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A Cotonou, le docteur Boni Yayi forme un gouvernement aux allures de cabinet présidentiel

Publié le lundi 30 mai 2011 à 18h56min

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C’est le premier gouvernement du second mandat du docteur Boni Yayi, investi le 6 avril 2011 à Porto Novo. Il aura fallu du temps pour le former ; et à la lecture de sa composition, on se demande pourquoi. Il ne réserve guère de surprises. Si ce n’est que, à quelques rares exceptions près, les anciens ministres dégagent et cèdent la place à des jeunes cadres de l’entourage présidentiel.

Pas de technocrates ; pas de personnalités politiques (même s’il y a, au Bénin, à l’instar de ce qui se passe en France, profusion de micro-partis pour ratisser subventions et « clientèle »). Il ne faut pas y chercher non plus des têtes d’affiche nationales ; la seule star médiatique est l’ex-candidate à la présidentielle, l’avocate Marie-Elise Gbèdo, qui obtient la Justice.

Au total, cette nouvelle équipe - restreinte (26 ministres au total) - ressemble à un cabinet présidentiel bien plus qu’à une équipe gouvernementale. Une concentration des pouvoirs dans les mains du chef de l’Etat que ne remet pas en question la nomination d’un premier ministre, chargé de la coordination, de l’évaluation de l’action publique et du dialogue social (sic), qui n’est pas, pour autant, chef du gouvernement. Mais il est vrai que le poste n’existe pas dans la Constitution béninois (qui stipule que le chef de l’Etat est le chef du gouvernement et préside, à ce titre, les conseils des ministres) et que son titulaire n’est pas homme à se projeter sur le devant de la scène politique ; et moins encore à la « une » des médias.

C’est, sans surprise, Pascal Irénée Koupaki qui se retrouve premier ministre après avoir été, jusqu’à présent, le premier des ministres avec le titre de ministre d’Etat. On le disait en concurrence avec Marcel de Souza, le beau-frère du chef de l’Etat. Mais Souza (dont la sœur, Chantal, épouse de Boni Yayi, vient d’être élue pour la première fois à l’Assemblée nationale) entre au gouvernement, en troisième position, au portefeuille de ministre du Plan. Ex-directeur national de la BCEAO au sein de laquelle il a mené toute sa carrière, Souza était conseiller technique au cabinet du président de la République, en charge des questions macro-économiques et bancaires, et a été son directeur de campagne lors de la dernière présidentielle.

Pour Koupaki, aussi discret qu’un banquier suisse, c’est une nouvelle confirmation de son « incontournabilité » sur la scène politico-administrative béninoise. Titulaire notamment d’une maîtrise ès sciences économiques et d’un DESS en analyse de projet (université Paris I-Panthéon Sorbonne), Koupaki a fait carrière, lui aussi, au sein de la BCEAO où il a été, notamment, directeur des études (août 2000-février 2003) avant d’être nommé conseiller spécial du gouverneur et directeur du département des études économiques et de la monnaie. Autant dire qu’en matière de gestion macro-économique, il n’a rien d’un amateur. D’autant moins qu’il a été formaté au sein de la banque centrale ouest-africaine par le très rigoureux Alassane D. Ouattara qui, lorsqu’il a été Premier ministre de la République de Côte d’Ivoire, en avait fait son directeur adjoint de cabinet (1990-1993).

Une incursion dans le monde politique que Koupaki a renouvelée en 1996 lorsqu’il a été nommé directeur de cabinet du Premier ministre mais de la République du Bénin cette fois (il s’agissait de Adrien Houngbédji qui était premier ministre dans le premier gouvernement formé par Mathieu Kérékou au lendemain de sa victoire à la présidentielle du 18 mars 1996).

Quand Boni Yayi va accéder à la présidence de la République du Bénin, Koupaki va reprendre du service « politique ». Au gouvernement cette fois. Il est nommé ministre du Développement, de l’Economie et des Finances et reçoit le soutien de deux ministres délégués, l’un pour le budget, l’autre pour la micro-finance et la promotion des PME. Son émergence sur la scène gouvernementale béninoise est l’expression de la faillite des élites politiques. Les banquiers prennent le pouvoir… Le quotidien national La Nation ne s’y trompera pas qui, annonçant la formation du premier gouvernement du président Thomas Boni Yayi, avait titré son édition du mardi 11 avril 2006 : « Voici les 22 technocrates qui aideront le chef de l’Etat à opérer le changement tant attendu ».

Koupaki va être, avec discrétion mais efficacité (il a un bon carnet d’adresses et du savoir-faire en matière de négociations internationales) un patron rigoureux de l’économie et des finances du Bénin. Il va se heurter, cependant, à des contraintes internes qu’un technocrate ne peut même pas imaginer : le créativité en matière de « perversion » économique et financière est sans bornes ! Et s’il a le savoir-faire, il lui manque incontestablement le « faire savoir » qui est désormais une composante essentielle des politiques publiques. S’il est vrai que le chef de l’Etat est un « non communicant », Koupaki l’est plus encore : réflexes technocratiques qui sont dommageables dès lors que l’on occupe une fonction publique de premier plan dans un pays où la discussion politique est le fondement de l’activité sociale.

Lors du remaniement ministériel du 17 juin 2007, Koupaki va céder la portefeuille des finances. Il est nommé ministre d’Etat, chargé de l’Economie, de la Prospective, du Développement et de l’Evaluation de l’action publique. Il est un quasi premier ministre dès lors que, toujours numéro un du gouvernement, il a la main sur les dossiers qui sont le fondement de l’action du chef de l’Etat. En cédant les finances, il affirmera avoir mené à bien la mission qui lui avait été confiée : « relancer une croissance publique en perte de vitesse ».

Il lui fallait, dès lors, s’attaquer à la restructuration, l’assainissement et la relance de l’activité économique, publique et privée, du Bénin ; autrement dit : assainir plus encore les finances publiques, promouvoir et sécuriser les investissements étrangers. Le vendredi 2 novembre 2007, le ministère des Finances devient celui de l’Economie et des Finances, Koupaki demeurant ministre d’Etat mais chargé, « seulement », de la Prospective, du Développement et de l’Evaluation de l’action publique puis, par la suite, de la coordination de l’action gouvernementale. Autrement dit mettre de l’huile dans les rouages et éteindre les incendies qui résultent des « dysfonctionnements » de l’administration et de l’entourage présidentiel (dont le plus notable sera « l’affaire ICC Services »).

Le problème avec les technocrates, c’est qu’ils sont capables de diagnostiquer les défaillances et d’imaginer les solutions mais manquent toujours de moyens financiers et humains pour les mettre en œuvre. Koupaki en a pris conscience : « Il me paraît d’une grande priorité d’engager la réforme des mentalités au Bénin », déclarait-il à la veille de la dernière présidentielle (entretien avec Gianni Morani pour L’Essentiel). Il ajoutait : « Il est d’une priorité absolue pour les acteurs politiques de réussir à établir une synergie harmonieuse entre la gouvernance démocratique, la gouvernance politique, la gouvernance administrative, la gouvernance sociale, la gouvernance judiciaire et la gouvernance économique. Je considère cette synergie comme la clé du développement du Bénin ». Il appellera cela « RAMER » : « Réformer les mentalités, Assainir les finances publiques, Moderniser l’économie, la réglementation économique et les infrastructures, Etre efficace au niveau de l’administration, de la gouvernance et de la gestion des affaires publiques, Restructurer l’appareil de production » (Symposium international sur le cinquantenaire des indépendances africaines - mardi 16 novembre 2010). Ce qui laisse penser que ce qui a été fait jusqu’à présent est « un cautère sur une jambe de bois ».

Autrement dit, ce qu’il convient de faire, désormais, c’est de la politique et, notamment, de la politique sociale. Mais les banquiers savent-ils le faire ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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