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La nomination de Henriette Dagri-Diabaté comme grande chancelière de l’ordre national de la Côte d’Ivoire est un hommage à toutes les femmes d’Afrique (2/2)

Publié le mardi 24 mai 2011 à 17h27min

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La mort de Djény Kobina, le fondateur du RDR, en octobre 1998 (cf. LDD Côte d’Ivoire 0318/Vendredi 20 mai 2011), va projeter Henriette Dagri Diabaté sur le devant de la scène politique ivoirienne alors que la présidentielle d’octobre 2000 se profile à l’horizon et qu’il est avéré que Alassane Ouattara sera, cette fois, le candidat du parti.

« Je suis du Sud, chrétienne et femme. D’aucuns auraient pu penser que je n’avais aucune chance de diriger le RDR que l’on qualifie, à tort, de parti nordiste et musulman. Mon élection à la tête du parti a été un raz-de-marée, un véritable plébiscite. J’avais assuré l’intérim de Djény Kobina. Je n’étais pas sortie du néant. J’étais universitaire, j’avais été ministre, les militants le savaient. Pour eux, l’essentiel était non pas que je sois une femme mais que je sois capable de conduire le changement auquel tout le monde aspire », m’expliquera-t-elle à la veille du congrès du 1er août 1999 qui allait officialiser la candidature de Ouattara la présidentielle 2000.

Henriette Diabaté avait alors une bête noire : « l’ivoirité » prônée par Henri Konan Bédié. Ouattara avait quitté le FMI au début de l’été 1999 pour entrer en campagne. Bédié va, dès lors, radicaliser son action contre ceux qu’il considère comme ses plus dangereux adversaires pour la prochaine présidentielle. Le 27 octobre 1999, à la suite d’une manifestation organisée pour réclamer la « libération des médias d’Etat », des militants et des cadres du RDR seront arrêtés et passeront en jugement. Dans Le Monde (daté du dimanche 14-lundi 15 novembre 1999), Fabienne Pompey a raconté : « En tête de la colonne des vingt prévenus, comme lors des deux premiers jours du procès, Henriette Diabaté, soixante-quatre ans, est entrée, vendredi 12 novembre au matin, dans la petite salle du tribunal d’Abidjan. Toujours souriante et élégante, elle a levé le poing à l’adresse des proches autorisés à assister aux audiences. Alors que les débats ont été ponctués d’interventions de la salle lors du réquisitoire, le verdict est tombé dans un silence de cathédrale : deux ans de prison pour onze des dirigeants du Rassemblement des républicains (RDR), dont Henriette Diabaté, secrétaire générale du parti et ancienne ministre, et quatre députés ».

Le 24 décembre 1999, Bédié dégringole de son trône. Deux jours plus tard, les portes de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, l’innommable MACA, sont forcées par les soldats mutinés. Henriette Diabaté recouvre la liberté. Des événements qui lui ont permis de sortir de prison, elle dira : « Non, ce n’était pas un coup d’Etat. Un coup de force peut-être, une révolution positive assurément » (Dominique Mataillet, Jeune Afrique-L’Intelligent du 22 février 2000). Le général Robert Gueï est au pouvoir ; la transition s’installe ; Henriette Diabaté revient au gouvernement au portefeuille de la Culture avec, en plus, la Francophonie.

La coalition de Gueï et de Laurent Gbagbo va cependant empoisonner la « transition ». Le 18 mai 2000, Henriette Diabaté va démissionner du gouvernement, dénonçant le retour à « l’ivoirité » et le limogeage des ministres RDR (elle ne faisait pas partie de la charrette). C’est le temps du TSO : « Tout sauf Ouattara ».

Henriette Diabaté pourrait être candidate à la présidentielle 2000 en lieu et place de Ouattara. Elle s’y refusera. « Nous n’allons pas choisir une candidate pour que la presse puisse titrer : « La première femme candidate à la présidentielle… ». Ce n’est pas un jeu […] Il n’y a aucune raison qui puisse empêcher Alassane d’être candidat, sauf arbitraire » (entretien avec Florence Dini - Amina 2000 n° 366). On connaît la suite : le référendum (dont Diabaté ne cesse d’expliquer que celui pour lequel le RDR a appelé à voter « oui » le 30 mai 2000 a été modifié le 17 juillet 2000 à la veille du référendum du 23 juillet 2000), la mise sur le touche par le duo Gueï-Gbagbo de Bédié, Ouattara et quelques autres, l’élection présidentielle « calamiteuse » de Gbagbo, l’affrontement FPI-RDR, etc. « Plus de 300 morts, plus d’un millier de blessés, des viols, des disparitions, des destructions de biens et d’édifices religieux. La réalité va bien au-delà, chacun le sait », déclarera Henriette Diabaté lors du Forum pour la réconciliation nationale qui se déroulera en octobre 2001.

Il faudrait ressortir ce texte du 18 octobre 2001 (jour anniversaire de la naissance de Félix Houphouët - il n’était pas encore Boigny) par Henriette Diabaté ; elle y disait des choses essentielles sur la « réconciliation » qui ont une actualité particulière aujourd’hui. « Peut-on construire une nation en éliminant une partie de cette nation ? » interrogeait-elle, soulignant que Ouattara était alors « le symbole de millions de compatriotes qui, chaque jour, sont humiliés, marginalisés et exclus du processus de construction de notre pays ».

Notons encore que Henriette Diabaté aura pour colistier, lors des législatives de 2001, Guillaume Soro, aujourd’hui premier ministre. « En 2000, expliquera-t-il, dans la continuité de nos combats politiques, nous avions mis en place un Forum des jeunes qui revendiquait des élections démocratiques. Parce que le FPI avait trahi nos idéaux, j’ai alors accepté d’être [son] colistier ».

A l’issue de la table ronde de Marcoussis, Gbagbo sera contraint de former un gouvernement d’union nationale (13 mars 2003) dont le « chef » était Seydou Elimane Diarra. Henriette Dagri Diabaté y sera ministre d’Etat avec le portefeuille de garde des sceaux, ministre de la Justice. Quand Charles Konan Banny obtiendra la primature le 4 décembre 2005, elle sera remplacée par Mamadou Koné (un magistrat affilié aux Forces nouvelles - il sera directeur de cabinet de Soro à la primature - qui vient d’être promu à la présidence de la Cour suprême).

Henriette Diabaté a alors passé le cap des 70 ans et peut revendiquer un long parcours intellectuel et politique qui laissera sa trace dans l’histoire de la Côte d’Ivoire dont elle est une des mémoires. En 1999, elle me disait : « Nous étions, par le passé, au sein du PDCI, un courant qui voulait le changement dans le parti. Ce changement n’ayant pu être obtenu au sein du parti nous avons choisi de mener notre combat pour le changement hors du PDCI. Personnellement, à l’instar de beaucoup de mes camarades, je n’avais rien à gagner en quittant le PDCI pour fonder le RDR. C’est un engagement basé exclusivement sur une conviction politique profonde. Je pouvais aspirer à la retraite, voyager six mois de l’année, écrire les six autres mois. Or, je suis là, à la tête du parti, pour mener jusqu’au bout le combat pour le changement ». Ce combat, non seulement elle l’a mené jusqu’au bout mais elle l’a rendu victorieux.

*
« Eh Dieu ! Ce n’est donc pas un rêve ! ADO est là ! […] L’attente a été longue, trop longue ». Les mots (enthousiastes) de Henriette Diabaté lors du congrès extraordinaire du RDR, le dimanche 1er août 1999, au palais des sports de Treichville, qui marquait le retour de Ouattara dans son pays (il venait de démissionner du FMI et de prendre la présidence du RDR dans la perspective de la présidentielle d’octobre 2000), résonnaient encore dans ma tête quand Henriette Rose Dagri Diabaté a passé au cou du président de la République, Alassane Dramane Ouattara, le collier de Grand maître de l’ordre national. Douze ans venaient de s’écouler ! Un siècle !

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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