat l’on donne l’impression de renouveler les têtes à la justice, alors que rien ne change si l’on observe bien. Regardez les dernières nominations. Vous verrez que ce sont des personnes qui ont déjà dirigé soit la Cour d’appel soit d’autres institutions mais qui n’ont pas toujours eu un comportement conforme à la déontologie qui sont ramenées. Si vous faites une enquête approfondie, vous allez vous rendre compte qu’on les nomme parce qu’ils sont des gens malléables, dociles. Donc, en réalité, il n’y a pas une volonté de changement parce que les autorités ont peur des magistrats indépendants. Certainement, elles se disent qu’avec les magistrats indépendants, il sera difficile pour elles de les manipuler.

Dites-vous, qu’il y a beaucoup de nos hommes politiques qui ont des sociétés prête-noms, ont souvent des problèmes et veulent qu’on intervienne pour les aider. Généralement, les gens interviennent pour leurs protégés. Et puis, il faut dire que tant que le dossier Norbert Zongo ne sera pas sorti, on a toujours peur que des magistrats indépendants puissent le ressusciter un jour.

La question de l’indépendance des juges est récurrente dans vos propos. Personnellement, avez-vous connu des situations où l’on a tenté de vous manipuler ou téléguider ?

Je vais peut-être vous surprendre, mais moi jamais.
Je l’ai dit, les textes prévoient l’indépendance et il appartient à chaque magistrat de prendre son indépendance, de la conquérir.
Les pressions ne peuvent pas manquer, mais, j’ai peut-être la chance de n’avoir jamais été approché, ni par des personnes proches de ma famille ni par des hommes politiques. Somme toute, les gens savent que ce sera peine perdue parce que moi je tiens à mon indépendance comme l’on tient à son enfant ou à son épouse. Je n’ai pas encore fait l’objet de ce genre de démarche, mais sur ce point d’ailleurs je pense que ce serait inutile que quelqu’un, fût-il le Président du Faso, m’approche pour remettre en cause mon indépendance. J’en suis très jaloux.

Votre syndicat est actif et n’hésite pas à prendre part aux questions d’intérêt national, vous l’avez dit. Le Conseil consultatif sur les réformes politiques a rendu ses conclusions le 14 juillet dernier. Votre appréciation de ces conclusions ?

Je dois d’abord préciser que mon syndicat, le SBM est signataire de la déclaration de la coalition des Organisations de la société civile (OSC) refusant le format actuel du CCRP. Je dois ajouter que moi-même j’ai été approché pour donner une communication sur l’indépendance de la magistrature et j’ai refusé. Le SBM et moi, personnellement, récusons le format du CCRP parce qu’un Conseil consultatif qui n’a pas force exécutoire n’est pas l’organe approprié d’autant plus qu’il y a eu des situations précédentes où une suite n’a pas été donnée à des rapports comme le rapport du collège des sages, celui du Comité national d’éthique et du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP). En tout cas, le format ne nous satisfait pas. Maintenant que vous me demandez ce que je pense du contenu. Du contenu moi je n’en pense rien.

Parce qu’au départ, on nous avait dit que seuls les points consensuels seront immédiatement mis à exécution. On sort maintenant et on nous dit qu’on va aller aux régionales. Quand vous suivez même, surtout les gens du parti au pouvoir, vous vous rendez compte qu’ils ne parlent pas le même langage. Il y en a qui disent qu’on va aux régionales pour juste les informer, d’autres disent qu’on y va pour en débattre. Moi, je suis très pessimiste sur le travail du CCRP parce que les gens cherchaient un objectif qu’ils n’ont pas pu atteindre.

Quel objectif cherchaient-ils à atteindre ?

Pour moi, ils cherchaient une caution pour la révision de l’article 37 de la Constitution. Et comme ils n’ont pas eu ça, ils entendent continuer le débat sur les points non consensuels dont l’article 37 et ce même après les régionales et les assises nationales.
Pour moi, le travail du CCRP est de trop et n’est pas approprié pour les réformes parce qu’on a tout pour faire les réformes. Au niveau de la justice je ne sais qui et qui sont allés, nous n’avons pas été représentés. Même au titre de la société civile, je ne dirai pas que ce sont des gens qui ne pèsent pas. Mais, si d’autres personnes y avaient été on aurait pu avoir un travail intéressant. Pourquoi n’avoir pas attendu d’avoir un minimum sur le préalable. Parce que ce que les gens demandaient c’est quand même qu’on ait un consensus sur le format.

Les gens n’ont pas attendu ça. Donc, moi je serai très heureux si le gouvernement mettait en application les conclusions du CCRP mais je suis convaincu qu’il ne les mettra en application tant que ça n’ira pas dans le sens qu’il veut. Rappelez-vous qu’il est dit qu’après tout il reviendra au Chef de l’Etat de disposer du rapport.

Vous reconnaissez, quelque part, que quelque chose a été fait par le CCRP quand vous dites que vous serez heureux si ses conclusions sont appliquées…

Non, moi je ne reconnais pas que quelque chose a été fait. Je vous ai dit que le travail du CCRP est inapproprié. En tous les cas, l’on connaissait le débat sur l’article 37 et les dissensions qui l’entouraient. Ensuite, quand vous prenez la réforme de la justice, je crois qu’on n’avait même pas besoin du CCRP pour ça. Il suffisait qu’on nous le demande parce qu’on a tellement produit de rapports, fait des conférences et interpellé le gouvernement dessus. Et en son temps, on nous avait pris pour des aigris, on nous avait même traité d’opposants. Donc, nous n’avons jamais cessé de dire de réformer la justice. Pour ce qui a été dit là-bas, je crois qu’on n’avait vraiment pas besoin de réunir des gens pendant 21 jours et de les payer pour le dire. Nous avons des rapports sur les questions débattues.
Au niveau de l’armée, quand le problème s’est posé, nous avons dit au gouvernement qu’il faisait faux pas en voulant satisfaire les soldats au détriment du droit. C’est ce que les gens ont redit. Ce n’est vraiment pas quelque chose de nouveau.

Avez-vous au niveau du SBM envoyé des propositions de réformes au ministère en charge des réformes politiques ?

Nous n’en avons pas envoyé. Nous sommes de ceux qui pensent qu’on n’avait pas besoin d’un ministère pour les réformes. Il y a eu tellement des propositions allant dans ce sens. Si on voulait des réformes, il fallait peut-être faire des rencontres sectorielles pour recueillir les avis. Donc, nous n’avons pas envoyé de propositions de réformes bien que nous en disposons.

N’aurait-il pas été plus intéressant pour vous de participer au CCRP et de faire entendre vos voix de sorte à peser dans les débats afin d’obtenir les réformes que vous voulez ?

Non, non ! Vous savez, nous sommes suffisamment renseignés dans ce pays. Quand il y a une crise, on met en place des structures le temps de faire tomber la tempête. Donc, nous, nous ne sommes plus prêts à aller dans ce genre de structures si on n’a pas de garanties quant à l’exécution des résultats qui en sortiront. N’oubliez pas que le CCRP est un Conseil consultatif pour les réformes politiques. Et sur le plan juridique, ce qui sort du CCRP n’a aucune force contraignante et donc ne s’impose pas au Chef de l’Etat.

Le Premier ministre Tiao a renouvelé son appel aux parties boycotteuses pour qu’elles se joignent aux étapes suivantes du processus. Allez-vous répondre favorablement à son appel ?

Je ne sais pas ce que les structures auxquels j’appartiens décideront, mais personnellement, je ne suis pas prêt à y participer. Parce qu’ils ont dit que le CCRP représente les différentes couches socioprofessionnelles. Alors, pourquoi ne pas prendre ce qu’il a dit comme argent comptant. S’ils veulent passer à d’autres étapes, c’est qu’ils reconnaissent que le CCRP n’était pas représentatif.
Le format du CCRP n’étant pas à mon sens indiqué, je ne suis pas du tout prêt à participer à des travaux du CCRP.

Ni aux phases régionales, ni aux assises nationales ?

Jamais !
Le Burkina vient de vivre une terrible crise sociopolitique et d’aucuns y ont vu une conséquence de la mauvaise organisation de la dernière présidentielle. Est-ce aussi votre avis ?
Je suis, peut-être, un peu mal placé et même gêné pour me prononcer, d’autant plus que le tribunal que je dirige a été saisi pour constater de l’illégalité de la carte d’électeur. J’étais monté à l’audience et j’ai effectivement dit que la carte d’électeur était irrégulière. C’est vrai que nous avons été pris à parti, même par les responsables de la CENI et que nous n’avons pas été suivi par la haute juridiction, le Conseil d’Etat, mais ce qui vient d’arriver à la CENI et ce que les gens sont en train de dire nous donnent raison. Nous pensons que la décision que nous avons prise était celle qui était juridiquement la plus indiquée. C’est à vous de voir. Si une élection a été organisée avec des cartes irrégulières, on est effectivement tenté de dire qu’elle a été mal organisée.

Peut-on dire que vous avez voulu par votre jugement prévenir ce qui est arrivé ?

Vous savez, moi, j’ai fait le concours pour devenir magistrat. J’ai prêté serment pour dire le droit, rien que le droit. Chaque fois que je suis saisi, je n’ai d’égard que pour le droit mais jamais pour les parties en présence. Donc, je n’ai pas fait la décision pour prévenir mais j’ai constaté que la carte qui m’était présentée était irrégulière et j’ai dit le droit. Maintenant, l’interprétation qu’on peut en faire appartient à vous les journalistes, les hommes politiques. Mais, moi, j’ai fait mon travail qui est de dire le droit et j’ai dit le droit. Et en principe, le juge lorsqu’il prend sa décision, il est dessaisi et les conséquences de son acte doivent le préoccuper peu. Je n’ai pas pris cette décision pour avoir une conséquence donnée, je l’ai prise parce qu’au regard du droit, c’était une carte irrégulière qui m’était présentée.

Sur cette irrégularité de la carte d’électeur, Abdoul Karim Sango a parlé de vrai-faux problème. N’est-ce pas un désaveu à votre décision ?

Je pense que Monsieur Sango n’a pas compris. C’est vrai que c’est un juriste, mais je suis au regret de le dire, il n’a pas compris le sens de la décision. En réalité, c’est son raisonnement qui est un vrai-faux raisonnement. Je regrette lorsqu’il dit que l’irrégularité de la carte n’a pas empêché les gens de voter et qu’un droit subjectif n’a pas été violé. Parce que ce qu’il ne sait pas, c’est que 2 types de situations peuvent être soumises au juge administratif. On peut lui demander d’annuler un acte. A ce niveau, il va apprécier et de façon objective et de façon subjective. On peut aussi lui demander de dire si l’acte qu’on lui présente est régulier ou non. En ce moment il constate. Or, ce qui avait été demandé au juge administratif, c’était de dire si la carte qui a servi à voter est régulière. On ne lui avait pas demandé de dire si la carte a eu une incidence négative sur le vote. Si l’on s’en tient au raisonnement de M. Sango, c’est comme si on avait demandé au juge d’annuler la carte.

C’est quand il est demandé au juge d’annuler qu’il peut apprécier ce que lui, il a appelé la question subjective, c’est-à-dire qu’on allait voir si l’utilisation de la carte avait porté préjudice. Or, la question qui a été posée, c’était de dire si la carte est irrégulière. Et sur ce point, je ne vois pas en quoi cela est un vrai-faux problème. Je pense plutôt que c’est lui qui n’a pas compris le sens de la saisine du juge et le sens de la décision. Et la carte d’électeur telle qu’elle est, elle n’était pas faite juste pour l’élection présidentielle. C’est une carte permanente qui peut être utilisée pour les autres scrutins. Si le juge dit que la carte est irrégulière, cela signifie que la personne qui l’a déjà utilisée peut se prévaloir demain de la décision pour engager d’autres procédures. Donc, je regrette que M. Sango n’ait pas compris le sens de la saisine et de la décision. C’est un juriste, certes, mais le défaut des juristes non praticiens, c’est un peu souvent de faire de la théorie sans voir la réalité des problèmes qui se posent devant le juge.

Dans votre entendement, quelles conséquences pouvaient-elles être tirées de votre décision, à partir du moment où les gens ont déjà voté avec la carte incriminée ? Pouvait-on vraiment annuler et reprendre le scrutin ?

D’abord, la décision pouvait servir dans l’avenir. Mais, dans l’immédiat, ça pouvait effectivement constituer un élément pour demander l’annulation de l’élection. C’est vrai que des gens ont dit que les électeurs ont voté sans se plaindre. Mais, dans l’intérêt de la démocratie, l’on a aussi besoin que les choses se déroulent de manière régulière. Et l’on sait que c’est la carte d’électeur qui vous donne la qualité pour voter. Vous BAZIE, vous avez beau avoir 23 ans, vous ne pourrez pas voter si vous ne vous inscrivez pas sur la liste électorale pour avoir la carte d’électeur. C’est la carte d’électeur qui vous donne effectivement droit au vote. Sans elle, vous ne pouvez pas voter même si vous avez l’âge requis.

Maintenant, si vous partez voter avec une carte irrégulière, c’est que vous avez accompli l’acte dans des conditions irrégulières et sans avoir la qualité de le faire. Par conséquent, la personne élue l’a été lui aussi dans des conditions irrégulières.

Certains vous disent proche de l’opposition. Faites-vous de la politique ?

Dans ce pays, les gens ont tellement l’habitude de voir des juges acquis qui ont peur du régime, de voir des magistrats qui se rapprochent du régime pour avoir des avantages au point que quand ils voient quelqu’un ramer à contre-courant du système, il est taxé d’être de l’opposition. Que ceux qui me disent de l’opposition analyse la décision sur l’irrégularité de la carte d’électeur et me disent que cela ne tient pas en droit. S’ils me prouvent que la décision ne tient pas en droit, en ce moment on peut en parler. Voyez, même des gens du Conseil d’Etat disaient que la carte est irrégulière mais qu’on ne vas pas la déclarer irrégulière. Sinon, moi, je ne suis proche ni de l’opposition, ni du parti au pouvoir. Je suis proche du droit.
Je pense que ceux qui disent que je suis proche de l’opposition se projettent sur les autres. Parce qu’il y a des magistrats ou des agents publics qui ne peuvent pas concevoir leur carrière en dehors des puissants du moment.

Moi, je ne marche pas dans ce registre.
En tout cas, ceux qui suivent ma carrière, savent que j’ai rendu aussi des décisions au profit des autorités. Même syndicaliste que je suis, j’ai eu à débouter des syndicalistes. Quand quelqu’un se présente devant moi, je n’ai pas d’égard pour son contradicteur. Donc, je ne suis pas proche de l’opposition, je suis proche du droit. Et tant que je serai magistrat et aurai la possibilité de rendre de décisions, ce qui m’intéresse, c’est d’être conscient que je suis en train de dire le droit.
Vous ne faites pas la politique aujourd’hui. Et demain, la ferez-vous ?
Je ne fais pas la politique. Maintenant, vous me demandez si je ne ferai pas la politique. Pour le moment, ce n’est pas la question qui me trottine dans la tête. Pour l’instant, je ne fais pas de la politique.

La question de l’indépendance des magistrats reste une préoccupation pour le pays. Qu’est-ce qu’il faut faire pour avoir des juges indépendants ?

Je pense qu’il faudrait que les magistrats prennent conscience qu’ils ne sont pas des employés du ministère de la justice et que les postes de procureurs et de présidents de tribunaux auxquels on nous affecte sont en réalité des droits. Chaque magistrat doit se dire qu’il a un emploi et peut avoir une fonction. Son emploi c’est d’être magistrat. Pour la fonction, il peut être procureur ou président. Si un jour on lui enlève sa fonction, on ne peut pas lui enlever son emploi, sauf s’il a posé des actes contraires à la déontologie. Donc, la première chose à faire, c’est que les magistrats prennent conscience qu’ils ont une mission constitutionnelle, une mission noble qui est de protéger les droits des citoyens et doivent de ce fait en être conscients et prendre leur rôle au sérieux.

Deuxièmement, il faut que les gens se battent parce que vous ne verrez pas ce régime là qui donnera l’indépendance sur un plateau d’or. L’indépendance tout comme toute liberté est une conquête permanente.

Ensuite, nos textes ont besoin d’un petit toilettage, notamment en faisant en sorte que le parquet c’est-à-dire l’ensemble des magistrats qui travaillent avec le procureur puissent être déconnectés du ministère de la justice. Aujourd’hui, quand vous travaillez au parquet, vous n’avez aucune volonté propre. Votre carrière et votre vie se trouvent entre les mains du ministre.

Il va falloir également que le Conseil supérieur de la magistrature soit réformé afin qu’il soit un véritable organe de gestion de la magistrature en excluant le Président du Faso et le ministre de la justice qui sont des représentants de l’exécutif et qui en sont respectivement le président et le vice-président. Ce qui fait qu’en réalité, c’est toujours leur volonté qui passe.

Au nombre des propositions non consensuelles du CCRP figure la création d’un Conseil supérieur de la magistrature de l’ordre administratif. Qu’est qu’un dispositif du genre aurait pu apporter à votre corps si elle avait été adoptée ?

Il faut dire qu’il n’existe pas encore de magistrats de l’ordre administratif de sorte que nous qui sommes affectés dans les tribunaux administratifs sommes au départ des magistrats de l’ordre judiciaire. Le premier problème qui peut se poser lorsque vous prenez une décision qui ne plaît pas, c’est de vous ramener tout de suite dans l’ordre judiciaire.
La création d’un statut de magistrats de l’ordre administratif permettrait de spécialiser les gens de sorte qu’ils puissent y faire carrière. Sinon, même avec dix ans dans les tribunaux administratifs, on peut toujours vous ramener dans l’ordre judiciaire. Avec la spécialisation, les juges seraient plus compétents.
Et plus le magistrat est compétent, moins il craint qui que ce soit et plus il est indépendant.

Deuxièmement, cela favoriserait l’indépendance de ces juridictions parce que dans le paysage juridictionnel burkinabè les tribunaux administratifs sont souvent oubliés.
Donc, ce sont les deux éléments importants que je vois, c’est-à-dire que cela permettrait aux magistrats de se spécialiser et de renforcer l’indépendance et l’autonomie des juridictions administratives.

Dans nos pays, la quête de l’indépendance professionnelle n’est pas toujours chose aisée et souvent cela peut donner lieu à des menaces. Vous arrive t-il d’avoir peur de mener ce combat ?

Chaque vision, chaque engagement a ses avantages et ses inconvénients. Moi, personnellement, en m’engageant pour le respect du droit et la défense de l’indépendance de la magistrature, je ne doute pas que je cours des risques et si c’est le prix à payer, je suis prêt à le faire.

Interview réalisée par Grégoire B. BAZIE

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