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Obiang Nguema Mbasogo, président en exercice de l’Union africaine, ramène Moscou dans le jeu diplomatique africain.

Publié le samedi 11 juin 2011 à 14h19min

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Il était évident, et je l’avais dit (cf. LDD Spécial Week-End 0473/Samedi 29-dimanche 30 janvier 2011), que l’accession du chef de l’Etat équato-guinéen, Obiang Nguema Mbasogo, à la présidence de l’Union africaine (UA) allait bouleverser la donne diplomatique continentale. L’angle de vision des relations internationales de l’Afrique n’est pas le même selon qu’on se trouve à Dakar, Abidjan, Luanda, Addis-Abeba…

A Malabo, au cœur du golfe de Guinée, et quand on appartient à la CEMAC - un club de pays pétroliers : Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad ; il n’y a que la RCA qui fait exception ; mais aussi une organisation dont les « patrons » sont des « institutions » : Biya, Bongo, Déby, Nguema, Sassou Nguesso, là encore il n’y a que Bozizé qui a l’air d’un nouveau venu -, on a une grille de lecture particulière. Laurent Gbagbo s’en était étonné, lors de sa première (et dernière) visite officielle en Guinée équatoriale (22-24 janvier 2010). « J’essayais d’être un résistant africain, déclara-t-il alors ; mais, j’ai vu ici un autre résistant. Je pense que nous pouvons marcher ensemble et aller loin ». Une marche de courte durée ; mais quand la crise post-électorale ivoirienne a pris une tournure délicate, Gbagbo a expédié aussitôt à Malabo son premier ministre : Marie-Gilbert Aké N’Gbo. Il ne fallait pas s’en étonner. Pour Nguema, Gbagbo était, en Afrique de l’Ouest, l’archétype du chef de l’Etat authentiquement africain qui refuse tout compromis avec « l’Occident ». Et, à la présidence de l’UA, il va développer une ligne qui sera celle de la « solution pacifique » quand la Cédéao prônait l’intervention militaire. D’où ce qui a pu passer pour des atermoiements de l’organisation panafricaine au lendemain de l’élection de Nguema à sa présidence (30 janvier 2011) ; et les tensions entre les conseillers diplomatiques d’Alassane Ouattara et le président de la Commission de l’UA, le gabonais Jean Ping.

En quatre mois de présidence, Nguema a été confronté non seulement à la crise ivoirienne mais aussi et surtout à l’offensive guerrière d’une coalition « occidentale » menée par la France contre Kadhafi. Et si sur le dossier ivoirien, le jeu diplomatique équato-guinéen est resté soft, sur le dossier libyen, Nguema est bien plus offensif. Alors que le président sénégalais Abdoulaye Wade s’est rendu à Benghazi pour affirmer sa solidarité avec l’autre « révolution libyenne », tout en dénonçant la « dictature » que Kadhafi impose à son peuple, Nguema s’est envolé pour Moscou. Or, la Russie ne cesse de hausser le ton contre l’action menée par la coalition fustigeant un parti pris « dans une guerre civile, voire une guerre tribale ». A Moscou, Nguema a souligné que le conflit libyen « est une affaire interne qui nécessite une solution pacifique » ; et affirmé que « l’intervention étrangère en Libye aura des répercussions négatives sur le développement dans la région africaine ». Moscou et Malabo se retrouvent sur la même ligne et enfoncent le clou : « La Russie est prête à apporter sa contribution consistant à préparer les forces de maintien de la paix de l’UA pour qu’elles puissent résoudre les conflits internes du continent noir » a ainsi déclaré Sergeï Kricov, responsable des questions africaines au ministère russe des Affaires étrangères, feignant d’ignorer qu’en la matière, jusqu’alors, les projets ont été « occidentaux » (cf. LDD Union africaine 005/Vendredi 29 avril 2011).

A la veille de son XVIIème sommet, à Malabo, l’UA trouve ainsi un allié de poids sur la scène diplomatique mondiale. Moscou s’était abstenu lors du vote de la résolution 1973 de l’ONU mais Dmitri Medvedev s’était associé, voici quelques semaines, lors du G8 de Deauville, aux « Occidentaux » pour réclamer le départ de Kadhafi. Dans le même temps, Nguema imprime sa marque sur l’UA dont les actions en faveur de la Libye ont échoué. Afrique du Sud, Nigeria et Gabon ont voté au Conseil de sécurité pour la résolution 1973 et le panel de chefs d’Etat mis en place par Ping pour organiser « la cessation immédiate de toutes les hostilités » n‘a pas fait mieux. Nguema, qui n’était pas invité à Deauville bien qu’il soit président de l’UA (cf. LDD France 0584/Mardi 24 mai 2011), affirme ainsi l’indépendance totale de l’organisation panafricaine et la rupture avec son ancrage « occidental ». N’ayant pas été reçu à Deauville par Sarkozy, c’est à Moscou et avec Medvedev que Nguema a pu procéder « à un échange de vues sur un grand nombre de problèmes internationaux et régionaux, dont les crises en Afrique de l’Ouest et du Nord, ainsi qu’au Proche-Orient, notamment en Libye, en Syrie et au Yémen ».

La visite de Nguema en Russie était une première. Moscou avait des relations privilégiées avec son prédécesseur : Macias Nguema (renversé le 3 août 1979), et la Guinée équatoriale était un relais pour le trafic des équipements militaires destinés à la lutte armée du MPLA pro-soviétique en Angola. La chute de Macias sera perçue par les chancelleries comme une rupture avec les communistes. De cette époque, il reste des cadres formés en Union soviétique, parlant le russe et, pour certains, ayant épousé une russe. De 1979 à 1995, l’influence française s’est exercée sur la Guinée équatoriale qui a rejoint l’UDEAC (aujourd’hui CEMAC) et la zone franc et adopté le français comme langue officielle. La découverte du pétrole en 1995 a changé la donne. Puissance financière (mais nain démographique avec à peine plus de 500.000 habitants selon les Nations unies), la Guinée équatoriale va diversifier ses partenaires : Etats-Unis, Chine, Maroc. Les Russes reviendront alors dans le pays. En 2008, Gazprom a signé un accord de coopération dans les secteurs du gaz-pétrole avec Malabo. Et Alexeï Miller, emblématique patron du groupe russe (qui emploie quasiment autant de salariés qu’il y a d’habitants en Guinée équatoriale) fera le déplacement à Malabo à la tête d’une importante délégation russe.

L’Union africaine est… africaine, affirme et réaffirme Nguema. Africaine et rien d’autre. Et doit fonctionner et agir selon les « coutumes » du continent. Il l’avait dit, en espagnol, à Gbagbo lors de sa visite à Malabo en janvier 2010 ; ce que le traducteur avait retranscrit ainsi : « la politique d’imposition est source de désordre ». « Imposition » : il faut prendre ce mot dans le sens d’une contrainte physique ou morale, l’expression d’une influence inacceptable dès lors qu’elle se veut coercitive. Dans la situation où elle se trouve actuellement (géographiquement, économiquement, socialement…) - et qui n’a rien à voir avec la situation d’il y a vingt ans -, la Guinée équatoriale remet en question cette « imposition ». Et cette vision géopolitique de son pays, Nguema entend en faire profiter l’UA. Le prochain sommet sera une étape importante dans son histoire. Rien à voir avec le XVIème sommet qui, à Addis-Abeba, le 30 janvier 2011, avait vu l’élection à la présidence de l’UA de Nguema mais aussi l’intervention à la tribune de… Sarkozy en tant que président du G8 et du G20. Ben Ali, Moubarak, Gbagbo sont tombés et Kadhafi, instigateur de l’UA, risque fort de disparaître de la scène d’ici là.

Il y a, entre « l’Occident », représenté en l’occurrence par Sarkozy (et, en Afrique, désormais, par Ouattara), et les Africains une nouvelle lutte d’influence. Dans son combat, Nguema compte sur ceux qui, au sein du Conseil de sécurité, peuvent freiner les ardeurs de « l’Occident » : Moscou et Pékin, mais aussi Rabat, le Maroc étant le seul pays d’Afrique du Nord qui, jusqu’alors, résiste à la vague « révolutionnaire » (qui n’a pas encore submergé l’Algérie). Le Maroc n’appartient pas à l’UA ; mais sur le chemin du retour à Malabo, Nguema a escalé hier et aujourd’hui dans la capitale marocaine et ne manque jamais de « réaffirmer sa position constante concernant sa reconnaissance de la souveraineté du Royaume du Maroc sur le Sahara ». Tout est dit !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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