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Ban Ki-moon est réélu à la tête des Nations unies alors que le multilatéralisme ne signifie plus grand-chose.

Publié le mercredi 22 juin 2011 à 20h36min

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Il était un temps, pas si lointain, où le multilatéralisme était érigé en modèle de « diplomatie apaisée ». La fin de la guerre froide, l’effondrement du système soviéto-stalinien, la mondialisation, la création du G7 puis du G8 puis du G20… laissaient penser que les Etats allaient désormais s’aligner sur des principes généreux, l’éthique dans la gouvernance, la protection des populations, le maintien de la paix… des « valeurs prioritaires » qui étaient celles des Nations unies.

A compter du 1er janvier 2007, c’est le Coréen (du Sud bien sûr), Ban ki-moon, qui avait été chargé de convaincre tout le monde du bien fondé de cette démarche. Il avait été élu sans coup férir et sans véritable débat développant une vision sans surprise de l’organisation multilatérale. C’est une institution, disait-il alors, qui « doit renaître en étant encore plus professionnelle et plus intègre ». Il affirmait vouloir « continuer les réformes engagées par Kofi Annan », son prédécesseur au secrétariat général. C’était la continuité mais non sans dénoncer, au passage, un certain laxisme (d’où la nécessaire « renaissance »). Ainsi, il s’était fixé trois domaines d’intervention : l’institutionnel (la grande réforme de l’ONU attendue, annoncée et toujours espérée) mais aussi l’application des résolutions (Ban Ki-moon tendait à considérer que les Nations unies vitupèrent mais ne font pas grand-chose d’autre) et, surtout, la réforme du management. Il évoquait l’inefficacité, la corruption, le manque de transparence et de responsabilité du secrétariat général. Il prônait le professionnalisme et l’éthique. Et quand les commentateurs soulignaient son peu de charisme, il soulignait que son « style de leadership est, pourrait-on dire, soft ».

Ban Ki-moon vient d’être réélu, sans tambour ni trompette, pour un nouveau mandat de cinq ans. Dans une ambiance plus « soft » que jamais alors que les résolutions des Nations unies s’ajoutent aux résolutions et que les conflits locaux ont pris, ces derniers mois, des ampleurs internationales qui obligent à poser une question : pour qui roulent les Nations unies ? « Sérieux, sincère, préoccupé, travailleur » : les qualités du secrétaire général ne manquent pas d’être reconnues. Mais il n’est pas certain qu’elles soient adéquates et suffisantes pour exercer une fonction « multilatérale » alors que Washington, Moscou, Berlin, Londres, Paris… sans compter Pékin, New Delhi ou Brasilia aiment à jouer solo et, quand ils jouent collectifs, c’est toujours dans la perspective d’imposer leur hégémonie au sein du groupe.

Ban Ki-moon se veut exemplaire ; et pense que son exemplarité fera bouger les lignes. Face aux membres permanents du Conseil de sécurité (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie et Chine), dont les motivations sont parfois convergentes mais le plus souvent divergentes, qui peut croire qu’il suffit « d’être » pour « soumettre ». Après un mandat de cinq ans, Ban Ki-moon ne suscite plus guère l’enthousiasme (si tant est que le mot convienne : pour Odile Benyahia-Kouider, dans Libération du 10 octobre 2006, c’était déjà un « rond de cuir » ; pour David Fontaine dans Le Canard enchaîné du 1er novembre 2006, c’était « l’édulcoréen du Sud »). Et son activité se résume à une suite de « résolutions » onusiennes qui ne valent que par ceux qui les mettent en œuvre.

L’Organisation des nations unies (ONU) n’a guère évolué depuis l’arrivée à sa tête de Ban Ki-moon. Il faut bien reconnaître, à la décharge du secrétaire général, que ses évolutions passées sont bien plus le résultat de « contraintes externes » que d’une volonté interne de réforme. On bavasse beaucoup à New York ; mais le « machin » - comme disait Charles De Gaulle - est plutôt statique et, ayant pris du poids, est difficile à bouger. Ce n’est donc pas du « centre » qu’il faut attendre le changement mais de la « périphérie ». On l’a vu, récemment, en Côte d’Ivoire puis en Libye. Mais le sentiment est de plus en plus fort que l’ONU a, au fil des ans, perdu de son autonomie et le peu de souveraineté dont elle disposait, pour être la caution « multilatérale » d’actions bilatérales. Et la cohérence de son action est désormais sujette à… caution dès lors que ces actions sont mises en œuvre non pas par l’institution onusienne mais par des pays membres permanents du Conseil de sécurité ou des organisations qui en sont l’émanation.

Le bilatéralisme étant l’essence même des rapports internationaux ayant, jusqu’au début du XXème siècle et la création de la Société des Nations (SDN), organisé le travail diplomatique, tout multilatéralisme est, de prime abord, suspect. Suspect d’inefficacité ; suspect de n’être qu’un bilatéralisme déguisé. C’est dire qu’il n’est pas d’exemple de multilatéralisme authentique ; c’est-à-dire quasi égalitaire entre les partenaires, qui ait fait preuve de sa capacité à résoudre les problèmes des membres associés. Tout au plus, on parvient à les camoufler.

Ainsi, il fallait que l’ONU intervienne en Côte d’Ivoire pour faire cesser une situation dont il était évident (à force de tergiversations onusiennes d’ailleurs), qu’elle conduisait au chaos politique et social. Il fallait aussi qu’elle intervienne en Libye. Mais fallait-il que ce soit la force Licorne à Abidjan et l’OTAN à Benghazi qui, finalement, changent la donne ? Et si Licorne (autrement dit l’armée française) et l’OTAN (autrement dit les puissances « occidentales » américano-européennes) sont intervenues, c’est que l’ONU n’avait pas les moyens de sa politique. Ou que sa politique n’était pas appropriée : fallait-il laisser la situation ivoirienne se détériorer au point de concéder, « onusiemement » une prolongation de son mandat présidentiel à Laurent Gbagbo au-delà de l’échéance d’octobre 2005 ? Fallait-il traiter Kadhafi comme un interlocuteur crédible et responsable alors que ses exactions à l’encontre de sa population et ses atteintes aux droits de l’homme à l’encontre de tous les autres étaient avérées de longue date ?

Personne n’a la réponse à ces questions. Et à bien d’autres : qu’il s’agisse de la Birmanie, de la Palestine, de la Russie, de la Somalie, du Soudan, etc. Le nombre de casques bleus est passé, en l’espace de dix ans, de 20.000 à 120.000 sur une quinzaine de terrains d’intervention. Et le diplomate français Alain Le Roy, secrétaire général adjoint de l’ONU et chef des opérations de maintien de la paix, ne manque pas de souligner que « les opérations de maintien de la paix ne devraient pas être un substitut à l’action politique. On a parfois le sentiment que c’est le cas. Les opérations qui réussissent sont pourtant celles qui ont un soutien politique continu » (Le Monde daté du 8 août 2009).

On a surtout le sentiment que l’ONU tend à devenir un substitut aux tentations hégémoniques de quelques pays : le bloc des « occidentaux » (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne) face à une ex-grande puissance militaire mondiale : la Russie, et à une puissance émergente : la Chine. C’est le principe même de Conseil de sécurité (hérité de la Deuxième guerre mondiale puisqu’elle rassemble les vainqueurs et a exclu les vaincus : l’Allemagne et le Japon) qui va à l’encontre de l’évolution du monde contemporain qui, elle, s’exprime au sein de l’Assemblée générale des Nations unies.

On a pu penser, longtemps, que l’ONU, malgré ses défauts et ses limites, était un moindre mal dans un monde qui sortait de la pire des confrontations humaines : la Deuxième guerre mondiale, l’holocauste et l’exclusion érigée en idéologie (en Europe comme en Asie). On avait alors des certitudes éthiques ; aujourd’hui on a des contraintes économiques qui sont le fondement de nos actions diplomatiques. La donne a changé. L’ONU, elle, n’a pas changé. Et le secrétaire général reste le même pour les cinq ans à venir. Enfin, il peut le penser !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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