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Editorial de Sidwaya : Les misères de la démocratie …

Publié le lundi 18 juillet 2011 à 01h08min

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Le poète et homme politique Aimé Césaire estime, dans « Discours sur le colonialisme », que les cultures meurent de deux manières : par « gélification » et par « évaporation ». Il en est de même de la démocratie parlementaire, entendue ici démocratie dite directe. Quand toutes les pratiques et tous les actes qui expriment la gouvernance démocratique se trouvent gelés pour ne se conserver que sous la forme d’un corps solide et figé de lois, de textes et de déclarations, sans inspiration, imperméable au dialogue, au changement, à la critique, … cette démocratie est bel et bien morte. De même, quand celle-ci s’enflamme pour n’être rien d’autre qu’une démocratie parlée, d’apparat, elle devient évanescente, s’évapore et ne provoque en nous que crainte et tremblement devant notre devoir absolu qui est celui d’entrer de plain-pied dans le concert des nations, la fierté au cœur, la liberté à bout de bras.

Les travaux du Conseil Consultatif sur les Réformes Politiques (CCRP) viennent de prendre fin.
Est-il superflu de se demander, devant les résultats de ces concertations, si la démocratie burkinabè est à l’abri de toute « gélification » et de toute « évaporation » ?
Une intuition tenace porte à penser que ceux qui ont boudé les assises du CCRP ne sont pas loin de la gélification, tandis que ceux qui y ont participé s’orientent vers l’évaporation.

D’un côté, les mots, gestes et actes de l’opposition dite dure tendent à se figer, à se geler, prônent l’immobilisme : comme si s’opposer était un but en soi. Sous d’autres cieux, on reconnaît que les hommes politiques de droite font le lit de ceux de la gauche et vice-versa. Ici également et en réalité, on oublie que le pouvoir n’a fait que son devoir d’anticipation en confiant à un Conseil consultatif la tâche d’étudier les points critiques de notre gouvernance, lesquels ont été plus d’une fois développés par l’opposition burkinabè ces dernières années. L’observateur, le politiste de l’expérience démocratique, s’attendait plutôt à voir toute la classe politique burkinabè « bondir » autour de la table de discussions portant sur ces points d’intérêt commun et capital. Ce refus de dialoguer, qui voudrait paradoxalement fonder le dialogue national pour la refondation et le développement, a de quoi inquiéter tout observateur de bonne foi.

L’initiative d’une réforme politique est-elle mauvaise en elle-même, ou l’est-elle parce qu’elle a été proposée par le locataire de Kosyam ? Même dans les pays de longue tradition démocratique, la démocratie ne se présente nullement comme une pratique toute faite et bien faite dont une seule classe aurait le secret, en l’occurrence celle qui s’occupe de jouer la fonction « cool », sans aspérités, de la critique.
La démocratie se vit plutôt comme une démarche en cours d’élaboration, toujours passible de changements, si de nouvelles observations y obligent. L’artisan-démocrate doit remettre sans relâche son ouvrage institutionnel sur le métier. En cela, le débat s’impose toujours, et c’est l’honneur des gouvernants burkinabè de ne pas refreiner ce qui s’impose de la sorte.

Le CCRP propose par exemple, dans une optique d’ouverture, l’élargissement de la base du dialogue national. Y a-t-il un parti politique qui ne soit pas concerné par cette proposition, qui puisse se permettre de ne pas y adhérer ? A partir de là, le souci de tous et de chacun, le vrai devoir cardinal du démocrate, ne serait-il pas de voir COMMENT cela peut être accompli ?
De l’autre, on ne craindra pas de dire que le résultat le plus sûr du CCRP, c’est cette flambée de la parole qui s’installe et dont personne ne peut vraiment prévoir, ni l’évolution exacte, ni les conséquences directes, encore moins le prix à payer en termes de finances et de gestion du temps de travail. Comités par-ci, conseils par-là, symposiums entre les deux, rencontres partout et autres concertations vont se multiplier et s’alourdir à l’envie.

Au chapitre « Renforcement du dialogue social », par exemple, on dénombre onze alinéas, chacun annonçant des initiatives à prendre dans le cadre de ce dialogue, du sommet à la base. Chacun des quatre axes des réformes repose, ainsi, sur des palabres démocratiques à organiser dans un proche avenir. Des comités et des observatoires permanents vont agrandir le paysage institutionnel du Faso. Ainsi, on s’attend à ce que dans les mois qui viennent, le Burkina Faso se mue en une vaste Agora budgétivore dans laquelle on se gave mutuellement de paroles, quitte à aller dormir tous les soirs à jeun. On renoue ainsi avec la démocratie athénienne et ses joutes oratoires sans fin, une démocratie vaste, belle mais désespérément vide. Nous ne sommes pas contre une telle flambée de paroles, puisqu’il a fallu qu’elle soit possible pour que nous puissions nous exprimer ici, comme nous le faisons.

Cependant, force est de reconnaître que le refus des uns, qui attendent seulement que l’on déclare « A » pour rétorquer « B », et l’appétit sans aucune limite des autres à parler et à faire parler sans fin, ne résoudront pas, par le fait même qu’ils sont possibles, le mal national qui s’appelle sous-développement.
Nous craignons que les populations burkinabè ne soient en retard d’une déception. Les mécanismes du débat démocratique, même revisités et bien huilés, exigent leur complément obligatoire qui est la moralisation adéquate de la société.

Quelle morale et quelle moralisation ? Le CCRP recommande l’enseignement du civisme à l’école. Et que recommande-t-on pour le ressourcement moral des aînés, puisque les jeunes vivent beaucoup plus de leur exemple que de leur enseignement ? Beaucoup d’élèves préfèrent, et de loin, vivre comme un maître corrompu et riche, que de suivre l’exemple d’un maître honnête et pauvre… Nous, adultes, sommes au cœur du problème, au-delà de la parole et du calcul. Comment développer et faire prendre au sérieux toutes formes de morale, de responsabilité ou de conviction - les deux freins, et leviers à la fois, qui soient capables de porter un coup fatal à la corruption - et d’impulser, par le même coup et avec la force du dévouement, un réel développement pour le bonheur de tous et de chacun ?
Avec la furia de l’argent dont nous sommes tous victimes, une succession de comités peut-elle nous garantir une sortie de la corruption qui se développe dangereusement, et du vandalisme tel que nous venons de le vivre ces derniers mois ?

Pourquoi ne pas terminer aujourd’hui par une note de désespoir, pour que vienne, par césarienne, son antonyme - l’espoir - le plus indéracinable ? Voici le mot d’un physicien, Hubert Reeves : « chez les animaux, il y a toujours des garde-fous ; pas chez les hommes. On peut dire, avec raison, que la terre est infestée d’êtres humains, comme on dit que la mer est infestée de requins. On a un peu l’impression que la nature a atteint son niveau d’incompétence avec l’être humain. » (Cf. Le journal L’expression du 1er novembre 1990.)

Par Ibrahiman SAKANDE ( sakandeibrahiman@yahoo.fr)

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 18 juillet 2011 à 01:53, par Alain SAVADOGO En réponse à : Editorial de Sidwaya : Les misères de la démocratie …

    Courage et félicitations pour ta constance et ta perspicacité exemplaire ... Nous sommes très fier de la jeunesse de ta trempe ! Bravo.

  • Le 18 juillet 2011 à 10:55, par Hic En réponse à : Editorial de Sidwaya : Les misères de la démocratie …

    Monsieur Sakandé,très souvent je ne suis pas d’accord avec vos éditoriaux mais cette fois-ci,vous vous êtes fait violence en pointant du doigt les vrais maux qui minent notre pays à savoir l’injustice,la cooruption.Donc il me semble que les propositions de ce CCRP sont une vaste escroquerie intellectuelle parceque même si par extraordinaire,on mettait en oeuvre toutes les propositions de ce CCRP,nos problèmes ne seront pas résolus pour autant,ils vont même s’empirer.Nos impôts et nos taxes vont augmenter afin de pouvoir nourrir les nouveaux nababs de la politique car le génie de ce CCRP consista à s’occuper plus de leur pré carré avec l’augmentation des députés,la création d’un sénat,les chefs traditionnels qui deviendront des fonctionnaires de facto,ce qui est d’ailleurs une forme de corruption des consciences à dessein purement électoraliste.En fait que des créations et des créations de structures politiques au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes des Burkinabè.Dommage car je suis plus que pessimiste quant à notre avenir avec cette conception de la démocratie où nos politiciens s’occupent plus de se servir au lieu de servir le peuple

  • Le 18 juillet 2011 à 12:17, par Wend tar Panga En réponse à : Editorial de Sidwaya : Les misères de la démocratie …

    Les misères de Sidwaya oui !!! Depuis un bout de temps on n’arrive plus à vous lire sur le net.Tous les quotidiens sont accessibles sauf Sidwaya ! Pouvez-vous nous fournir les raisons ? Si c’est payant dites-le afin qu’on prenne nos dispositions.

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