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Abdoulaye Wade et Alassane Ouattara entreprennent de refonder, autour de l’axe Dakar-Abidjan, une Afrique de l’Ouest mise à mal par Laurent Gbagbo

Publié le lundi 16 mai 2011 à 15h45min

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Le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, est en « visite d’amitié » à Dakar auprès du président du Sénégal, Abdoulaye Wade. C’est le premier déplacement à l’étranger de Ouattara depuis sa prestation de serment, voici tout juste une semaine. Il y a à cela des raisons objectives et subjectives. Tout autant ivoiriennes que sénégalaises.

Wade, qui n’a jamais été dans de bonnes relations avec Laurent Gbagbo et avait apporté son soutien à Guillaume Soro dès les événements du 18-19 septembre 2002 (cf. LDD Côte d’Ivoire 0267/Lundi 8 novembre 2010), n’a cessé d’afficher son engagement auprès de Ouattara. On se souvient du tollé provoqué par le déplacement à Dakar du candidat du RDR à la présidentielle et de son staff de communicateurs (conduit par Ally Coulibaly, aujourd’hui ambassadeur de Côte d’Ivoire à Paris) au lendemain de l’annonce de sa qualification pour le second tour. Et, depuis, Wade n’avait jamais varié de sa ligne de conduite, convaincu qu’il faudrait virer Gbagbo par la force. La victoire de Ouattara sur Gbagbo est aussi celle d’un « libéral » face à un « socialiste ». Si le « socialisme » de Gbagbo était de moins en moins avéré, il n’empêche que le leader du FPI avait le soutien, à Dakar, de Ousmane Tanor Dieng, patron des « socialistes » africains et figure de proue de l’opposition sénégalaise (cf. LDD Sénégal 0146/Jeudi 2 décembre 2010). A neuf mois de la présidentielle sénégalaise, Wade n’est pas mécontent de voir un « socialiste » au tapis.

N’oublions pas, aussi, que le chef de l’Etat sénégalais est une figure majeure de l’Internationale libérale, dont le RDR de Ouattara est également membre, et que le président du Réseau libéral africain (RLA), est le docteur Lamine Bâ, responsable des relations internationales au sein du PDS et ministre des Affaires internationales et humanitaires au sein du cabinet présidentiel. Dans cette élection ivoirienne, l’Internationale libérale a été bien plus présente auprès de son candidat que l’Internationale socialiste ne l’a été auprès du sien, y compris sur le terrain puisqu’une délégation avait été envoyée à Abidjan (à noter que c’est Kaba Yaya Fofana, très active dans le secteur social et militante du « genre », qui représente le RDR au sein du comité exécutif du RLA).

Se considérant comme un artisan de la victoire de Ouattara (quand trop de chefs d’Etat africains ont choisi de ne pas se prononcer ou, pour les plus radicaux, de fustiger l’implication des Nations unies et de la France dans le dossier électoral ivoirien), Wade attend du nouveau président qu’il redonne ses lettres de noblesse à l’axe Dakar-Abidjan. Au temps de Félix Houphouët-Boigny, les relations entre les deux capitales ont été tendues sous Léopold Sédar Senghor (pour des raisons historiques, idéologiques et géopolitiques sans oublier la question de l’ego de l’un et de l’autre) et indifférentes - mais condescendantes - sous Abdou Diouf. Wade, face à Ouattara, apparaît comme un aîné et comme un homme politique d’expérience ; ce que personne ne peut nier. Il apparaît plus encore comme un « stratège » politique ; ce qu’était Houphouët et n’est pas Ouattara. Il n’est pas mauvais pour le « Vieux » d’apparaître comme le mentor politique de celui qui a été le premier ministre de l’autre… « Vieux ».

L’accession au pouvoir de Ouattara confère à Wade une autre dimension historique et régionale. Jusqu’à présent, il se trouvait face à des chefs d’Etat qui avaient fait leur parcours politique sans lui ; avec ADO, ce n’est plus vrai : depuis le début de la « crise ivoiro-ivoirienne », le chef de l’Etat sénégalais s’est impliqué dans l’affaire et il se trouve, aujourd’hui, plus en adéquation avec Ouattara qu’avec aucun autre chef d’Etat africain. Parce qu’ils sont, l’un et l’autre, plus « internationaux » qu’africains et plus africains que « sénégalais » ou « ivoiriens ». Ils partagent une même vision « décomplexée » de leur fonction. Et la hiérarchie politique correspond à la hiérarchie sociale : Wade est l’aîné par l’âge et par l’ancienneté dans la fonction ; plus encore, il est arrivé au pouvoir la même année (2000) que Gbagbo et l’on peut ainsi juger de leur évolution. Enfin si, au temps de Houphouët, le Sénégal était le parent pauvre face au « miracle économique » ivoirien, aujourd’hui Dakar n’a plus rien à envier à Abidjan, bien au contraire. Autant d’éléments objectifs et subjectifs qui font que Wade est à l’aise avec Ouattara, dans une relation qui doit plus à l’estime réciproque qu’au calcul politique. Même si, en vieux routier de la géopolitique africaine, Wade sait pertinemment ce que peut lui rapporter cette relation. Quant à Ouattara, nul doute qu’il retrouve chez Wade ce qu’il pouvait apprécier chez Houphouët lorsqu’il était son premier ministre : un homme d’expérience qui n’a pas d’états d’âme politiques parce qu’il sait que, dans ce job, il faut savoir prendre des coups et en donner ; or, Ouattara répugne toujours à s’impliquer totalement dans cette démarche. Les deux hommes ne sont pas de la même génération, mais ils partagent le même système de référence. Ajoutons qu’ils sont tous deux musulmans et tous deux époux d’une femme d’origine française !

En matière politique, ADO a le goût des choses simples ; ce qu’il déteste ce sont les « ambiances délétères » dont se nourrissent les entourages. Il en a fait l’amère expérience quand la Côte d’Ivoire est passée de Houphouët à Henri Konan Bédié et que le PDCI s’est fracturé. Il pense que ce qui est bon pour la Côte d’Ivoire est bon pour les Ivoiriens et les Africains de la sous-région ; et que les uns et les autres en ont conscience. C’est une vision un peu globale des choses de la vie mais qui, sans être totalement vraie, n’était pas fausse dans les années 1960-1990. C’est surtout une vision qui résulte d’une analyse économique et humaine incontournable : les pays de l’UEMOA et de la Cédéao ne peuvent pas se développer de manière cohérente hors de ce champ d’action sous-régional ; le repli sur soi est, inéluctablement, un appauvrissement.

Wade et Ouattara sont des « présidents Filofax » avec des agendas hyper-gonflés et des carnets d’adresses qui débordent ; ce sont aussi des « chasseurs de miles » qui ne savent pas tenir en place. Cela tombe bien : les relations intra-ouest africaines sont à refonder après que Gbagbo ait entrepris de « foutre par terre » des institutions sous-régionales et continentales qui étaient partagées non seulement sur les voies et moyens de son expulsion du pouvoir mais également du bien fondé de cette expulsion. UEMOA, Cédéao et Union africaine sont en panne depuis la présidentielle ivoirienne 2010 ; dans un contexte continental mis à mal par les « révolutions arabes » en Afrique du Nord et quelques tensions diplomatico-politiques ici et là. Sans oublier les tensions sociales stricto sensu, particulièrement au Burkina Faso ; la fragilisation du pouvoir de Blaise Compaoré à Ouagadougou se situe à un moment crucial pour Abidjan. Wade et Ouattara ne peuvent pas ne pas y penser alors qu’ils se retrouvent à Dakar (avant que ADO ne se rende dans la capitale burkinabè) : jusqu’à présent, le patron de l’Afrique de l’Ouest, celui qui avait imprimé sa marque dans la sous-région au cours des dix dernières années, entassant les médiations les unes sur les autres, c’était Blaise ; et l’on pouvait penser que l’arrivée de Ouattara au pouvoir renforcerait son aura d’homme incontournable. Les événements qui viennent de se dérouler au Burkina Faso ont changé la donne. Wade saute sur l’occasion pour rappeler qu’il n’est pas là pour faire de la figuration et que, quoi qu’en disent les commentateurs, il n’est pas, non plus, en fin de parcours. La meilleure preuve en est qu’il a un nouveau poulain dans son écurie : ADO. Et qu’il entend le faire courir vite et loin pour redonner des couleurs à sa casaque.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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