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Djibril Bassolet, ministre des Affaires étrangères et de la coopération régionale : « L’institution judiciaire n’inspire peut-être pas suffisamment confiance aux justiciables, d’où cette tendance à se faire justice soi-même »

Publié le mercredi 11 mai 2011 à 12h48min

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Nommé ministre des affaires des Affaires étrangères et de la coopération régionale dans le gouvernement de Luc Adolphe Tiao, un portefeuille qu’il avait déjà occupé avant d’être nommé médiateur de l’Union africaine et de l’Onu au Darfour, l’agenda de Djibril est particulièrement très chargé ces derniers temps. Entre Ouagadougou, le Darfour, New-York et Doha, le patron de la diplomatie burkinabè était à Paris le 9 mai pour animer une conférence de presse, occasion de faire le point sur la situation socio-politique suite à la crise qui a secoué récemment le « Pays des Hommes intègres »

Les violentes manifestations qui ont secoué le Burkina ces derniers temps portaient sur des revendications corporatistes, mais aussi politiques. Quelle analyse faites-vous de ces évènements ?

Il ne serait pas juste de ma part d’occulter les préoccupations politiques qui peuvent avoir constitué la toile de fond sur laquelle toutes les manifestations se sont greffées mais, il faut situer les choses dans leur vrai contexte. On ne peut pas nier que le Burkina soit influencé par ce qui se passe en Afrique du nord et dans le monde arabe, car nous sommes dans un monde ouvert et de communication. Au plan interne, nous avons un débat sur la révision ou pas du fameux article 37 [limitant le nombre de mandats présidentiels et que le parti au pouvoir souhaite faire sauter, NDLR], mais les manifestations qui ont éclaté chez nous récemment sont une révolte de la population contre la cherté de la vie et des conditions de travail. La preuve, entre la manifestation du 8 avril [organisée par le collectif contre la vie chère] qui a relativement mobilisé du monde, et celle du 30 avril [à l’initiative de 34 partis politiques de l’opposition] appelant au changement de régime, qui, elle, n’a pratiquement pas été suivie. Il est évident que les jeunes qui manifestaient n’avaient pas un agenda de changement de régime.

Lorsque les soldats du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) ont manifesté dans la nuit du 14 au 15 avril, au petit matin, ils sont rentrés dans leur caserne, ont occupé leurs postes et se sont mis en devoir de faire la police contre leurs camarades des autres garnisons qui, à leurs yeux, avaient exagéré dans les manifestations. Pour eux aussi, ils n’avaient pas dans leur agenda la fin du régime. Naturellement, ce sont des signaux très forts qui ont été donnés aux pouvoirs publics et à ceux qui gèrent les affaires politiques, et c’est sur la base de ces signaux que nous devons prendre des mesures pour que de tels faits ne se reproduisent plus.

Ces manifestations ont quand même provoqué la chute du gouvernement…
Oui, c’est vrai ! Au passage, je rends d’ailleurs un hommage particulier à Tertius Zongo qui, à la tête du gouvernement a engagé d’importantes réformes, en particulier contre la corruption, pour assainir l’administration et améliorer la gouvernance de notre pays. Mais en situation de troubles généralisés, il faut toute suite prendre des mesures qui ont l’avantage de permettre au pouvoir de reprendre la main et c’est pour cela que le gouvernement a été dissout. Cette mesure s’imposait compte tenu de l’ampleur des évènements, mais je ne crois pas qu’en manifestant, les soldats voulaient absolument que le gouvernement s’en aille.

Parmi les soldats qui ont bruyamment manifesté, certaines sources disent que la majorité serait des Burkinabè de la diaspora, communément appelés les « diaspos ». Qu’en est-il exactement ?

Je veux être clair sur ce point : Ceux qui ont manifesté sont des soldats burkinabè, de nationalité burkinabè, recrutés sous le drapeau du Burkina Faso. On a entendu effectivement des gens dire que certains soldats seraient des « diaspos », mais personnellement, je n’aimerais pas examiner la situation sous cet angle et il ne faut surtout pas utiliser ce terme qui a une connotation un peu « ivoiritaire ». Il faut définitivement abandonner cette notion de diaspo qui n’a aucun sens. Les soldats se sont manifestés bruyamment en faisant usage d’armes sur la base de revendications justes et il faut le reconnaitre. C’est vrai que leur façon de revendiquer est nuisible au pays, mais la base sur laquelle ces gens se sont manifestés est compréhensible. Exemple : Quand les soldats sont recrutés, l’armée a l’obligation de les loger, car vous n’imaginez pas des soldats en formation logeant ailleurs que dans les casernes. Puis, sur une période de leur service, l’armée a toujours l’obligation de les loger si elle a l’infrastructure suffisante pour eux tous.

Dans le cas contraire, ils devraient trouver des logements en ville et laisser la place aux nouveaux recrus. En partant, ils doivent bénéficier de mesures d’accompagnement, notamment des primes de logement. Le problème est que ces mesures d’accompagnement n’ont pas suivi et pour les soldats du régiment de sécurité présidentielle, ils ont passé quatre mois sans recevoir leurs primes. Or, ce n’était même pas une question de disponibilité financière, car ce sont des montants pas exorbitants et qui étaient d’ailleurs prévus dans le budget. Il s’agit simplement de lourdeurs administratives qui n’ont pas permis aux chefs militaires de donner à ces jeunes les montants équivalent à deux ou trois mois d’avance de loyer.

Mettez-vous à leur place. Avec la vie chère à Ouaga, quel locataire va attendre d’être payé trois ou quatre mois plus tard ? Il demandera au minimum un mois de garantie et je crois que l’administration militaire devrait changer de mode de management. Comme tout est prévu, il appartient aux responsables de programmer les départs en fonction de la disponibilité de l’argent pour les payer. En fin de séjour, le soldat qui prend son paquetage pour rejoindre la ville doit pouvoir partir avec une enveloppe représentant une avance sur frais de logement. Voilà le genre de gestion qui a amené cette révolte. Quatre ou cinq mois plus tard, ne voyant pas leurs indemnités de logement versées, alors qu’ ils ont des contraintes, ils se sont révoltés et la meilleure façon de se faire entendre, c’est par le bruit avec des armes, même si c’est désagréable.
Aujourd’hui, la hiérarchie militaire a pris la pleine mesure des risques courus et la pleine mesure aussi de la capacité des soldats à revendiquer leurs droits, raison pour laquelle le président du Faso ne s’est pas autoproclamé ministre de la Défense comme certains le disent, mais a simplement transféré les attributions du ministre de la Défense au cabinet de la présidence.

Sur la liste du gouvernement, il n’y a pas Blaise Compaoré, ministre de la Défense ! Le président, qui est aussi chef suprême des armées a décidé lui-même de s’investir personnellement pour gérer ces questions qui sont devenues délicates et qui touchent à l’image et à la stabilité de notre pays.

Mais en payant les primes de logement dès le lendemain de leur protestation, est-ce que cela ne risque pas de créer un sentiment d’injustice chez ceux qui manifestent régulièrement pour revendiquer des droits et qui n’obtiennent pas rapidement gain de cause ?

Vous avez raison ! Quand les militaires du RSP ont protesté et que les officiers de ce régiment ont toute suite connu la raison de leur manifestation, des dispositions ont été rapidement prises pour les satisfaire, surtout qu’il ne s’agissait pas de gros montants, autour de 15 millions de F CFA, pas plus ! Donc, un problème facile à régler et si on peut les calmer avec de tels montants, pourquoi ne pas le faire sans attendre de régler tous les problèmes de la vie chère au Burkina ? L’urgence commandait de prendre rapidement des dispositions pour que le calme revienne.

Pour les autres soldats, des mesures aussi ont été prises et je dois vous dire que l’impact sur le budget n’est pas extraordinaire, puisque cela n’entraine même pas des augmentations dans les inscriptions budgétaires. Il suffit juste de procéder à un réaménagement et un renforcement de l’administration afin que ce qui est mis à la disposition de l’intendance militaire pour les soldats soit effectivement perçu.

Par rapport à l’ensemble des Burkinabè, le gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour qu’il n’y ait pas de sentiment d’injustice, mais également pour que le pouvoir d’achat des travailleurs puisse être acceptable, même si ce n’est pas facile vu que la richesse nationale n’est pas extensible à souhait. Mais tout sera mis en œuvre pour qu’au moins, au niveau des denrées de grande consommation, les travailleurs puissent y avoir accès.
En amont, nous devons travailler pour que les masses paysannes du Burkina puissent accroitre leurs capacités de production, d’où la nécessité de procéder à des investissements structurantes et rapides. Nous sommes un pays agricole et un accent doit être mis sur l’agriculture et les capacités de production et c’est cette responsabilité incombe à l’Etat. Donc, il faut lutter contre la vie chère tout en modernisant notre économie en accroissant les capacités de production du monde rural, et créer le maximum d’emplois pour la jeunesse. C’est de cette façon qu’on fera preuve d’équité et de justice.

Est-ce que des poursuites vont être engagées contre ceux qui ont cassé et pillés des biens publics et privés ?

Naturellement ! Aucun crime ne doit rester impuni, mais la priorité des priorités aujourd’hui est de ramener l’ordre, la sécurité et la tranquillité dans le pays. Il nous faut aussi rapidement réorganiser et réformer le système de gestion de l’armée et faire en sorte que ce qui est dû aux soldats leur soit rendu. Pour les exactions commises, des dédommagements sont en cours, il y aura certainement des plaintes et des procédures judiciaires qui seront engagées. Le gouvernement prendra toutes les dispositions pour que les personnes atteintes soient rétablies dans leurs droits.

Qui a ordonné la libération des cinq militaires condamnés pour « vol et atteinte à la pudeur publique » ?

Ont-ils jamais été réellement incarcérés ? Je me demande si ce n’est pas à l’énoncé du verdict que leurs camarades ont eu cette réaction spontanée et violente. J’ignore comment les choses se sont passées mais ce qui est sûr, c’est que les soldats ont estimé que le juge avait eu la main trop lourde en condamnant leurs camarades à 12 et 15 mois fermes. Comme vous le savez, une telle condamnation a pour conséquence leur radiation de l’armée et les soldats ont estimé que leurs camarades ne méritaient pas une telle sanction au regard des faits qui leur sont reprochés et qui sont avérés. La procédure judiciaire a suivi son cours normal, ce qui a frustré aussi les magistrats, d’où d’ailleurs la succession de mécontentements que nous avons connus. Je dois rappeler quand même que les soldats de Fada N’Gourma qui avaient libéré leur camarade aussi condamné pour viol de mineure, ont pris la décision de le réintégrer à la prison et à l’issue des entretiens qu’ils ont eus avec le président du Faso, ils ont eux-mêmes reconnu qu’ils avaient été un peu loin et que leur camarade méritait la sanction prononcée contre lui.

Au cours des manifestations, les militaires ont saccagé des biens publics et privés. Quelle garantie pouvez-vous donner à l’investisseur quant à la sécurité de ses biens ?

Je profite de votre micro pour lancer un message au monde entier sur la capacité du Burkina à maitriser sa sécurité intérieure. Bien sûr, nous devons en apporter la preuve et il ne sert à rien que je vienne à Paris, déclarer solennellement que tout est sous contrôle, si demain ou la semaine prochaine, des faits contredisent ce que j’aurais déclaré. Donc, nous devons tout mettre en œuvre avec l’ensemble des acteurs en particulier les forces de défense et de sécurité pour faire régner le climat de paix et de sécurité. Jusqu’à ces derniers évènements malheureux, le Burkina avait la réputation d’être un pays de stabilité sans qu’on ait besoin de conférence de presse pour le dire. Aujourd’hui, des incidents graves se sont produits et nous devons restaurer l’image du Burkina et la meilleure façon de le faire, c’est travailler en interne pour que la sécurité soit maitrisée et que les pouvoirs publics donnent des gages que de tels incidents ne se reproduiront pas à l’infini.

Vous avez cependant sans doute remarqué qu’aucun étranger, aucune communauté étrangère n’a été pris à partie en tant que tel. Ceux qui ont été victimes des exactions l’ont été par pu hasard et personne n’a été pris pour cible, ce qui veut dire que nous sommes loin d’avoir atteint le stade où des communautés sont indexées du doigt et prises à partie. Je pense qu’on n’en arrivera jamais là et les investisseurs qui sont sur place peuvent continuer à faire leurs affaires dans un esprit de partenariat gagnant-gagnant.

Quel est l’état du dialogue engagé avec les partenaires sociaux et l’opposition ?

Le dialogue avec l’opposition est en cours. Le premier ministre a reçu les différents leaders de l’opposition, à commencer par le chef de file, Bénéwindé Sankara. Mais au-delà de ce dialogue, il faut une action vigoureuse pour renforcer la justice car notre système judiciaire a été contesté et mis à rude épreuve. L’institution judiciaire n’inspire peut-être pas suffisamment confiance aux justiciables, d’où cette tendance à se faire justice soi-même. Lorsque les jeunes élèves et étudiants ont l’impression que les policiers ont battu à mort leur camarade, ils se disent : « Si nous n’intervenons pas nous-mêmes, jamais justice ne lui sera rendue ». Il y a un manque de confiance dans l’autorité judiciaire et de ce point de vue, il y a un gros effort à faire. Lorsque des commerçants subissent des pillages et se mettent en devoir d’aller saccager le siège du parti au pouvoir et les bâtiments publics pour exprimer leur colère, c’est parce qu’ils ont le sentiment que le fonctionnement de la justice ne suffira pas à réparer les dommages qu’ils ont subis. Là, ce n’est pas le dialogue avec l’opposition qui peut régler ce genre de problème, mais il faut que le gouvernement lui-même prenne des mesures vigoureuses pour restaurer la confiance dans notre système judiciaire. Oui pour le dialogue, mais l’essentiel doit venir du gouvernement.

Le colonel Kadhafi est actuellement dans une situation délicate. Quel est l’état des rapports entre le Burkina et la Libye ?

Il n’est un secret pour personne que nous avons eu des rapports extrêmement cordiaux avec la Libye, mais que ces rapports se sont dégradés récemment pour des motifs sur lesquels je ne reviendrai pas. Mais la Libye n’a jamais pas été un véritable partenaire économique pour le Burkina. Je ne dis pas cela parce que le colonel Kadhafi est en difficulté, mais interrogez toutes les statistiques, vous verrez qu’il n’en est rien. Je me rappelle d’ailleurs que le président Compaoré a dû intervenir personnellement pour rembourser à la Libye une dette de trois milliards F CFA contractés par le Conseil national de la révolution (CNR) sous Thomas Sankara. Vingt ans plus tard, le leader libyen a exigé que cette dette soit remboursée et pendant ce temps, les Occidentaux, d’une manière générale accompagnaient le développement du Burkina par une série de mesures dont les remises de dette.

En dehors des investissements qui ont été fait dans les pays sahélo-sahéliens, la Libye ne jouait p as un rôle économique important que ça, contrairement à la Côte d’Ivoire pour les raisons que vous connaissez. Nous suivons ce qui ce se passe en Libye et nous souhaitons que la paix et la démocratie puissent s’installer dans ce pays.

Propos recueillis par Joachim Vokouma

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