LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Birgitte Nygaard Markussen, Ambassadeur du Danemark : "L’antidote de la crise est la justice et l’Etat de droit"

Publié le vendredi 3 juin 2011 à 03h09min

PARTAGER :                          

Le dimanche 5 juin 2011, le Royaume de Danemark va commémorer, comme à l’accoutumée depuis des siècles, sa fête nationale. Quel sens revêt cette date ? Quelle est la touche du cru de cette année ? Quel rôle joue la reine Margrethe II ? Birgitte Nygaard, ambassadeur du Danemark, apporte un éclairage sur ces questions. Conjoncture nationale oblige, un partenaire technique et financier (PTF) comme ce pays scandinave, qui a les droits de l’homme, les médias, la bonne gouvernance, la justice, le genre... chevillés au corps, a forcément sa lecture de la crise multidimensionnelle qui secoue le Faso. Cette crise et ce qu’elle considère comme les voies pour en sortir, la diplomate danoise au Burkina Faso en parle dans cet entretien qu’elle nous a accordé le 1er juin dernier.

Madame l’ambassadeur, pourquoi la fête nationale a été instituée le 5 juin au Danemark ?

• Nous célébrons le 5 juin, parce que c’est le jour de la Constitution danoise. En effet, la Constitution a été signée en 1849 par notre roi Sa Majesté Frederik 7. La Constitution représente le document par lequel le Danemark est passé d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle. Les Danois, à cette époque, avaient été inspirés par l’esprit de liberté, qui a dominé l’Europe à cette époque, en particulier après les rébellions de 1848 à Paris. Nos ancêtres se sont battus pour obtenir la Constitution.

Ils se battaient pour deux principes fondamentaux : premièrement, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Deuxièmement, la création d’une compréhension, d’un traité, entre ceux qui ont été élus pour représenter le peuple danois et ceux qui sont représentés. Le traité implicite, et implique toujours que, en retour de la confiance placée dans les élus, le peuple danois attend une protection contre les violations de ses droits constitutionnels.

La Constitution danoise a été successivement révisée en 1852-53, en 1866, en 1915 et en 1953. Conformément à l’article 88 de notre Constitution, trois critères doivent être réunis pour introduire des changements : premièrement, le vote du Parlement danois ; deuxièmement, le changement doit être transmis au Parlement une deuxième fois après une élection ; et troisièmement, un référendum doit avoir lieu sur un changement constitutionnel. La majorité doit comprendre au minimum les 40% des sujets ayant droit de vote.

Quelle est la particularité de celle de 2011 ?

• C’est un jour de fête, où nous célébrons notre Constitution, et également un jour de réflexion sur notre démocratie. C’est une tradition pour nos politiciens de faire des discours publics à travers tout le Danemark et en diffusant leurs messages politiques sur l’état de notre démocratie et de la situation politique. Cette année, il y aura des élections au Danemark, et je suis sûre que notre Premier ministre, les membres du gouvernement et l’opposition vont faire des commentaires sur certaines questions pertinentes telles que les importantes réformes de notre système de protection sociale et les moyens de renforcer l’économie danoise.

Comment allez-vous commémorer cette fête au Burkina ?

• Cette année, au Burkina, nous célébrons la constitution danoise, conjointement avec notre voisin : la Suède. Il est intéressant de se rappeler l’histoire entre la Suède et le Danemark. Au Danemark, nous avons un nom spécial pour les « guerres-avec-les-Suédois » en 1500 -1700. Cela fait partie de notre histoire commune avec la Suède. Après les guerres, nous avons développé une coopération étroite et active entre la Suède et le Danemark à tous les niveaux.

Nous sommes d’importants partenaires politiques, culturels, économiques et de très bons voisins. Pour l’Ambassade du Danemark à Ouagadougou, 2011 signifie travailler ensemble avec le gouvernement et d’autres partenaires à opérationnaliser les éléments importants de la Stratégie de Croissance accélérée et de Développement durable (SCADD) et d’autres politiques sectorielles clés.

- Premièrement, je trouve que c’est une occasion de mettre davantage l’accent cette année sur la croissance verte, un nouveau concept en raison du lien évident que la SCADD établit entre la croissance et le développement durable. En résumé, la croissance verte est, sur le plan international, définie comme suit : maximiser la croissance économique et le développement tout en évitant une pression insoutenable sur la qualité et la quantité des ressources naturelles. Fait important, les politiques de croissance verte ont pour objet d’identifier les complémentarités entre les défis économiques et environnementaux d’une manière qui met en évidence les possibilités de nouvelles sources de croissance économique.

Pour le Danemark nous avons, par exemple, une occasion d’assister à l’établissement de ces liens dans notre coopération majeure dans le secteur de l’agriculture ainsi que dans le secteur eau et assainissement. Au niveau international la croissance verte est un concept qui occupe une place importante dans l’agenda du Conseil d’administration de l’ONU, en raison de ses perspectives de croissance intéressante. Le Sommet international des Nations unies de 2012 à Rio (Rio +20) vise à renforcer le cadre mondial pour la croissance verte.

- Deuxièmement, l’Ambassade, encore une fois en tandem avec ses partenaires nationaux, cherche à définir une nouvelle phase de la coopération danoise dans le secteur agricole afin de renforcer le développement du secteur privé, surtout dans le domaine de l’agriculture, pour que l’agriculture puisse réellement assumer son rôle de locomotive d’une croissance économique.
- Troisièmement, cette année, nous pensons qu’il y a un besoin d’étudier la question de la prévention et la résolution des conflits, pour la sécurité et le développement.

Le Danemark est une monarchie constitutionnelle. Que fait exactement la reine Margrethe II ?

• Le rôle principal de la Reine est de représenter le Danemark à l’étranger, par exemple lors des visites officielles, et d’Etat dans son propre pays. La Reine est très populaire et représente un symbole de la continuité historique de l’Etat danois. Comme je l’ai expliqué tantôt, le Danemark est une monarchie constitutionnelle, ce qui implique que le monarque ne peut pas prendre d’initiatives d’ordre politique. Bien que le monarque doive signer toutes les lois votées par le Parlement (le « Folketing »), celles-ci ne deviennent effectives que lorsque le ministre concerné les a contresignées.

En tant que chef d’Etat, le monarque participe également à la formation des gouvernements : après avoir consulté les différents partis politiques représentés au Parlement, le chef du parti ayant rassemblé le plus de mandats parlementaires sous son nom est chargé par le monarque de former un nouveau gouvernement. Le rôle de la Reine, chef de l’Etat danois, est également de présider le Conseil d’Etat qui entérine les lois votées par le Parlement.

Le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères informent régulièrement la Reine des derniers développements politiques. Sa Majesté la Reine et Son Altesse Royale le Prince Consort accueillent les chefs d’Etat étrangers en visite officielle au Danemark. Les Souverains reçoivent également les lettres de créance des ambassadeurs étrangers. Certaines nominations dans la fonction publique sont également le fait de Sa Majesté la Reine.

Revenons au Burkina Faso. On sait que le triptyque Médias-Femmes-Droits de l’homme préoccupe votre pays. Si vous deviez juger ces 3 choses au Faso, que diriez-vous ?

• C’est une question intéressante. D’abord, la situation de la liberté d’expression des médias est encourageante. Ensuite, d’un point de vue danois, les trois questions sont étroitement liées et font partie des cinq priorités de la stratégie de coopération 2010 du Danemark, intitulée : “Libre de la Pauvreté - Pour une liberté de changement”. Dans le cadre de notre partenariat avec le Burkina, le Danemark a l’intention de toujours renforcer la coopération destinée à promouvoir les Droits de l’Homme, la démocratie, la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption.

Pour le Danemark, être chef de file pour le « genre » est d’une importance capitale et, ensemble, avec nos partenaires, nous nous attelons particulièrement à renforcer la liberté, les droits et l’autonomie économique des femmes. Il sera essentiel de renforcer les actions pour promouvoir la santé sexuelle et reproductive des femmes et des jeunes. C’est indispensable de ne pas accepter la violence faite aux femmes – violence qui inclut la pratique de l’excision et les mariages forcés.

Un grand nombre d’initiatives sont prises dans le domaine des droits de l’homme. En tant que point focal de l’UE pour les défenseurs des droits de l’homme, nous essayons de suivre la situation des droits humains sur une base régulière. Nous encourageons les efforts du gouvernement au dialogue actif avec le bureau régional des droits de l’homme des Nations unies basé à Dakar pour le suivi de l’examen périodique universel des droits de l’homme.

Cela dit, je suis sûre que mes préoccupations sont partagées par beaucoup d’autres personnes, car il y a encore quelques marches à prendre pour permettre à la Commission nationale des droits de l’homme de devenir pleinement opérationnelle ; telles que l’amélioration des conditions de vie dans le système pénitentiaire et la poursuite des réformes judiciaires. J’ai l’impression que ces défis sont partagés par les nombreux acteurs concernés par les questions des droits de l’homme. Enfin, je voudrais admettre l’importance de l’enquête judiciaire que le gouvernement a ordonnée sur l’affaire Justin Zongo.

En 1999, au lendemain de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, votre pays avait été l’un des PTF à avoir été très virulent envers le pouvoir en place. N’avez-vous pas craint une rupture des relations entre les deux pays ?

• Le Danemark, en effet, avait exprimé ses préoccupations, et la situation a sûrement eu un impact sur la coopération à ce moment-là. Mais je n’ai pas eu l’impression que la question de la rupture du partenariat était en jeu.

Au fait, à combien se chiffre l’aide au développement que le Royaume apporte au Burkina Faso ?

• Le niveau global de la coopération au développement du Danemark au Burkina Faso est d’environ 19 milliards de FCFA en 2011.

En termes de contribution financière, Le Danemark a été le quatrième plus important partenaire bilatéral en 2010 au Burkina Faso. Sur le plan financier, le Danemark fournit un appui budgétaire général et soutient trois programmes sectoriels, à savoir l’eau et l’assainissement, l’agriculture et l’éducation, ainsi que deux programmes thématiques, un soutien à la bonne gouvernance et à la lutte contre le VIH/Sida.

En tant que chef de file du secteur Eau et Assainissement, je suis heureuse que le Danemark ait, par exemple, travaillé avec les partenaires nationaux à faire en sorte qu’un total de 6,7 millions de personnes vivant dans les zones rurales et près de 3,9 millions de personnes vivant dans les zones urbaines aient accès à l’eau potable. Dans notre programme agricole, nous avons assisté le gouvernement dans l’élaboration du Programme national du secteur rural et aussi permis d’entreprendre plus de 3 000 miniprojets pour les agriculteurs dans les zones rurales.

Ça représente combien pour cent du PIB danois ?

• Globalement, l’aide au développement constitue environ 0,88% du notre PIB (Produit intérieur brut) selon les chiffres de 2009. Le Danemark a actuellement 26 pays partenaires en matière de coopération au développement, et le Burkina Faso est l’un d’entre eux.

Le Burkina Faso est dans une crise multidimensionnelle depuis 4 mois. Quelle est votre lecture de cette situation ?

• Tout d’abord, je voudrais reconnaître les difficultés auxquelles le gouvernement et les populations ont dû faire face lors des derniers événements - les manifestations consécutives au décès de l’élève Justin Zongo, les mutineries, l’utilisation d’armes (même cette semaine) et l’agitation sociale survenus au Burkina Faso ont choqué tout le monde. Dans le même temps, nous constatons un esprit de réflexion au plan national.

Il me semble que le gouvernement a exprimé une forte volonté d’amélioration de la gouvernance politique, économique et sociale au Burkina Faso, et entamé des mesures spécifiques pour faire face au problème de la vie chère.

Je nourris l’espoir sincère que les difficultés dont nous avons été témoins franchiront le seuil de l’histoire du Burkina Faso, au moment où la vie était dure – mais aussi au moment où d’importants changements auront été mis en œuvre.

Il est encourageant de constater que le gouvernement a commencé à transformer la crise en une situation d’opportunités, démontrant ainsi que l’arme la plus forte est celle des idées et des valeurs - des valeurs telles que la paix, la justice et l’Etat de droit. Cela est un message fort. Aujourd’hui, où nous célébrons une Constitution qui a servi comme un cadre, aussi bien comme une protection de la démocratie du Danemark pendant plus de 150 années.

Politiquement les PTF, donc le Danemark, par la voix du représentant de l’UE, ont déjà donné leur position sur un sujet à polémique : la révision de l’article 37. Votre commentaire ?

• Quand je suis arrivée au Burkina Faso en septembre 2010, la question de l’article 37 a été beaucoup débattue dans la perspective de l’élection présidentielle - et a également fait l’objet de grands débats. Un pays comme la France, par le canal du Quai- d’Orsay, déconseille le tripatouillage de cet article.

Est-ce que le Danemark, réputé pour la clarté de ses positions, est prêt à dire quelque chose sur ce problème ?

• La question importante pour le Danemark, c’est le respect des règles de la démocratie, qui porte essentiellement sur le respect des principes de séparation des pouvoirs et l’obligation pour un gouvernement de protéger ses citoyens. Le Danemark est toujours prêt à participer à la poursuite de l’approfondissement du développement démocratique du Burkina Faso. J’ai noté beaucoup de dynamisme au sein d’un grand nombre d’intervenants dans les débats sur l’article 37. C’est au cœur d’un processus démocratique.

Comment avez-vous accueilli la nomination d’un homme de média à la tête du gouvernement burkinabè ?

• Au Danemark, comme dans beaucoup d’autres pays, nous avons un certain nombre d’excellents ministres qui proviennent des médias. Ce n’est pas une situation inhabituelle pour moi et je félicite le Premier ministre, Son Excellence Luc Adolphe Tiao, pour sa nomination et lui souhaite plein succès dans sa mission.

Le prince Henrik va bientôt lancer son parfum dénommé “H”. Sera-t-il commercialisé partout dans le monde ?

• En effet, Son Altesse Royale le Prince Consort Henrik va, dans trois semaines environ, présenter son nouveau parfum, appelé “H”. Selon les dernières nouvelles du Danemark, le nouveau parfum aura une odeur de pamplemousse et de bois de cèdre. Il sera produit par la société de cosmétiques GOSH. Dans un premier temps le parfum “H” sera mis en vente uniquement dans la boutique du château de Caïx en France. Vous savez, Son Altesse Royale le Prince Consort Henrik est originaire de France, est poète, écrivain, sculpteur, producteur vinicole et bientôt créateur de parfum !

Interview réalisée par
Zowenmanogo Dieudonné Zoungran

L’Observateur Paalga

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 3 juin 2011 à 13:08, par Beurk En réponse à : Birgitte Nygaard Markussen, Ambassadeur du Danemark : "L’antidote de la crise est la justice et l’Etat de droit"

    Denemark,Suède etc....des pays modèles où même les ministres partent au travail comme tout travailleur ordinaire puisqu’ils prennent les transports en comun en se mélangeant au peuple,pas de gardes de corps et vivent dans leur propre appartement.Alors ne parlons même pas des DG,DR,hauts cadres et autres qui sont des hommes ordinaires comme vous et moi.Quelle contraste avec le Burkina avec ces gros cylindrés avec les gardes de corps,ces appartements de fonction,ces bonnes,ces cuisiniers sans oublié l’électricité et l’eau qui sont gratuites.Non contents de tous ces privilèges,ils se livrent au détournement des deniers publics,tellement accaparés dans leur voracité,qu’ils n’ont même le temps de s’occuper de nous avec des voyous en armes qui terrorisent.Je suis écoeuré

  • Le 3 juin 2011 à 20:40, par citoyen En réponse à : Birgitte Nygaard Markussen, Ambassadeur du Danemark : "L’antidote de la crise est la justice et l’Etat de droit"

    C’est tellement évident que ça ne souffre pas de compréhension !

    pitié pour le Faso !

    l’arbre ne faisait que cacher la forêt !

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique