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Côte d’Ivoire 2011 : Mais où est donc passé Guillaume Soro ?

Publié le samedi 25 juin 2011 à 19h17min

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On a dit de lui qu’il était le « troisième homme » de la présidentielle 2010. Les deux autres étant, bien sûr, Laurent Gbagbo, le « sortant », et Alassane D. Ouattara, « l’entrant ». C’était, d’abord, faire l’impasse sur Henri Konan Bédié et son stock de « personnalités » en attente, depuis plus de dix ans, d’un placement. C’était, ensuite, avoir une vision linéaire des événements politiques ivoiriens.

Or, si Ouattara a bien été le vainqueur du deuxième tour de la présidentielle, le 28 novembre 2010, ce n’est que le 21 mai 2011 - soit près de six mois plus tard - qu’il a pu être investi président de la République de Côte d’Ivoire. Il y a eu, entre temps, non seulement quelques milliers de morts innocents mais aussi la nécessité d’un engagement militaire de la France, via Licorne, et le feu vert des Nations unies, pour en finir avec Gbagbo.

Dans le même temps, Guillaume Soro, nommé premier ministre et ministre de la Défense - et reconduit dans ses fonctions au lendemain de l’investiture officielle - a quelque peu perdu de sa crédibilité politique dès lors qu’il avait échoué à remporter la « bataille d’Abidjan » et, plus encore, à contrôler ses « troupes » aussi bien dans la capitale que dans l’Ouest du pays et dans les zones « occupées ». ADO, qui sait ce que gouverner veut dire, à mis à profit cette période pour rappeler à tout le monde qu’il est le président de la République élu, le chef de l’Etat, et que dans cette affaire il ne doit « rien à personne » (cf. LDD Côte d’Ivoire 0320/Mercredi 1er juin 2011). Surtout pas aux Forces nouvelles (devenues Forces républicaines de Côte d’Ivoire - FRCI -, mais le nom ne change rien à l’affaire, surtout pas aux mauvaises affaires dont elles ont été coupables) qui, après avoir foiré le coup de force du 18-19 septembre 2002, ont foiré la conquête d’Abidjan et la sécurisation de la Côte d’Ivoire. Le problème avec Soro, c’est qu’il engage des processus mais ne les mène pas à terme ; et que dans son sillage le « bazar » s’installe !

Soro est premier ministre de Ouattara comme il l’a été de Gbagbo. Il n’est pas sûr qu’il soit mieux pris en compte, dans sa fonction de chef du gouvernement, par son « allié » que par son « adversaire ». Certes, il a du monde à lui dans son gouvernement mais c’est à la présidence que les choses sérieuses se passent et pas à la primature ; et surtout pas dans les ministères. L’argent des bailleurs de fonds, les discussions avec les décideurs politiques, les négociations avec les opérateurs économiques mondiaux, les nominations importantes, l’action diplomatique… c’est le job de ADO ou, à la rigueur, de ses hommes de confiance. Et, manifestement, la confiance - en matière politique - ne semble plus la règle entre ADO et Soro. Normal, les deux hommes ont des conceptions de la gestion des affaires publiques qui sont à des années lumières l’une de l’autre.

Ils ne sortent pas du même moule : le FMI, la Banque centrale et les affaires internationales pour ADO ; les copains étudiants « marxisants », les maquis abidjanais, « l’informel » et le virtuel pour Soro. L’ami sur lequel ADO peut compter s’appelle George Soros (financier « international » dont la fondation peut se permettre de distribuer plus de 8 milliards de dollars à diverses causes humanitaires) tandis que l’ami sur lequel Soro ne peut plus compter s’appelle Charles Blé Goudé, son « frère » de la FESCI, ex-« général de la jeunesse », ex-ministre, « nationaliste xénophobe », amateur d’hôtels de luxe, de voitures de luxe, de « filles » de luxe…

Que ADO et Soro ne « partagent pas les mêmes valeurs » ne saurait étonner. Dans le fond et la forme, Soro était plus en adéquation avec Gbagbo ; et si le président du RDR pouvait s’accommoder de sa façon d’être, le président de la République, quant à lui, doit marquer sa différence. ADO peut revendiquer une cohérence : il n’a jamais cessé d’être « houphouëtiste », y compris dans ses alliances opportunistes avec Gbagbo au temps du « front républicain », Robert Gueï dans les premiers temps de la « transition », Soro depuis les événements du 18-19 septembre 2002, Bédié depuis 2006.

Soro, lui, a été chaotique dans sa démarche politique : agitateur, rebelle, ministre, premier ministre de l’un puis de l’autre. Sauf que c’est de ce chaos qu’a émergé « ADO président de la République ». Et Ouattara ne peut pas l’oublier même s’il feint de ne pas s’en souvenir. En fait, Soro est à ADO ce que Gbagbo était au « Vieux » : un trublion ; mais Houphouët était en fin de parcours quand Gbagbo a émergé alors que ADO a surfé, pour accéder au pouvoir, sur les cahots provoqués par les initiatives intempestives de Bédié, Gueï et Gbagbo, cahots systématiquement exploités par… Soro.

Soro premier ministre au lendemain de la présidentielle ; c’était une évidence stratégique. Il fallait casser sa proximité avec Gbagbo et obliger les FN à choisir leur camp en un temps où personne ne voulait « injurier l’avenir ». Soro premier ministre au lendemain de l’investiture de Ouattara, c’est tout autant évident. « Lui, c’est lui ; moi, c’est moi ». Autrement dit, il y a une présidence « principale » et une primature « accessoire ». Pascal Airault l’a dit dans Jeune Afrique (19 juin 2011) : « En remportant une guerre qu’il n’a pas souhaité, Alassane Ouattara a fait entrer la Côte d’Ivoire dans une période institutionnelle inédite où le chef a tous les pouvoirs. Ceux de faire arrêter ou de museler ses adversaires, de nommer à des postes de responsabilité, de s’affranchir de tout débat contradictoire… Depuis Houphouët-Boigny, jamais président ivoirien n’avait cumulé autant de pouvoirs. S’il n’était pas démocrate, l’homme, sorti vainqueur des urnes le 28 novembre dernier, pourrait même se comporter en autocrate ». C’est dire que ADO occupe tout le terrain. Bien plus que Gbagbo qui était contraint de prendre en compte un jeu politique complexe et un jeu diplomatique plus complexe encore.

Du même coup, Soro se retrouve aujourd’hui exclu de la cour des grands et obligé d’aller jouer avec ses petits camarades. Difficile de dire où il se trouve aujourd’hui sur l’échiquier politique face à la coalition des « houphouëtistes ». Si ADO s’accommode de Soro dès lors qu’il préside aux destinées du pays et que le premier ministre est le meilleur des fusibles ayant toujours endossé la responsabilité des événements de 2002, revendiqué la paternité des FN et partagé le pouvoir avec Gbagbo depuis 2007, il est avéré que la relation de Soro avec Bédié est tendue. Les deux hommes n’ont aucune connexion politique et Bédié a intérêt à ne pas détourner l’attention sur les exactions imputées aux FN, via Charles Konan Banny (en charge de la réconciliation) qu’il contrôle ; et dont Soro a beaucoup à redouter : on ne craint plus le FPI ; on craint encore les FN, autant les briser. Par le passé, Soro n’a pas ménagé Bédié et son « ivoirité » et le PDCI souhaite occuper les places qui pourraient être laissées vacantes par les FN.

ADO, de son côté, veut recoller définitivement les morceaux entre le PDCI et le RDR (issus du même moule : le PDCI-RDA de Houphouët) afin de créer un grand parti hégémonique et, du même coup, rompre avec son image de leader du Nord. Des commentateurs pensent que Soro veut créer un parti issu des FN qui présenterait ses propres candidats aux législatives. Ses modèles seraient Jean-Pierre Bemba (RDC), John Garang (Soudan), Jonas Savimbi (Angola), Charles Taylor (Liberia). C’est oublier qu’ils ont tous mal fini. C’est oublier que ADO, ayant été le premier Premier ministre de Côte d’Ivoire, sait jusqu’où un premier ministre peut aller quand le président lui laisse la bride sur le cou.

C’est dire que « l’hyper-présidence » ivoirienne a de beaux jours devant elle. D’autant plus qu’elle est, dans la conjoncture actuelle, une nécessité absolue. Et dans ce contexte, l’isolement de Soro serait une fragilisation de sa position ; ayant perdu la « bataille d’Abidjan », il ne lui reste qu’à être un homme lige. C’est la règle du jeu. Sauf à la changer.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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