LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Editions Sidwaya : Le profane et le sacré

Publié le lundi 16 mai 2011 à 00h24min

PARTAGER :                          

Ibrahiman Sakandé, DG des Editions Sidwaya

La mondialisation n’est pas un vain mot. Selon le philosophe Michel Serres, de l’Académie française, il y aurait deux variantes à ce phénomène : la mondialisation douce, celle de la salade par exemple et la mondialisation dure, celle qui touche à la politique et à l’économie notamment. En tous les cas, sous cette roue qui tourne, nous constatons qu’une avancée scientifique favorable à la vie humaine découverte dans un laboratoire aux Etats-Unis d’Amérique par un concours de circonstances heureuses, peut faire sauter de joie l’humble paysanne de Dori, et qu’une toux mal soignée en Indonésie peut être douloureusement ressentie à Kokologho.

C’est de cette manière que la grippe aviaire, le Sida, le terrorisme, la drogue,… mais aussi l’exigence des droits de l’homme, le genre, le respect de l’enfant, la démocratie,… sont passés de l’espace régional à l’espace mondial, de l’intérêt individuel à l’universel. Dans ce jeu où dominent, quoi qu’on dise, les lois du plus fort et du plus riche, les hommes ne se préoccupent plus de la notion du sacré. Tout est-il profane, « terre-à-terre », cartésien ou prosaïque ?

Dans les civilisations antérieures à la nôtre, la notion de sacré était sans doute, synonyme de dogme, de loi et d’interdit ; mais aussi de modération, de frein, de retenue, de limite. « Rien de trop », c’était la devise de l’antique cité grecque. « Mieux vaut un grand hangar qu’un grand homme ». C’est un proverbe africain qui signifie, sans doute, qu’il faut préférer ce qui rassemble, en arrondissant les angles (le hangar), à ce qui tyrannise par excès d’avidité (le grand homme). L’Europe du Moyen-âge, attachée à la religion et à l’aristotélicisme, faisait du « juste milieu » le centre de sa vision morale et enseignait, à travers les contes et les sagesses populaires, que « l’excès nuit en tout » : Cendrillon a trop tardé à quitter le bal, Hansel et Gretel ont été piégés par leur gloutonnerie… Cela a sans doute, un lien avec le portrait de l’honnête Homme, l’Homme idéal du 17ème siècle français dépeint par l’Encyclopédie : courtois, bien éduqué, élégant, éclairé, cultivé.

L’interdit et le commandement divins, dans le sens de « sacré », sont donc devenus mesure et modération dans le sens « profane » de l’histoire, tel que les civilisations qui nous ont devancés ont pu le comprendre et le réaliser pour donner un sens à leur aventure. Car la culture est sens. On peut se moquer du passé jusqu’à ce que le passé vous rattrape, vous administre de vigoureuses chiquenaudes et vous donne des leçons de bonne conduite. On n’a pas le temps de se moquer du présent, que l’on a affaire au futur. Quand le moment nous semble venu de nous moquer du futur, c’est que l’heure est venue de lui tirer notre révérence, tout comme au passé et au présent : nous avons vécu, nos institutions et nos ambitions aussi.

Soyons plus sérieux : qu’est-ce qui est sacré pour nous aujourd’hui ? Rien, ou presque. Posons autrement la même question : qu’est-ce qui peut, pour rien, nous retenir d’agir dans le sens de la défense de nos supposés intérêts ? L’appât du gain par exemple ? Soulignons l’expression « pour rien » car celui qui est commis au service des dieux, ceux du ciel et de la terre, accomplit son devoir, en principe, pour ces divinités et n’attend d’autre récompense que celle qu’ils voudront bien lui accorder. Sacré et gratuité sont, normalement, liés. Le sacré, c’est aussi ce qui vaut sans autre justification, parce qu’il justifie tout ; c’est ce qu’on ne touche pas sans mourir. C’est le fondement d’une conviction communautaire, ce, sans quoi le lien social cède et livre l’essence de la Cité à l’errance et à la déperdition. Le sacré n’est pas seulement connecté à la gratuité, il l’est aussi à la communauté. Que seraient les peuples des religions révélées sans leur Livre saint ? Le Conseil des Anciens du village, sans la caution des Ancêtres ? L’Europe coloniale sans la foi et la raison en leur mission d’évangélisation supposée divine ? L’O.N.U sans l’idéal d’une humanité parlant la même langue et d’un seul cœur, avec qui de droit au gouvernail ?

Depuis le début de l’année 2011, au Burkina, nous entrons et sortons de nos propres tourbillons ; comme si, dès 6h du matin, nous étions déjà ivres de quelque chose... Nous accusons qui nous voulons, et acquittons qui nous pouvons. Il n’y a rien, nous semble-t-il, qui puisse être considéré comme sacré, rien qui puisse mériter, à nos yeux, un respect absolu en soi. Et Pourtant ! Immédiatement après la seconde Guerre mondiale, les Japonais ont réalisé la « Tokyo Tower », une tour inspirée de celle de Gustave Eifel (la Tour Eifel), mais la dépassant de quelques mètres. Tout Japonais de passage pour l’admirer s’incline et se dit tout bas : « Le Japon doit dominer le monde. » Pour le Japonais conscient, la « Tokyo Tower » est sans doute, sacrée. Elle est le symbole, à la fois, d’une vision et d’une décision, toutes deux adossées à un sacrifice national inédit, une offrande exorbitante faite aux dieux étourdis de la guerre, de la mort et de l’humiliation. La suite, nous la connaissons…Voilà l’exemple d’un peuple qui se construit en prenant son évolution pour une trajectoire sacrée.

Nous proposons que pour la suite des temps, les Burkinabè considèrent, à partir des milliers de paramètres de leur évolution, essentiellement deux éléments comme « sacrés » : la vie humaine et l’éducation de nos enfants. Que plus jamais personne n’y touche ! Cela est possible, il suffit que cela fasse l’objet d’un consensus national conscient et assumé. Chaque fois que, lors de manifestations de quelque nature que ce soit, des vies humaines sont gaspillées, que des salles de classe sont fermées pour que des cours s’interrompent, poussant nos enfants, le futur de notre nation, à, des jours durant, jouer aux billes ou, pire, à voler des mangues, nous sentons un découragement patriotique, une sorte de vague à l’âme nationale qui signifie que nous ne savons plus à quoi vouer notre existence, notre souffle de vie. La question suicidaire est alors la suivante : demain sera-t-il meilleur à aujourd’hui ?

Pour annihiler toutes les formes de « retards » que nous avons pris dans le processus de notre émergence et de l’évolution qui en découle, tous les « starting-blocks » ne se valent pas. La vie humaine et l’éducation se doivent d’être considérées comme sacrées pour que le reste de l’architecture de notre développement national évolue rapidement et efficacement, pour que l’édifice que nous appelons Burkina Faso ne s’écroule, s’effrite, faute de fondations solides ; chacun sachant se reconnaître dans la communauté de volontés et de décisions que nous formons… et formerons jusqu’au Jugement dernier, celui de Dieu ou celui plus brutal, cruel et expéditif des hommes ...

Par Ibrahiman SAKANDE ( sakandeibrahiman@yahoo.fr)

Sidwaya

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 16 mai 2011 à 18:56, par lhommearsène En réponse à : Editions Sidwaya : Le profane et le sacré

    J’apprécie l’idée de prendre pour sacré la vie des hommes et leur éducation pour que l’avenir de nos enfants soit meilleur que le notre.

    Cependant, je trouve que l’entrée en matière de cet article est déroutante (je ne suis pas proffessionel), il est compliqué ( dans les mots utilisés, mais le style de la description n’est pas mal), et surtout : je n’aime pas du tout lesreférences idéologiques qui sont faites : comme si on a besoin que des choses aient été faites en France pour dire que c’est bien et que l’on peut aussi faire ça chez nous, comme si nous n’avions pas ici, au Faso, en Afrique des références beaucoup plus crédibles ( c’est ce que ce devrait etre pour nous).

    Je ne sais pas votre avis, mais je préfèrerais beaucoup que l’on ne parle pas de la civilisation d’aujourd’hui comme Une civilisation : ils y en a plusieurs et tous ceux qui font comme si il y en avait qu’une seule ne compte jamais la notre, celle des Africains (vous avouerez que je ne dis rien de faux en disat ça).

    Pour terminer, il est temps que ’on trouve en nous meme les ressources et les repères qui nous serviront à nous construire nous-meme et à construire l’avenir de nos enfants. Parlons de Dimbdolobson, des grands Naba, de Cheikh Anta Diop, de l’Egypte,... et de leurs enseignements aussi.

    Bon courage à Mr Sakandé.

    NB : je ne suis ps moi meme journaliste, et je n’emmet pas de jugement sur qui que ce soit, je fais juste une remarque.

  • Le 17 mai 2011 à 22:26, par Hess En réponse à : Editions Sidwaya : Le profane et le sacré

    Les choses bougent et on sent votre dégré de confiance augmenter légèrement et c’est à votre honneur. Il reste beaucoup à faire mais depuis quelques semaines (enfin cet édito et celui qui a suivi la dissolution du gouvernement), il y a un changement de ton.

    Quant au sacré, il faut savoir que c’est les contemporains qui créent aussi le sacré. L’exemple du Japon que vous avez cité est édifient. Qu’est ce que devrait être Sacré au Burkina de 2011 ? La Constitution, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, la Charte Africiane des Droits de l’Homme et l’Intégrité (le burkindiloum). Cette Intégrité que nous avons choisi de porter comme nom de pays et de nation est sacrée et normalement nous empêche de jouer ou ruser avec les lois, de mentir, de trahir sa parole, de voler et d’être arrogant !

    Le respect de la vie est inclu dans ces sanctuaires.
    L’Éducation également et doit avoir pour entre autres missions l’enseignement à l’observation et au respect de ces choses sacrés.

    Quant aux histoires de la spiritualité, le sacré qui serait doit rester dans la vie privée. Toute interférence de ces croyances avec le Sacré du Burkina sera présidiciable à ce dernier.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?