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WADE ET LES CHEFS TRADITIONNELS : Le réflexe du naufragé

Publié le jeudi 21 juillet 2011 à 02h21min

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Nombre de dirigeants d’Afrique francophone ont cette fâcheuse manie d’exceller dans des domaines qui n’ont rien à voir avec leur programme de campagne sur la base duquel ils ont été élus. Est sans doute de cette catégorie, Abdoulaye Wade. L’on se rappelle qu’en 2000, quand il était candidat à la succession de son prédécesseur Abdou Diouf, le président actuel du Sénégal avait promis, entre autres, de créer suffisamment d’emplois pour la jeunesse de son pays et de résoudre le conflit casamançais en cent jours. Plus d’une décennie après sa première prestation de serment en tant que président, le constat est que l’opposant historique aux deux premiers régimes de la Téranga a manqué d’imagination à même d’apporter à ses concitoyens le bien-être auquel ils aspiraient et avaient osé croire avec l’avènement de l’alternance.

Mais s’il est évident que Gorgui a déçu ses ex-admirateurs pour avoir brillé par son incapacité à tenir ses promesses électorales, il est encore plus regrettable de remarquer que tous les démocrates qui avaient fondé un quelconque espoir sur le chef de l’Etat sénégalais sont de plus en plus désappointés et écœurés de constater qu’il est débordant d’initiatives quand il s’agit de conserver son fauteuil présidentiel. Alors qu’il n’a pas encore fini, après son échec cuisant dans sa tentative d’instaurer un ticket présidentiel, de faire face à l’inquiétante détermination de l’opposition sénégalaise à barrer la voie à une troisième candidature et à toute anticipation de la présidentielle, le régime de Dakar est en train d’explorer d’autres horizons.

C’est dans cette perspective qu’après les élus locaux, le président Wade a décidé, dans une perspective de séduction, de faire les yeux doux à des milliers de chefs de village qu’il a rencontrés pour parler de ses ambitions à lui. Et, pour rendre la pilule plus agréable à avaler, Me Wade l’a recouverte d’une alléchante couche de promesses faites aux responsables traditionnels. Profitant des revendications de ces derniers, l’hôte des chefs sénégalais a promis de revaloriser leur statut en leur accordant des cartes professionnelles, des indemnités et en assurant leur sécurité. Serait-ce un autre engagement à visée électoraliste, à l’image de ceux que le président sénégalais a déjà pris de par le passé, et qui se révélera démagogique une fois le cap du scrutin passé ?

Toujours est-il que ces faveurs envisagées, même si elles ne prennent pas en compte les véhicules demandés par les responsables traditionnels, ont quand même de quoi faire saliver. Si fait que, comme d’habitude, pour espérer prétendre un jour à ces avantages mirobolants, les garants de la tradition sénégalaise seraient capables de s’asseoir sur leurs bonnets et leur dignité pour se mettre au service du clan Wade. Tout esprit d’impartialité mis de côté, ils seront prêts à faire le sale boulot des périodes de campagne en jouant les rabatteurs de bétail électoral, et cela en usant de leur autorité et en abusant de la soumission de leurs sujets, quitte à y laisser leur honneur.

Intervenant dans un contexte marqué par une contestation de ses projets par la France et les opposants à son régime, ses prises de position sur la crise libyenne l’ayant rendu distant de l’Union africaine, cette rencontre entre Abdoulaye Wade et les chefs traditionnels fait beaucoup penser à un reflexe de naufragé. Lâché aussi bien par l’ancienne puissance coloniale que par l’institution panafricaine et chahuté par une opposition et une société civile très vigilantes et tenaces, le premier des Sénégalais a certainement trouvé dans l’instrumentalisation des chefs de villages une bouée de sauvetage à laquelle il compte s’agripper.

Toutefois, loin d’être une exclusivité, l’attitude du président Wade n’est qu’une infime partie de la face visible de l’iceberg des manigances politiciennes préélectorales visant à exploiter l’influence de la chefferie traditionnelle dans la partie francophone du continent noir. Lors des consultations électorales, les politiciens ont toujours pressé les responsables traditionnels comme du citron pour en extraire et exploiter le jus de leur capacité à mobiliser l’électorat. Ils se servent pour ce faire des moyens financiers colossaux dont ils disposent, faussant ainsi les règles de la compétition qui était censée être basée sur l’égalité des chances des candidats. Cette collusion entre les pouvoirs politique et traditionnel en Afrique est si dommageable au jeu démocratique qu’elle mérite d’être recadrée, voire enrayée.

Certes, l’élaboration d’un statut particulier des chefs traditionnels africains, dont la réflexion est en cours dans certains pays du continent, pourrait être une panacée. Cependant, pour éviter que cette option se révèle plus nuisible que la situation qu’elle est censée redresser, il faut éviter qu’elle ne confère un pouvoir de coercition débridé et incontrôlable aux responsables traditionnels. Un minimum de garde-fous s’avère nécessaire à travers la définition claire et nette des droits et devoirs liés à ce statut, ainsi que les conditions à remplir pour y prétendre. Tout en se souciant du respect des pratiques coutumières humainement acceptables de chaque localité, le législateur devra tracer une frontière infranchissable entre le pouvoir politique et la chefferie traditionnelle. Car, un chef de village, dont la légitimité et la respectabilité tiennent au fait qu’il met tous les villageois sur un pied d’égalité, ne saurait être partisan et pouvoir faire preuve d’impartialité. Il n’est pas non plus rare que les politiciens profitent d’une mésentente liée à la dévolution du pouvoir pour imposer à un village un responsable qui ne fait pas l’unanimité. De telles précautions ne seraient du reste ni nouvelles ni discriminatoires, dans la mesure où elles existent déjà dans le statut d’un corps comme celui de la magistrature.

Elles permettront surtout de garantir la neutralité des chefs traditionnels dans le jeu démocratique, préservant ainsi leur autorité et leur dignité. Ainsi pourront-ils assumer pleinement leur rôle social qui est d’un apport considérable dans la stabilité et la résolution de certains conflits aux niveaux local et national.

"Le Pays"

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Vos commentaires

  • Le 21 juillet 2011 à 08:29, par Pag-la -Yiiri En réponse à : WADE ET LES CHEFS TRADITIONNELS : Le réflexe du naufragé

    Bien dit "Le Pays" mais comme je disais dans un forum passé, nos journalistes excellent quand il s’agit de parler de ce qui se passe ailleurs. A force, nous leur fabriquerons une démocratie moderne et progressiste pendant que chez nous, c’est celle des cavernes. Au lieu de nous préoccuper de la paille qui est dans l’œil du voisin, voyons la poutre qui est dans le notre. Les méthodes et les recettes de M. A Wade sont faites par B.Compaoré sous nos yeux. Et pourtant, nous ne commentons pas. Nous faisons la politique de l’autruche. Il y a comme du déjà vu dans les propositions dites consensuelles du CCRP pour nos chefs coutumiers ? Non ? Afin je croyais l’avoir lu quelque part. J’hallucine peut-être.
    Dieu bénisse le Faso.
    Pag-la -Yiiri

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