LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

SUR LE VIF : Lettre ouverte à mon ami Mc Dupont Shishitaki, coopérant !

Publié le vendredi 10 juin 2011 à 04h12min

PARTAGER :                          

Bonjour, cher ami. Voici plus de mille ans que des hommes et des femmes se saluent depuis les rives du fleuve Kadiogo où à partir de là, mais je puis t’avouer que personne n’y a jamais salué quelqu’un comme je te salue en ce jour.

Il faut que je te le dise : ton départ m’a beaucoup surpris. Nous avions encore tant de choses à nous dire et à faire ensemble. C’est suite à une visite touristique au Burkina, en 2006, avec tes parents, que tu es revenu en 2010 comme coopérant dans le pays des Hommes Intègres. Tu m’as dit que l’accueil, la simplicité, le courage et l’ouverture des Burkinabè t’avaient fait chaud au cœur. En revanche, tu n’avais pas du tout aimé les arnaques des petits artisans dont tout visiteur du Burkina Faso peut à tout moment être la victime. Sur ce point, j’ai essayé de te laver la tête pour te la rendre blanche comme neige, mais j’avoue n’y avoir pas réussi. La raison est simple : au fond, j’étais bien d’accord avec toi, mais je faisais tout pour que tu ne finisses pas par faire l’amalgame entre roublardise et artisanat burkinabè... Ça ne nous arrange pas.

Ton carnet de route, je me le rappelle, était bourré d’adresses venant de partout et de toutes les classes sociales. En une année, tu as fini par avoir plus de « potes » que moi qui traîne ma bosse dans ce pays depuis des décennies. Tu avais même défié l’hygiène tout terrain à la burkinabè en allant, comme nous, prendre un pot et « déchirer » un poulet au bord de la route, si ce n’est à l’Avenue Kwamé Nkrumah (au début tu disais « Kwamé in-Krumah »).

Nous nous sommes culbutés dans des débats sur la vie et la politique nationale, exactement comme des enfants se bousculent dans une mare boueuse : joyeusement et sans calcul. Un jour, tu m’as dit ceci : « Emergence ou pas, le Burkina finira par se développer, car, seul le travail paie, et personne n’a de leçons à donner aux Burkinabè dans ce domaine ». Le jour où nous sommes allés ensemble à Sankar-yaaré, au milieu du tintamarre assourdissant des forgerons et bijoutiers, tu as confirmé ce point de vue devant les fabricants manuels de seaux en t’exclamant « Des gens qui savent tout faire à partir de rien ! » Pour moi, ces compliments sont des voies que des regards amicaux tracent pour aujourd’hui et demain. La trop grande proximité que nous avons avec nous-mêmes nous empêche de nous voir, en bien ou en mal. Un sociologue français, Emile Durkheim, le dit : « Pour savoir ce qui se passe dans un aquarium, il vaut mieux ne pas être poisson ». Je suis content que tu aies lu pour moi, sur le sable, les traces de mes propres chances.

Les Burkinabè, pour lutter contre l’adversité de leur environnement, ne cessent de faire fonctionner leur imagination. Avec les moyens du bord, ils arrivent toujours à se suffire à eux-mêmes et sont fiers de n’être pas redevables à qui que ce soit. Il suffit, disais-tu, que la politique nationale accompagne tout cela de façon pratique et pragmatique. Cette politique efficace, de ton point de vue, peut être calée - ou pas - sur le modèle européen. Le plus important, c’est qu’elle apporte à la population l’appui qui lui manque, et on verra que le Burkina n’est pas à la queue de la « connerie » (dixit) de classements que l’on nous fait courir.

Mais, ne voilà-t-il pas que, dès la première sortie des militaires en avril 2011, tu t’es échappé, comme un oiseau s’envole à la vue d’un chasseur. J’ai parcouru tes trois contacts, point de Mc Dupont Shishitaki. Tous tes projets pour accompagner le Burkina sont en ce moment en souffrance ou complètement perdus : développement rural, enseignement, encadrement technique, formation aux TIC, modules et contre modules sur le genre, les changements climatiques, les droits humains, le travail d’enfants, la modernisation de l’élevage, la micro-finance, le maintien du réseau routier national, le décorticage des cacahuètes, les ressources halieutiques, le croisement des cabris du Plateau central avec ceux de la région de Falagountou, la rationalisation de la lutte traditionnelle,… Tu as tout jeté à l’eau en une seule journée, dès la toute première manifestation des militaires. On m’a même dit qu’avant que les premiers mutins ne regagnent leur caserne, toi, tu avais déjà regagné ton cher pays. Pour toi comme pour beaucoup d’autres, c’était déjà l’hécatombe au Burkina. Mais il y en a qui restent aussi malgré tout, comme en Côte d’Ivoire ou ailleurs, qui disent qu’ils ont tout sur place et qu’ils ne bougeront pas... Il faut les saluer ! Il y a aussi des Burkinabè pur sang qui filent se planquer à l’étranger en attendant que ça se calme, des grands patrons « doubles-faces », civils ou militaires, qui d’un côté exhortent leurs compatriotes à se battre contre ce qu’ils appellent le système, et de l’autre se la coulent douce sur une terrasse des Champs-Elysées parisiens, attendant ô que leur pays finisse de se déchirer… Ce qui est triste pour tous… En rire ou en pleurer ?

Parcours l’histoire de ton propre pays, et tu verras que cela ne se passe pas seulement chez les autres. Que n’as-tu pas retenu ces proverbes d’ici : « On n’apprête la natte qu’après avoir vu, au moins, l’étranger » ; ou encore : « Quand l’homme prudent dit que l’animal dont il parle est un mâle, c’est qu’il tient le « pendentif » entre les mains. Et je parie que tu fais partie de ceux qui n’arrivent pas au puit ou à la source avant de puiser l’eau ; vous le faites à deux ou trois kilomètres de là,… et vous en êtes fiers.

J’apprends à l’instant, pendant que j’écris cette lettre, que tu es déjà en route pour Ouagadougou. Je m’en réjouis. Nos projets vont alors redémarrer très bientôt, car tout est rentré dans l’ordre. Ce n’était qu’une mauvaise inspiration, mais elle est vraiment passée. Avec cette philosophie d’« accompagnement sans risque » qui semble être la tienne, une question métaphysique m’accable : je veux savoir si vous êtes venus accompagner le Burkina, ou si vous êtes venus pour que le Burkina vous accompagne ?

Par Ibrahiman SAKANDE ( sakandeibrahiman@yahoo.fr)

Sidwaya

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 10 juin 2011 à 09:20, par Pierre Michaillard En réponse à : SUR LE VIF : Lettre ouverte à mon ami Mc Dupont Shishitaki, coopérant !

    Bonne lettre au coopérant fantôme qui me fait poser une question :
    Qui est responsable de ce système à transformer les "Dupont" en "Ducon" et cela,malheureusement depuis des décennies ?
    Ce qui tendrait à prouver que rien ne change.
    Je suis passé par la phase "Ducon" et suis encore sur le terrain, avec quelques questions et quelques réponses. Si je ne devais choisir qu’une explication, je mettrais en avant l’ignorance et l’échec de la décentralisation par les deux parties.
    Cela mérite d’ouvrir un vrai débat .

  • Le 10 juin 2011 à 09:51, par karl En réponse à : SUR LE VIF : Lettre ouverte à mon ami Mc Dupont Shishitaki, coopérant !

    Mon frère tu ne penses pas que c’est un reflexe naturel que de se sauver,ton ami en question, a-t-il de la famille ou pas ? si oui ilya donc des gens qui compte sur lui et pourquoi veux-tu qu’il risque sa vie pour des projets ? Mon frère, je dirai même que c’est du bon sens que de chercher à partir en attendant que les troubles finissent.Apporter son soutien à un pays ne veut pas dire au risque de sa vie ; ce n’est qu’à même pas un pact de vie qu’il a signé avec le Burkina.l’image de notre pays est vraiment ternie à l’exterieur et il nous faudra encore de longues années pour redonner l’image du Burkina paisible.

  • Le 10 juin 2011 à 14:53 En réponse à : SUR LE VIF : Lettre ouverte à mon ami Mc Dupont Shishitaki, coopérant !

    Moi je suis burkinabe et j’etais au Burkina quand ca commence a tirer le premier jour. le lendemain, je suis aller au ghana, j’ai pris un avions pour Los Angeles. un point c’est tout. personne ne veut etre dans le sillage de ces vandales.

  • Le 10 juin 2011 à 15:43, par Poko En réponse à : SUR LE VIF : Lettre ouverte à mon ami Mc Dupont Shishitaki, coopérant !

    Dans la Vie, il faut savoir mourir pour 1 bonne cause et non périr bêtement. Dans le contexte burkinabè : des hommes de tenue qui tirent en l’air, pillent, volent, violent, cassent ; des commerçants énervés qui brûlent et sévissent à leur tour ; des petits voyous qui profitent de la situation.... dans ce contexte de "cacophonie" sur fond de mécontentement généralisé, de crise économique, et de malaise politico-social, que faire surtout quand on est loin des siens ? Sinon opérer un repli stratégique. C’est même humain et intelligent. Il risquait de se faire voler ou piller pour quelle cause ? Il est là pour [accompagner]le développement du pays. C’était loin d’être comme en C.I., où 2 entités politiques, deux camps s’affrontaient après des élections. Dans le cas du Burkina, même si mécontentement il y avait, il n’y avait pas de choix à faire entre 2 entités politiques. Il faut donc savoir pourquoi on meurt, et surtout pour quelle cause on se bat. Ce monsieur était venu pour partager quelque chose de positif (1 idéal peut-être de croissance, de mieux-être, de développement) avec un peuple travailleur (artisans, agriculteurs, etc....) en qui il avait foi.Le contexte étant troublé, sinon délétère, les conditions n’étaient plus réunies pour qu’il reste sur place. La Vie est ce qu’on a de plus cher au monde, et rien ne vaut la vie. Si les nationaux "détalent", pourquoi il resterait lui ? Il ne faut pas être plus royaliste que le Roi ; même le Boss a déserté temporairement Kossyam avt de réintégrer les lieux le lendemain matin.
    Idéaliste peut-être Mr Dupont mais pas téméraire (ou Ducon), et c’est parce qu’un homme est en vie qu’il est en mesure de réaliser ses projets.Mr Dupont a agit en homme réfléchi, prudent.
    Un proverbe burkinabè [mossi] dit ceci : c’est la maison du "trouillard" qui a la chance d’être construite entièrement [rabemm dôogon mèté].... à méditer.
    En attendant, le pays pour moult raisons a besoin de Mr Dupont (tourisme, affaires, recherches, etc)ou de Mr Kouakou ; à nous de faire en sorte pour qu’ils aient envie de rester ; balayons devant nos portes, avant d’aller voir ce qui se passe ailleurs, et quand on n’a pas accès à la MER, ni de FORETS luxuriantes, ni une faune à faire pâlir des chasseurs fortunés, encore moins des matières 1ères à susciter l’ouverture d’une Bourse régionale ou nationale, enfin quand nos atouts sont limités et que notre plus grande richesse en dehors de la force de travail (main d’oeuvre et compétences) est la PAIX (chaleur humaine/sympathie/savoir-vivre dont l’accueil des étrangers), à nous la responsabilité 1ère d’entretenir un climat social attrayant, favorable à l’épanouissement des hommes et au développement économique.

  • Le 10 juin 2011 à 16:04, par jackiss En réponse à : SUR LE VIF : Lettre ouverte à mon ami Mc Dupont Shishitaki, coopérant !

    cher frère je comprends ton mécontentement et ton découragement face à cet ami mais je voudrais tout d’abord te poser quelques questions :
    - combien sont-ils les burkinabè qui sont restés chaque fois déhors pour braver les balles des mutins ?
    - combien sont-ils ceux qui ont déserté, ne serait-ce qu’un jour leurs services ou maisons pendant ces moments chauds ?
    - combien sont-ils les burkinabè de l’exterieur, comme toi, qui sont revenus braver ces mutins ou soutenir leurs leurs frères restés au pays ?
    Alors je crois que mème si les européens sont en grande partie responsables de nos maux cela ne veut pas dire que tout coopérant doit se sacrifier pour nos bétises.Il y en a vraiment qui ont de l’amour pour nos pays et pourront l’accepter mais cela ne doit pas nous amener à croire que c’est un impératif pour tous puisque nous qui sommes les premiers concernés mème( gouvernants, mutins et peuple ) sommes de vrais làches( excusez moi du terme mais c’est ça qui est la vérité ).
    Alors mon ami il faut pas trop mal jugé ce type !

  • Le 10 juin 2011 à 17:31 En réponse à : SUR LE VIF : Lettre ouverte à mon ami Mc Dupont Shishitaki, coopérant !

    Ne désespère pas mon ami Burkinabè....si j’ai pris le large c’est pour mieux comprendre la situation....mais il m’était difficile d’y voir clair entre les scolaires qui brulaient les batiments publiques, les militaires qui devalisaient les commerçants, les hommes de la justice qui faisaient grêve...tout cela en quelques semaines ! à vrai dire j’ai eu peur aussi pour ma peau blanche,la même que celle des anciens colonisateurs !
    Heureusement ta lettre me rassure et je suis déjà sur le départ ,prêt à te retrouver , pour continuer ce que nous avons entrepris ensemble dans une coopération décentralisée bénéficiant à tous tes frères et à tous les miens, car le lien est fort entre nous. Désormais nord-sud/sud-nord le va et vient ne pourra s’arrêter,nos échanges seront riches d’immaterialité...l’avenir sera métissé !
    Je t’embrasse fraternellement.

    • Le 15 juin 2011 à 11:54, par Lastrao En réponse à : SUR LE VIF : Lettre ouverte à mon ami Mc Dupont Shishitaki, coopérant !

      Je pense que ce débat est clos depuis le message qui précède celui que je vais poster. De la première réaction jusqu’à celle de l’intéressé, je suppose, il n’ya plus rien à ajouter. C’est peut-être la raison pour laquelle depuis le 10 juin, personne ne réagis encore.
      Pour ma part je suis content de savoir que les réactions ont été enrichissantes et pleines de sagesse.
      Excellente journée à tout le monde !

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Le Dioula : Langue et ethnie ?
Sénégal / Diomaye Faye président ! : La nouvelle espérance
Burkina : De la maîtrise des dépenses énergétiques des Etats
Burkina Faso : Combien y a-t-il de langues ?