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AFRIQUE - FRANCE : Que retenir de l’ère Mitterrand ?

Publié le mercredi 11 mai 2011 à 03h55min

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L’Afrique commémore à sa façon, les trente ans de l’accession au pouvoir du défunt président français François Mitterrand. En effet, le contexte est marqué par des consultations électorales intenses sur le continent. Comme il l’avait recommandé dans son célèbre et désormais historique discours de La Baule qui, en 1990, arrima l’aide à la démocratie. Mais aujourd’hui, que reste-t-il de l’effet Mitterrand ? Peut-on se risquer d’affirmer que le continent a avancé au plan de la démocratie ? Sans doute le passage de Mitterrand a-t-il marqué le monde. A sa façon, il a contribué à la chute du mur de Berlin, permettant ainsi l’amorce de la fin de la guerre froide. Homme de défis, il a fait partie des principaux acteurs politiques qui ont osé mettre le doigt sur des dossiers épineux.

Il aura ainsi pesé de tout son poids dans l’émergence d’un leadership nouveau en Europe de l’Est, et la redéfinition des frontières de plusieurs pays. Mais c’est dans les anciennes colonies d’Afrique que l’homme d’Etat français aura le plus laissé de traces. Car, Mitterrand, c’est également ça : la constance dans la défense des intérêts français. Il s’y est tellement employé que certains se demandaient s’il appartenait à la droite ou à la gauche. C’était oublier que jamais la France ne renoncerait à ses chasses gardées sur le continent.

L’infatigable homme de gauche français savait séduire ses interlocuteurs et les foules. Bon théoricien, fin amoureux de la rhétorique et habile dialecticien, il savait harceler et harponner l’adversaire qui redoutait toujours son sens élevé du débat. Avocat de formation et de profession, François Mitterrand savait aussi se rallier au monde dans la défense de causes qu’on croyait parfois perdues. Opposant farouche des années durant, il avait fait rêver en Afrique ces porteurs d’idéaux progressistes et autres frondeurs qui n’avaient de cesse de hanter le sommeil des dictateurs.

Aussi son élection en 1981 au scrutin présidentiel face à Valéry Giscard d’Estaing, avait-elle suscité de réels espoirs du côté des opposants africains. Beaucoup attendaient de lui ce changement radical dans la diplomatie africaine de l’Elysée, qui devait permettre l’amorce d’une démocratie véritable assortie de l’amélioration effective des conditions socio-économiques sur le continent, la partie francophone en particulier. La rupture attendue n’eut jamais lieu.

Une fois au pouvoir, Mitterrand s’efforcera de rappeler dans la pratique que "la France n’a pas d’amis, mais bien des intérêts", comme on le clame depuis l’époque du Général De Gaule. Peu à peu, Mitterrand s’accommoda de certaines situations sur le continent. Contrairement aux attentes, et sans gêne aucune, il donna plus de force à la FrançAfrique. Ouvertement, il s’acoquinera avec les vieilles oligarchies qui suçaient les pays africains. Les anciens comptoirs français et les multinationales de l’Hexagone continuèrent leur pillage. Au niveau des chefs d’Etat, des dinosaures comme Houphouët- Boigny de Côte d’Ivoire, Paul Biya du Cameroun, Omar Bongo du Gabon, Denis Sassou du Congo et Mobutu du Zaïre, eurent le vent en poupe. Par contre, des intrépides comme Feu Thomas Sankara du Burkina Faso, se heurtèrent à un donneur de leçons sans pitié pour tous ceux qui, à ses yeux, avaient des attitudes pleines d’impertinence.

Il aura fallu attendre 1990, pour voir Mitterrand donner officiellement le ton de la nécessaire démocratisation du continent, sous peine de voir l’aide s’évaporer. Le rusé opposant historique de France, avait deviné à travers les luttes qui s’intensifiaient, que les peuples africains marchaient vers une victoire certaine. Il fallait manœuvrer afin de récupérer la situation. D’où les nombreuses conférences nationales souveraines qui devaient aider, par le biais d’un multipartisme de façade, à mieux encadrer la libre expression des peuples en colère. Encouragés par le silence complice ou la bienveillance de Paris, les gouvernants africains entreprirent alors de conserver ou de reconquérir le pouvoir à la faveur de textes de lois taillés sur mesure. Métamorphosés au goût du jour, les partis uniques s’organisèrent donc pour remporter "haut les mains" des élections savamment truquées. Ceci, aux dépens de partis d’opposition mal organisés, divisés et dépourvus de ressources, dans un contexte de pauvreté criarde et d’analphabétisme inouï.

Les changements souhaités par les peuples en lutte, se limitèrent ainsi au vernissage des détenteurs du pouvoir. Avec regret, l’on découvrait alors cet autre visage de Mitterrand : l’occupant socialiste de l’Elysée, ne semblait point se soucier des intérêts des larges masses laborieuses d’Afrique. Au gré des intérêts de la France, celui-ci ne se gênait pas de soutenir les dictatures et les régimes impopulaires sur le continent. La plupart de ces gouvernants avaient bien compris que pour avoir la paix, il fallait être dans les bonnes grâces de Paris. Qu’a donc apporté Mitterrand aux Africains ?

Incontestablement, le défunt chef de l’Etat français a servi de référence à de nombreux intellectuels du continent, adeptes de son socialisme à visage humain. N’empêche que le plus souvent, ils auront eu du mal à obtenir son appui quant à l’application véritable chez eux, des principes élémentaires du socialisme. Les échanges devaient certainement être plus difficiles lorsqu’il fallait s’attaquer à l’impérialisme, notamment français ! Certes, avec le discours de La Baule, Mitterrand a su courageusement prôner la démocratisation, et inciter de nombreux chefs d’Etat à s’engager dans cette voie périlleuse pour la survie de leurs régimes. Mais, des conseillers français étaient toujours là, pour les aider à ne jamais partir, au nom des intérêts… français ! Une vraie politique de droite pour un leader classé à gauche !

Autant les prises de position du président Obama des Etats-Unis tranchent par leur clarté, autant celles de Mitterrand ont bien souvent paru ambiguës. Une ambiguïté qui a profité à nombre de chefs d’Etat africains de l’époque, lesquels étaient peu enthousiastes à l’idée de voir la démocratie s’instaurer dans leurs pays respectifs. Leurs successeurs n’auront donc fait qu’emboîter leurs pas. Quelques-uns ont néanmoins joué le jeu. Au Bénin et au Mali, entre autres, le parcours semble prometteur. De quoi se demander ce que serait devenue l’Afrique sans le discours de la Baule.

Mais doit-on tenir Mitterrand pour responsable de ce qu’il est advenu des tentatives de démocratisation en Afrique francophone ? Assurément pas. Mitterrand n’aura fait que son devoir : défendre vaille que vaille les intérêts de la France. Comme au Rwanda, pour soutenir le président Habyarimana, et faire échec à ceux qui mettaient en danger l’influence française dans la région des Grands Lacs. Toujours est-il qu’aujourd’hui, dans la majeure partie des cas, la démocratisation laisse toujours à désirer en Afrique francophone. Trente ans après l’avènement de Mitterrand au pouvoir en France, vingt-et-un an après le discours de la Baule et quinze ans après sa mort, le bilan reste assurément mitigé.

"Le Pays""

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