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Daniel Kablan Duncan, un technicien de l’économie, comme patron de la diplomatie ivoirienne ! (2/2)

Publié le lundi 6 juin 2011 à 19h22min

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Le « Vieux » est mort. Alassane D. Ouattara a démissionné tandis que Henri Konan Bédié s’est installé à la présidence et a nommé Daniel Kablan Duncan à la primature. Duncan, à l’instar de son prédécesseur, va garder sous le coude l’économie et des finances. Pour le reste, il joue la continuité avec Essy Amara, Léon Konan Koffi, Emile Constant Bombet, Alain Gauze, Lambert Kouassi Konan...

La guerre de succession achevée, le « Vieux » enterré, Duncan peut passer aux choses sérieuses : la dévaluation du franc CFA formatée pour la Côte d’Ivoire. Il y surfera sans état d’âme. Et s’il n’abandonne pas le terrain économique pour s’aventurer sur celui de la politique, il nuance le bilan de son prédécesseur. « Ce programme, dira-t-il, lors de sa déclaration de politique générale devant les députés, s’il a renforcé les structures économiques de notre pays, n’a pas pu à lui seul, rétablir l’objectif premier de notre politique, le retour à une croissance suffisamment forte pour permettre une évolution positive du revenu pas habitant ». Honorat de Yedagne, dans Fraternité Matin (mercredi 23 mars 1994), mettra les points sur les « i » : Duncan, positionné sous Ouattara comme l’homme du « langage de la vérité et de la rigueur », avait « un brin de doute quant aux résultats escomptés ».

ADO ne l’a pas fait ; Duncan dit qu’il va le faire. Avec les milliards que déverse sur le pays la dévaluation exigée par Paris et les institutions de Bretton Woods, tandis que la création, dans le même temps, de l’UEMOA va permettre à Abidjan de renforcer son ancrage régional. Le vendredi 10 juin 1994, Duncan sera « face à la presse » ; en référence aux dragons d’Asie, il évoque un « éléphant d’Afrique » capable de « résister efficacement et victorieusement aux différentes turbulences et bourrasques économiques ». Pas un mot sur la situation politique. Et la perspective de la présidentielle 1995 ne change rien à l’affaire. Il le dira à Elimane Fall (Jeune Afrique du 8 juin 1995) : « La politique pour la politique ne présente aucun intérêt. L’économie me semble aujourd’hui plus déterminante pour nos pays. Si la croissance revient, nous trouverons la solution aux problèmes de nos populations ». Le lundi 2 octobre 1995, à quelques jours du lancement de la campagne pour la présidentielle, Duncan ouvrira le forum « Investir 95 » devant le gotha des affaires. « Nous vous laissons faire vos analyses, vos calculs et votre choix. Nous sommes convaincus qu’en définitive, vous opterez massivement et résolument pour la Côte d’Ivoire, l’Eléphant d’Afrique, le meilleur des nouveaux marchés ».

La présidentielle 1995 va changer la donne. Bédié l’a emporté sans problèmes (l’opposition a boycotté le scrutin) et avec un quinquennat devant lui, il se sent pousser des ailes. Il adressera à son premier ministre une longue missive pour expliquer « comment le programme présidentiel devait être appliqué » et présenter « de façon détaillée la structuration de l’appareil gouvernemental ». « Il faut que chacun en soit bien conscient, écrivait Bédié : si nous ne nous engageons pas résolument dans la réalisation de ces trois grands objectifs [croissance ; jeunesse et urbanisation ; déficit social], la situation du pays se dégradera jusqu’à devenir, plus tôt qu’on ne le croit, explosive ». Il ne croyait pas si bien dire ; sans jamais penser que c’est lui-même qui la rendra « explosive ».

L’amélioration de la situation économique, qui résulte essentiellement de la dévaluation du franc CFA et de l’injection massive de financements de « soutien », n’a pas d’effets sociaux tandis que la réforme constitutionnelle (que Ouattara qualifiera de « texte destiné à maintenir une clique au pouvoir ») va recréer de la tension politique dès lors que l’échéance de la présidentielle 2000 se profile à l’horizon. La presse, par ailleurs, met en doute la capacité de « l’éléphant d’Afrique » a tenir sur ses quatre pattes. Duncan est trop intellectuellement honnête pour nier la réalité. « Les données statistiques, explique-t-il à Zyad Limam dans Jeune Afrique du 13 août 1997, sont connues : la Côte d’Ivoire a un taux de pauvreté relative qui avoisine 33 % et un taux de pauvreté absolue de 10 % ». Conscient, cependant, qu’il dit nuancer son propos, il ajoutera parce que c’est dans l’air du temps : « Et pour parler tout à fait clairement, plus de la moitié de ces pauvres, surtout en zone urbaine, sont issus de la population émigrée. Malgré notre prétendue pauvreté, nous continuons d’attirer les migrants de toute la sous-région ».

Duncan va prendre conscience qu’il ne suffit pas de faire de « la bonne économie » si, dans le même temps, on ne fait pas de « la bonne politique ». Il prendra ses distances et cessera toute communication avec la presse. La formation du gouvernement le 10 août 1998 marque la rupture. Duncan est reconduit dans ses fonctions et ce sera « le seul vrai événement de ce remaniement ». Mais il se décharge de l’économie et des finances au profit de Niamien N’Goran (proche de Bédié ; on le présente comme son neveu). Quelques semaines auparavant, dans l’organe officiel du PDCI, Le Démocrate, Yao Noël écrivait : « Sauf à vouloir marcher sur nos corps, ce pays ne sera pas dirigé par un intrus et un imposteur […] C’est une question de principe et c’est tout autant une question de patriotisme ». « L’intrus » porte, bien sûr, le même nom que « l’imposteur » : Alassane D. Ouattara. Dans la nuit du dimanche 18 au lundi 19 octobre 1998, Djeny Kobina, président-fondateur du RDR, meurt à 61 ans. Personne ne doute que ADO va devoir prendre, rapidement, sa succession. Ceci explique cela.

On connaît la suite. Les dérives du régime Bédié vont s’accentuer et le 24 décembre 1999, « l’explosion » que le chef de l’Etat avait pronostiquée (cf. supra) se déroulera sous le regard effaré de la communauté africaine et de la communauté internationale. Bédié est exfiltré par l’armée française tandis que les « mutins » demandent au général Robert Gueï de prendre le pouvoir. Le lundi 27 décembre 1999, en compagnie de deux ministres de son gouvernement (Vincent Bandama N’Gatta et Marcel Dibonan Koné, respectivement en charge de la défense et de la sécurité), accompagnés de leurs familles, Duncan s’envolera pour Lomé (le Togo étant la plaque tournante mise en place par la France pour assurer l’évacuation des personnalités du régime Bédié), avant de rejoindre Bédié à Paris. Il ne reviendra en Côte d’Ivoire que le 5 novembre 2000, au lendemain de la victoire de Laurent Gbagbo. Il n’avait jamais été un homme tonitruant ; mais depuis dix ans, Duncan ne faisait plus parler de lui. Il s’est occupé de la campagne de Bédié à la présidentielle ; on le retrouve dans les instances dirigeantes du RHDP, le rassemblement des « houphouëtistes ». Mais il faut être sur le terrain, ou de ses proches, pour savoir où il en est de sa réflexion sur le pouvoir ; et sa volatilité.

Sa nomination dans le gouvernement Ouattara 1-Soro 1 est à usage externe. C’est pourquoi ADO lui a confié les affaires étrangères. Qui, d’ailleurs, se souvient de Duncan en Côte d’Ivoire. A l’étranger non plus. Sa présence - symbolique ? - est l’expression de l’obsession de Ouattara de renouer le fil rompu de « l’houphouëtisme ». Face à Gbagbo et à sa gestion « calamiteuse » des affaires ivoiriennes, il est vrai que ces années-là ressemblent, aujourd’hui, à des « années bonheur ». Mais il n’est pas certain que, Gbagbo éliminé de la scène politique, « l’houphouëtisme » soit un mot d’ordre mobilisateur pour les jeunes Ivoiriens qui aspirent à autre chose qu’à contempler des images du passé alors que leur présent n’est pas porteur d’avenir. Il n’en reste pas moins que le parcours de Duncan - et son échec - peut être une leçon pour aujourd’hui : il est illusoire de penser que l’économique l’emporte sur le politique.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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