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MALAISE DANS L’ARMEE BURKINABE : J’accuse

Publié le mardi 7 juin 2011 à 02h31min

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« Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance », disait le président Thomas Sankara. Cette affirmation de l’ancien président du Faso, même si elle est excessive, témoigne en tout cas de la prise de conscience d’un régime - le sien - que le militaire doit être outillé pour appréhender à sa juste valeur sa mission dans la société, qu’il doit être moulé dans le creuset du civisme et de la citoyenneté, formé aux valeurs républicaines. Elle sonne, aujourd’hui, comme une prophétie pour son pays. Les mutineries à répétition avec leur lot de pertes en vies humaines, de vols et de viols et dont la dernière a été contenue dans le sang, prouve que le pouvoir du Pays des Hommes intègres, bien qu’averti, n’a pas su relever le pari de cette armée pleinement en phase avec le peuple, du moins, pour l’heure.

Au-délà de l’évènementiel, une analyse permet de se rendre compte qu’on récolte la tempête aujourd’hui, parce qu’on aura mis beaucoup d’entrain à semer le vent. Un petit clin d’œil dans le rétroviseur du véhicule « Burkina » montre que notre armée a été choyée depuis la IIIe République. Le Général Lamizana a accordé des avantages à l’armée dont l’un des symboles forts était un économat assez bien équipé et qui sera d’ailleurs mis à genoux par certains comportements de nos hommes en treillis dont le non-remboursement des crédits octroyés par ladite structure. Depuis longtemps donc, on a visiblement voulu faire de l’armée une caste à part, dans ce pays.

La Révolution du 4 Août, en dépit de certaines lacunes qu’on peut, à tort ou à raison, lui imputer, a tenté de rectifier le tir en faisant du militaire burkinabè, un citoyen d’abord et avant tout. Cette armée bourgeoise devait subir une cure pour devenir une armée du peuple, au service du peuple. La Révolution et ses ambitions vécurent. On recommença à choyer l’armée et de plus belle, d’abord pendant la Rectification et ensuite sous la IVe République. Les Burkinabè, notamment les civils, eurent même droit au fameux apophtegme : « si tu fais, on te fait et il n’y a rien » des « hommes de tenue », rendus tout-puissants par un régime qui, du reste, est fortement adossé à l’armée et que d’aucuns ont toujours assimilé, à tort ou à raison, à un régime militaire.

Pendant cette période, on ne se priva pas de violenter quiconque tentait de contrarier les desseins des princes. Beaucoup de crimes politiques furent commis. On recruta en masse et souvent sur recommandation des « gros bonnets ». Des étapes cruciales comme l’enquête de moralité devinrent une simple formalité, juste pour sacrifier à la tradition, dirait-on. La quantité prit le pas sur la qualité. L’armée se tailla la part belle au sommet de l’Etat. L’affairisme gagna ses rangs. Ce que les hommes du rang appelleront, à la faveur de leurs mouvements d’humeur, la confiscation de leurs avantages par leurs supérieurs, devint chose normale et cela fut presque érigé en système de gouvernance. Puis, petit à petit, le régime Compaoré a fait preuve de plus en plus de laxisme dans la gestion de cette armée. On forma les militaires avec ce complexe de supériorité vis-à-vis des autres maillons de la société.

Les éléments de la Grande muette montrèrent à quelques occasions qu’ils étaient capables d’obtenir, en un tour de main, satisfaction de leurs revendications alors que les autres composantes de la société ont le temps de s’user les souliers à force de damer le macadam et de perdre la voix à force de crier leur faim et leur soif. En un mot comme en mille, le régime s’est adossé à l’armée pour gouverner sans contestation majeure. L’armée, consciente de la grande étendue de son pouvoir, se mit à négliger les civils. Des expéditions punitives des hommes en treillis furent dirigées, dans certains quartiers ou dans des débits de boissons, contre des civils et tout cela, en toute impunité. Pour s’assurer les bonnes grâces des bidasses, le régime les a choyés jusqu’à les pourrir tout en laissant proliférer et prospérer, par laxisme et/ou lâcheté, des situations de frustration dans les rangs.

Les militaires devinrent de super-hommes dans leur ensemble et des groupuscules réputés mieux traités comme le Régiment de sécurité présidentielle, (RSP) furent considérés comme une armée dans l’armée. La suite, on la connait. Cette armée est devenue un danger pour les populations qu’elle est censée protéger. Mais que l’on ne s’y trompe pas. Laxisme, affairisme, création de petits îlots de pouvoirs au profit de tel ou tel groupuscule, essoufflement, manque d’imagination, tout cela a trouvé un terreau fertile : l’usure du pouvoir. On ne le dira jamais assez, les longs règnes causent des problèmes à nos Etats. L’instabilité est généralement au rendez-vous quand des régimes de ce genre s’en vont. De la République démocratique du Congo à la Côte d’Ivoire en passant par le Togo et la Guinée Conakry, on a une illustration éloquente de cette réalité.

La démocratie avec des mandats courts et limités en nombre est le meilleur antidote à ces maux et à l’instabilité qui en découle. Pour ce qui est du traitement de ce malaise au sein de l’armée, s’il est vrai qu’on est d’avis qu’il était de bon ton de ramener la paix, on reste tout de même circonspect devant certaines choses. On se rend compte que certaines des troupes réquisitionnées pour remettre l’ordre dans la ville de Sya, ont en leur sein des éléments auteurs des premières mutineries avec leurs lots d’exactions sur les populations civiles (psychose, tueries, casses, vols, viols) qui ont, quelque part, ouvert la voie aux autres. Ces mutins ont-ils acquis une innocence du fait qu’ils ont participé à la mise au pas d’autres mutins ? Leur rôle actuel suffit-il à les dédouaner de leurs responsabilités tant civile que pénale quand on sait que leurs sorties auront, elles aussi, suscité larmes et pleurs, pertes en vies humaines et d’autres dégats ?

Les poursuites judiciaires promises pour l’heure par les autorités ne concernent que les mutins du camp Ouezzin Coulibaly. Quid des autres ? Face à tout cela, et comme écrivait Emile Zola en son temps, dans l’affaire Dreyfus, "j’accuse". J’accuse les mutins de toutes les garnisons pour la violence aveugle sur les civils innocents qu’ils sont censés protéger. J’accuse aussi leurs supérieurs pour n’avoir pas su travailler à créer des cadres internes de concertation et à éviter l’exploitation, l’injustice et le manque d’équité dans le traitement de leurs hommes. Mais, j’accuse d’abord et surtout le régime du président Blaise Compaoré d’avoir semé et entretenu la mauvaise graine. Je l’accuse d’avoir refusé d’ouvrir réellement les vannes de la démocratie dans le pays. Cette démocratie véritable lui aurait permis d’éviter d’avoir à payer et choyer l’armée à n’importe quel prix, pour s’assurer sa loyauté. Le monstre finit toujours par se retourner contre son créateur.

J’accuse ce régime d’avoir failli, tout au long de ces deux dernières décennies notamment, dans sa politique de recrutement et de formation de nos militaires, de n’avoir pas su former ces hommes en armes aux valeurs républicaines et, ce faisant, d’avoir enfanté, par action ou par omission, son propre cauchemar, mais aussi et surtout celui des paisibles populations.

« Le Pays »

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Vos commentaires

  • Le 7 juin 2011 à 09:11, par Golden En réponse à : MALAISE DANS L’ARMEE BURKINABE : J’accuse

    Quelle belle analyse !!!

  • Le 7 juin 2011 à 09:14, par Hass En réponse à : MALAISE DANS L’ARMEE BURKINABE : J’accuse

    Excellent article. No comment. De telles analyses nous en avons soif.
    Merci

  • Le 7 juin 2011 à 09:28, par hyac En réponse à : MALAISE DANS L’ARMEE BURKINABE : J’accuse

    Je n’ai rien de mieux à ajouter

  • Le 7 juin 2011 à 09:47 En réponse à : MALAISE DANS L’ARMEE BURKINABE : J’accuse

    Bien vue et bien dit. j’accuse aussi.

  • Le 7 juin 2011 à 09:55 En réponse à : MALAISE DANS L’ARMEE BURKINABE : J’accuse

    Merci Camarade.
    On dit que Blaise écoute beaucoup, malheureusement Blaise écoute toujours et tout le temps les memes flatteurs qui vivent au dépend de celui qui les écoute. J’espère qu’enfin ce Blaise vous lira. Il devrait quitter le pouvoir en 2015 ; il est mieux de perdre un peu que de tout perdre, demandes à Gbagbo des conseils sur le sujet, si il n’est pas capable d’y philosopher ! Tous les Burkinabè te regardent et te supplient de ne pas les forcer à reclamer dans le sang leur démocratie. Tu peut debloquer cela pacifiquement, quittes le pouvoir en 2015 en "un mot comme en mille".

  • Le 7 juin 2011 à 10:59, par AN En réponse à : MALAISE DANS L’ARMEE BURKINABE : J’accuse

    chapeau bas à cet article.qu’on ne sy trompe pas,le faso a besoin de solutions structurelles mais pas conjoncturelles.on ne va pas juger les militaires de bobo et laisser les autres, ce sera scandaleux.envoyer des mutins pour aller tuer d’autres mutins, c’est un regime aux abois.cher ami, le faso a entamer un virage apocalyptique.

  • Le 7 juin 2011 à 10:59 En réponse à : MALAISE DANS L’ARMEE BURKINABE : J’accuse

    Merci pour ce cours d’histoire et surtout toutes les leçons qu’on peut en tirer.
    Comme le disait feu Nobert Zongo Le problème ce n’est pas la méchanceté des gens mauvais c’est le silence des gens bien. Nous sommes tous coupables :
    - Pour notre silence coupable
    - Pour notre égoïsme l’enfer c’est les autres
    Nous avons récusé nos valeurs pendant des années et finalement nous avons décidé d’adapter la morale à la société et non la société à la morale ce qui est très dangereux. Nous récoltons ensemble les conséquences, pour exemple : dans le passé les Burkinabè s’indignaient face à la corruption et au détournement de fond aussi on n’avait aucun respect pour quelqu’un bien que riche avait mal acquis sa richesse Ensuite sous le règne de blaise on a fait le culte de l’argent, ainsi on félicite plutôt le mérite des voleurs et on les décore. Le pire est que la jeunesse en a fait une référence aussi, Les jeunes admirent et idéalisent la douane, les finances etc. Pas pour la noblesse de ses activités mais pour la facilité quelles offrent de s’enrichir. Beaucoup parmi nous avons encouragé nos frères amis et cousins a se présenté à la douane dans l’optique qu’il s’enrichisse mais pas qu’il soit des fonctionnaires exemplaires. Donc nous sommes tous coupables à des degrés très différents
    Faisons tous une rétrospective, parlons-nous franchement et arrêtons d’être égoïste car cette voie nous conduira tous dans une impasse, et comme le disait encore Norbert Zongo on va tous chier, donc ne penser pas qu’a vous et réfléchissez pour le Burkina tout entier, ainsi nous pourront envisager un avenir glorieux dans la paix et la justice.
    Société civile, Partie au pouvoir, Oppositions : La paix ne se décrète pas elle ne s’impose pas et nul n’a le monopole de la violence (Israël (lourdement armé) et Palestine (armé de pierres et surtout de conviction) —> vous connaissez tous le résultat, ni Israéliens ni palestiniens ne dort tranquille). Restons Burkinabè et regardons ensemble dans la même direction.

  • Le 7 juin 2011 à 11:06, par Eric En réponse à : MALAISE DANS L’ARMEE BURKINABE : J’accuse

    Bel article vous avez touchez du doigt les vrais problèmes de l’armée burkinabé.C’est deplorable de voir des mutins allés mater d’autres mutins ,s’il doit y avoir sanction celà devrait commencer par ceux du RSP qui du reste se sont mutunés et ont causés presque les mêmes dégats si il n’ya pas un traitement egal entre tout les mutins cela ne va que contribuer à appronfir la crise. Vivement que la paix revienne au Faso

  • Le 8 juin 2011 à 18:03, par GS En réponse à : MALAISE DANS L’ARMEE BURKINABE : J’accuse

    QUEL ARTICLE ?BIEN DIT ESPERONS QUE LE CHEF SUPREME POUR SON ECLAIRAGE LE LIRA

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