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Société Farah au Burkina : Quand les lois du travail sont bafouées !

Publié le jeudi 23 juin 2011 à 05h34min

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Les travailleurs salariés de la Société Farah du Burkina (SOFAB), installéée à Kamboissin, à quelque 20 km au nord-est de Ouagadougou, ont observé un arrêt de travail le 17 février 2011. La direction de l’entreprise leur a infligé « une mise à pied d’une semaine assortie d’une coupure de salaire de tous les travailleurs » pour avoir été absents au service le 16 février 2011, jour de la fête du Mouloud.

La Société Farah du Burkina (SOFAB) est située à quelque 20 km au nord-est de Ouagadougou. Elle est spécialisée dans la réparation et la maintenance des grosses machines de travaux publics. Selon le directeur général lui-même, la SOFAB existe officiellement depuis le mois de janvier 2008 et emploierait une quarantaine de travailleurs salariés. « Tous les permanents sont déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale », nous a confirmé Melhem Farah le 28 février dernier au siège de la société ! Le 16 février 2011, jour de la fête du Mouloud au Burkina, sur les 15 employés censés être présents, seuls 6 (9 absents) étaient à leur poste. Ils ont travaillé en journée continue la veille, sans qu’aucune notification spécifique de réquisition interne ne soit portée à leur intention.

D’ailleurs, le directeur général a reconnu avoir été absent 48 heures au cours desquelles les employés ont affirmé avoir attendu, en vain, les consignes de l’administration. A la descente du boulot, ils sont rentrés chez eux, rassurés que la journée de la fête du Mouloud reconnue officiellement au Burkina comme étant chômée et payée les concerne aussi. « J’ai confirmé le 16 février à ma secrétaire avec laquelle j’ai échangé par SMS qu’il y avait bel et bien travail le jour du Mouloud », s’est justifié Melhem Farah. C’était déjà trop tard, les travailleurs étaient dans leurs familles respectives où ils ont festoyé pour reprendre de la force. Et par enchantement, ils ont été réconfortés dans leur « choix » de rester à la maison quand ils ont appris par voix de presse que la journée du 16 février était effectivement déclarée chômée et payée sur toute l’étendue du Burkina Faso. « Les gens ont travaillé en journée continue la veille du Mouloud mais le jour de la fête ils ne se sont pas présentés à la société », a expliqué Hubert Compaoré, "mécanicien moteur" affectueusement appelé « vieux Hubert ».

Le jour même du Mouloud, une note de service manuscrite signée du directeur général de la SOFAB (Cf. copie jointe) informait laconiquement : « toutes les personnes impliquées » dans l’éphémère mouvement de grève qu’elles écopaient d’une mise à pied d’une semaine avec retenue de salaires. Evidemment, c’est avec stupéfaction que les travailleurs ont découvert le lendemain 17 février ladite note à leur arrivée à la société. Voilà donc l’origine de la crise entre les employés et l’entreprise. En guise de mécontentement, ils ont décidé le 17 février d’un arrêt momentané de travail dont la reprise, menaçaient-ils, ne sera effective qu’après des échanges fructueux entre eux et la direction. « Le Directeur général de la SOFAB m’a fait appelé le jour du Mouloud pour me confier un travail…En fait, avec le recul je suis en train de réaliser qu’il a voulu cogner ma tête contre celles de mes camarades alors que moi-même, de 2008 jusqu’en 2010, j’ai eu deux bulletins, avec des salaires différents, portant tantôt la mention affiliation de la caisse, tantôt sans affiliation », a souligné Léopold Somé, mécanicien d’engins lourds.

Dans leur poussée de colère, les autres camarades qui avaient travaillé le jour du Mouloud, ont rejoint par solidarité les grévistes pour donner de la contenance au mouvement. Cette solidarité entre travailleurs a été perçue par la direction comme une mauvaise intention délibérée des employés. « Nous avons profité de cette grève d’une journée pour poser toutes nos vieilles doléances », a reconnu l’employé Wendyam Armaud Yaméogo. Les protagonistes ont commencé mutuellement à se faire peur. Le ton est monté. Seydou Ouattara, "mécanicien Caterpillard", nous a confié au passage qu’il n’est « pas déclaré à la caisse » depuis qu’il a été embauché. Le 23 février, une rencontre de concertation a été initiée pour dénouer à l’interne la « palabre ». Ce fut un échec. Du coup, l’administration croyant à un travail de sape, se recroqueville sur ses positions. Quant aux salariés de la SOFAB dont la plupart sont peu instruits, ils se sont précipités à l’inspection du travail et à la bourse du travail pour demander recours et secours et surtout s’enquérir des dispositions sur la loi du Travail. Les employés ont même affirmé que Melhem Farah se serait attaché le 25 février les services d’un huissier de justice « pour pointer les absents ».

La première faute de la SOFAB

La loi n°19-2000/ AN du 27 juin 2000 redevenue la loi n° 11-2001/AN du 28 juin 2001 rend officiellement publiques toutes les fêtes légales reconnues comme jours fériés, chômés et payés au Burkina Faso. Au nombre de celles-ci, se trouve bel et bien la fête du Mouloud. A notre connaissance, aucune disposition administrative ne peut supplanter une loi nationale, encore que dans l’exemple de la SOFAB, aucune note de réquisition n’a été prise la veille, pour proroger exceptionnellement le temps de travail des employés. Nul part non plus, il n’est écrit dans le règlement intérieur de l’entreprise qu’en cas de jour férié et chômé, les employés sont tenus d’être à leur poste. A l’inspection du travail, il nous a été donné d’apprendre que c’était « du mépris et de l’arrogance » de la part de la direction générale de la SOFAB que de ne pas respecter les lois du pays. La gestion des ressources humaines et les questions de trésorerie semblent être du ressort du comptable de la SOFAB, Mathieu Zongo, qui a choisi de nous mener personnellement en bateau quand nous avons émis, maintes fois, le souhait de le rencontrer pour confirmer ou infirmer nos informations. Les travailleurs salariés de la SOFAB, toutes catégories confondues, ont été recrutés en 2008. Ceux appelés travailleurs « permanents » par Melhem Farah sont ceux qui ont signé un Contrat de travail à durée indéterminée (CDI) avec l’entreprise. Selon le règlement intérieur de la société, ils ne seront définitivement engagés comme salariés qu’après une période d’essai de trois mois.

Leur volume horaire hebdomadaire de travail est de 40 heures. Au titre des avantages, seul un congé payé de 30 jours ouvrables leur est annuellement octroyé. Les termes du CDI de la SOFAB ne mentionnent pas la prise en charge des services de prestations familiales, des risques professionnels, de prestations de vieillesse, d’invalidité et de survivants, etc. comme le stipule la loi n° 015-2006/AN du 11 mai 2006 pourtant régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs salariés et assimilés au Burkina Faso. A la SOFAB, il n’est pas non plus question pour les travailleurs d’une « branche de pensions ».

Une quarantaine de travailleurs salariés ont été recrutés en 2008 lors de la mise en place de l’entreprise, selon le directeur général lui-même qui s’est empressé d’ajouter que « tous les permanents sont déclarés à la caisse ». Cette allégation s’est révélée inexacte après une vérification opérée à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) à Ouagadougou. Selon notre source, seules 17 personnes étaient immatriculées à la CNSS en 2008 ; 8 en 2009 et 5 en 2010. Pourtant la loi n° 015-2006/AN du 11 mai 2006 fait obligation à la SOFAB d’adresser une demande d’immatriculation de tous ses « travailleurs permanents » à la CNSS dans les huit jours qui suivent, soit « l’ouverture ou l’acquisition de l’entreprise », soit dès le « premier embauchage du salarié ».

La 2e faute de la SOFAB

Comble du ridicule, sur les bulletins de paie de 2008 et de 2009 des travailleurs « permanents », il est porté la mention « Numéro CNSS » sans qu’aucun numéro d’affiliation individuel ne soit affecté à l’employé (Cf. copie). De 2008 à 2009, les 5,5% conventionnels de pension (cette cotisation versée à la caisse est supportée par le travailleur) auraient été prélevés mensuellement sur le salaire de l’employé par la SOFAB et orientés vers une destination que les travailleurs eux-mêmes disent ignorer. Bien de zones d’ombre entourent aussi les 16% de cotisations que la SOFAB est tenue de supporter sur le salaire brut de chaque travailleur et de les reverser à la caisse. D’ailleurs, inspirés par l’injustice, eux aussi se sont rendus à la CNSS, et quelle ne fut leur désagréable surprise quand ils ont découvert le pot-aux-roses. De toutes les façons, la découverte de la supercherie est simple : la SOFAB était tenue de déposer trimestriellement ce que les techniciens appellent le « bordereau nominatif du travailleur salarié ». Non seulement ce document individuel du salarié n’est jamais parvenu aux services de la CNSS mais, encore plus grave, ceux-ci ne savent même pas où est géographiquement située la SOFAB. Et pourtant la loi n° 015-2006/AN du 11 mai 2006 stipule que toute personne physique, morale, publique ou privée qui emploie au moins un travailleur salarié est obligatoirement affiliée en qualité d’employeur à la CNSS.

« J’ai perçu mon salaire pendant 8 mois en 2008 sans être immatriculé à la CNSS. Le 15 octobre 2010, la SOFAB m’a chassé comme un malpropre après avoir tenté de soumettre à ma signature un nouveau contrat illégal que j’ai refusé de signer… », a expliqué le mécanicien Ousmane Idrissa. L’entreprise a entretenu et maintenu un flou ambiant sur la gestion de ses employés qui se sont laissé aussi convaincre que, « même un job mal payé vaut mieux que le chômage ! » Mais cette formule étriquée et malheureuse ne devrait pas occulter pour autant les droits du travailleur salarié. Nous n’exagérons point quand nous soutenons que la direction de la SOFAB n’a aucun respect des textes en vigueur au Burkina Faso.

La preuve ? Le 2 juillet 2009, l’entreprise fait signer une décharge individuelle de complaisance aux travailleurs dits permanents pour rendre caducs leurs bulletins de salaires. Lisez plutôt : « Je soussigné (NDLR :nom de l’employé) que suite à la réunion avec la direction et l’assistant comptable, conseiller en gestion du personnel de SOFAB et en vue d’organiser le circuit des salaires mensuels et stabiliser ma situation sociale, après la période d’essai du travail contractuel, journalier et occasionnel, je reconnais que les bulletins de salaires qui m’ont été donnés jusqu’en fin mai 2009 ne servent que des écritures comptables et je reconnais les efforts de la société pour ma déclaration à la CNSS. En conséquence, je m’engage à ne pas utiliser lesdits bulletins pour quelque nature que se soit contre la SOFAB !!!! ».

Et comble de la confirmation de l’état de jungle dans cette société, la note de service n° 0025/07/09 adressée à l’ensemble du personnel de la SOFAB et signée le 10 juillet 2009 des mains de Melhem Farah (Cf. copie) prévient que « tous les bulletins précédents des années 2008 et 2009 sont erronés et ne servent que d’écritures comptables et n’engagent aucune partie et même une décharge individuelle a été signée par chacun » !!!. Le sort des travailleurs vient d’être définitivement scellé. Il ne leur reste que la porte de sortie à franchir par eux-mêmes. Et comme il fallait s’y attendre, la note de service portant référence N/R : MF/JF/SOFAB-2010 du 14 octobre 2010 (un préavis de rupture de contrat) est venue marteler que les salariés de la SOFAB qui ont un contrat à durée indéterminée seront désormais soumis à un nouveau régime de travail à durée déterminée. Le préavis précise que « pour toute opposition ou adhésion, vous disposez de trois (03) jours maximum pour une notification de décision finale ». Fermez les bans. Progressivement, au fil des mois, l’entreprise s’est vidée de ses premiers employés qualifiés. Par exemple, Jules Honoré Toé, un ancien employé « licencié » a déclaré avoir perçu au titre des dommages, intérêts et des droits de rupture de contrat la modique somme de 100 000FCFA après 3 ans de travail, au lieu de 2 000 000FCFA à peu près calculés par les services techniques extérieurs. L’électricien auto, Bako Ko Popola, lui, a presque les larmes aux yeux quand il se confiait à nous.

Lui aussi monnaie ses compétences ailleurs. Il a été « chassé » par la direction qui a présenté contre lui les textes de la société. La SOFAB n’a aucun manuel de procédure de travail et semble faire de la terreur et l’intimidation son mode de gestion des hommes. Nous avons tenté de joindre, en vain, Mathieu Zongo, le comptable et gestionnaire des ressources humaines de la SOFAB. Pourtant, nous avions eu l’accord de Melhem Farah, le Directeur général lui-même pour passer au crible toutes les informations collectées. Comme un avion interdit d’atterrissage en temps d’orage, nous avons été tourné en rond au téléphone sans le moindre rendez-vous.

Idrissa NOGO (idrissanogo@yahoo.fr)

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 23 juin 2011 à 11:00, par Révoltée En réponse à : Société Farah au Burkina : Quand les lois du travail sont bafouées !

    Ce monsieur qui foule aux pieds nos lois doit répondre de ses actes ! C’est l’occasion pour notre justice et pour nos défenseurs des droits humains de faire rétablir les choses ; que ceux qui ont été remerciés abusivement par ce monsieur rentrent dans leurs droits et de même que les autres ! Notre pays n’est pas une jungle où chaque quidam peut venir faire sa loi et repartir sans être inquiété ! Même pauvres, nous restons des humains ! Le temps de l’esclavage est révolu !!!

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