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La stratégie électorale de Abdoulaye Wade se heurte à la réalité sociale sénégalaise. Au « Vieux » de choisir son destin.

Publié le lundi 27 juin 2011 à 18h08min

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Le « mouvement du 23 juin 2011 » fera date dans l’histoire de la démocratie sénégalaise. Non pas tant parce que les populations des villes du pays ont débordé dans les rues pour dire « non » à un projet de loi qui lui semblait inique (une « forfaiture » selon Youssou N’Dour) ; mais parce que le chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, a reculé.

Voilà donc une population qui, à l’instar des Nigériens voici peu, entend se réapproprier sa Constitution et refuser son tripatouillage et un président de la République qui prend conscience - à l’instant ultime - que la démocratie est une réalité qui s’impose à tout le monde, y compris à lui-même. Là où Mamadou Tandja était passé en force, obligeant l’armée à intervenir pour le déloger d’un pouvoir qu’il ne méritait plus, Wade a cédé d’emblée. D’une action électoraliste qui ressemblait à une petitesse politique, il pourrait sortir grandi. Il n’est pas certain que son « entourage » le lui permette. Ce serait dommage. Wade - comme Tandja - mérite mieux qu’une sortie de scène ignominieuse.

Wade avait déclaré récemment à Sylvain Rolland (La Tribune du 22 avril 2011) : « Je suis le seul président en état perpétuel de grâce. L’usure du pouvoir ne s’applique pas à moi. C’est un phénomène spécial lié à ma personnalité, à mon charisme ». Ceux qui lui font croire cela lui mentent. Les Sénégalais viennent de lui en apporter la preuve. Le message a été clair : dans une conjoncture sociale excessivement difficile pour la population, il n’y a pas d’autre priorité que la résolution des problèmes cruciaux des Sénégalais.

Et si ceux-ci ne croient plus en la sincérité du jeu politique - celui du pouvoir comme celui des oppositions - ils n’entendent pas pour autant brader leurs acquis en la matière : une alternance qui, en 2000, a été un modèle ; et une Constitution républicaine qui n’organise pas la dévolution de la présidence du père au fils. Wade peut bien affirmer qu’il « n’a pas d’héritier » et qu’il « n’a jamais dit que [son] fils devait [le] remplacer » (entretien avec Jean-Marie Colombani et Pierre Cherruau - SlateAfrique - 9 mars 2011) personne ne veut le croire dès lors que chacune de ses actions laisse penser que, justement, il entend organiser cette « succession ».

En 2003 (cf. LDD Sénégal 013/Lundi 17 novembre 2003), alors que Wade était au pouvoir depuis à peine plus de trois ans, j’avais écrit : « Abdoulaye Wade est président de la République du Sénégal. Tout le monde le sait. Sauf, semble-t-il, Wade lui-même et ses conseillers en communication. Il n’existe guère d’exemple, en Afrique noire, d’un chef d’Etat qui ait eu, lors de son élection, autant d’atouts en main et qui ait été capable, en un laps de temps aussi court, de les distribuer les uns après les autres à ses opposants. Tout en gâchant la partie à ses partenaires les plus fidèles ».

Wade m’en avait voulu ; avant de me confier, un jour, que, parfois, quand il se lançait dans une action, il repensait à ce commentaire. Le temps a passé. Parvenant à être réélu dès le premier tour de la présidentielle 2007, il s’est senti pousser des ailes sur lesquelles Karim pouvait voyager. On sait ce qu’il advint d’Icare, le fils de Dédale, quand il s’échappa avec son père du Labyrinthe où les avait enfermé Minos. Voulant voir de près le soleil, la cire fixant sur ses épaules les ailes que son père lui avait confectionnées fondit ; et il s’abîma dans la mer !

J’ai toujours souligné (cf. LDD Sénégal 017/Mercredi 28 avril 2004) que Wade avait accédé à la président à l’âge ou Léopold Sédar Senghor avait démissionné. Son prédécesseur, Abdou Diouf, est son cadet de 9 ans, Mustapha Niasse de 13 ans et Djibo Kâ de 22 ans (Niasse et Kâ ayant été candidats au premier tour de la présidentielle 2000 et ayant soutenu Wade au second). C’était une donnée qui n’avait échappé à personne ; et si, au second tour, une quasi unanimité s’était faite autour de Wade, c’est que beaucoup de ceux qui l’avaient soutenu prenaient en compte son âge et ce que l’on disait de son état de santé ; ils voulaient être dans le « tender », juste derrière la locomotive, au cas où il faudrait sauter en marche pour s’emparer du pouvoir.

Ainsi, beaucoup de propagandistes de l’alternance ont pensé que Wade se contenterait d’un petit tour présidentiel, aboutissement de son combat politique, avant de se retirer. Et puis Wade s’est pris au jeu du pouvoir ; son entourage aussi. Meilleur moral ; meilleure santé. Ce qui, bien sûr, n’a pas enchanté tous ses « amis ». Et Wade, pour avancer mois après mois, année après année, à dû s’engager dans une fuite en avant épuisante pour le pays : des gouvernements à l’infini, des ministres à foison et des flopées de premiers ministres.

Si l’histoire a voulu que Wade accède au pouvoir tardivement, c’est une donnée qui s’imposait à tous et d’abord à ses amis ; leur responsabilité historique étaient de l’aider dans sa tâche. Certes, Wade n’est pas facile et sa personnalité est celle d’un homme « insubordonné et irréductible », mais le présent et le devenir du Sénégal méritaient des sacrifices de carrière de la part de ceux qui visaient sa place. Dans le contexte qui demeure celui de l’Afrique de l’Ouest, il convenait d’éviter de jouer aux apprentis sorciers. Il y avait déjà trop de maîtres en la matière.

Wade est au pouvoir depuis 2000 et ceux qui auraient pu (et dû) s’opposer à ses dérives - en premier lieu le PS qui, lui, a géré le pays pendant 40 ans ! - ont failli. Politiquement et socialement. Une opposition en miettes n’est pas une opposition ; c’est un conglomérat d’intérêts particuliers. Et les Sénégalais, qui dénoncent le jeu perso de la classe politique dirigeante, en ont « marre », aussi, de ces leaders de l’opposition qui, trop souvent, après avoir beaucoup mangé, veulent se gaver à nouveau. La population sénégalaise (et notamment la jeunesse) a dit à Wade qu’au-delà d’une certaine limite son ticket n’était plus valable.

Wade peut penser le contraire - et d’abord qu’il n’a pas l’opposition qu’il mérite pour assurer sa succession - mais il n’empêche que le maintien de sa candidature à la présidentielle 2012 ne serait pas la meilleure des choses pour le Sénégal. Ce sont les Sénégalais qui le disent ; ils le répéteront à l’occasion. Trop anti-marxiste pour croire aux « lois de l’Histoire » et pensant, en libéral, que ce sont les hommes qui la font, il se pourrait bien, cependant, que l’Histoire et ses lois le rappellent à l’ordre.

Aujourd’hui, pour démontrer le bien fondé de sa pensée philosophique, il est dans la meilleure des positions. Aller au terme de son mandat présidentiel et assumer la responsabilité qui est la sienne aujourd’hui : organiser une consultation électorale libre et transparente à laquelle il ne participera pas ; ou forcer le passage à coups de projets de tripatouillage de la Constitution plus délirants les uns que les autres (le coup de la majorité à 25 % restera dans les annales) et provoquer un chaos qui mettra K.O. le Sénégal (les Sénégalais, quant à eux, le sont déjà). Wade n’est pas un homme seul. Il a une famille, des amis, des alliés et une armada de conseillers ; il a aussi l’oreille des chefs d’Etat étrangers, africains et occidentaux. C’est un homme qui a assumé ses responsabilités.

Aujourd’hui, l’âge est là ; avec ses contraintes. Il a fait ce qu’il pensait devoir faire pour remettre le Sénégal (et, à l’occasion, l’Afrique noire) dans le bon sens. Il a des acquis et des réussites. De son passage au pouvoir, il reste des monceaux de textes, d’entretiens, des actions, des réalisations, des pistes de réflexion… « Quand on accepte la démocratie, il faut se dire, tout en croyant à ses idées et en militant pour elles, qu’on n’est pas un homme parfait et qu’il y a toujours meilleur que soi ». C’est Wade qui le disait à Jean-Baptiste Placca voici vingt ans (Jeune Afrique Économie - novembre 1991). Il était alors ministre d’Etat dans le gouvernement de Diouf. Le redire aujourd’hui serait son ennoblissement.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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