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Alors que Bernard Stasi vient de mourir, à la veille de ses 81 ans, ses engagements sont plus que jamais d’actualité.

Publié le mardi 10 mai 2011 à 01h45min

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« J’ai souvent été trop naïf », disait-il. En matière d’action politique « politicienne », sans doute ; mais en matière de réflexion politique, Bernard Stasi était réaliste. Ce « gauchiste du centrisme » vient de mourir. Il aurait eu 81 ans le 4 juillet 2011. Cet « honnête homme », blackboulé ces dernières années par la maladie, reste pourtant dans l’actualité. Laïcité, immigration, médiation…, il n’est pas un sujet d’aujourd’hui sur lequel il n’ait pas dit, par le passé, des choses essentielles. Le jour de l’annonce de sa mort, Filippe Savadogo, ancien ambassadeur du Burkina Faso à Paris, récemment encore ministre de la Culture, du Tourisme et de la Francophonie, me rappelait qu’il avait été aussi un acteur de la coopération décentralisée, ayant présidé l’Association francophone internationale de coopération décentralisée (Aficod) et Cités unies France.

Maire d’Epernay (1970-1977 et 1983-2000), Stasi avait été l’instigateur du jumelage de la capitale du vin de Champagne avec Fada N’Gourma (Burkina Faso).
« Vivre ensemble, dans le respect des différences, oui, c’est pour moi une obsession », affirmait-il. Les différences, il savait ce que c’était. Né à Reims de parents espagnols venus travailler dans le champagne, ses quatre grands-parents appartenaient à quatre communautés différentes : corse, italienne, espagnole, cubaine. Et c’est à 18 ans qu’il fera la démarche pour devenir français.

Passionné de football (comment pouvait-il en être autrement quand on a vécu l’aventure du Stade de Reims au temps glorieux des Piantoni, Kopa, Fontaine… ?), il avait débuté sa carrière professionnelle comme conseiller technique à la présidence de l’Assemblée nationale avant d’être admis à l’ENA, dans la promotion « Vauban » où il se fera un ami fidèle : Jacques Chirac. En 1959, il se retrouve à Alger comme chef de cabinet du préfet. Il sait que l’indépendance est inéluctable (« C’était l’apartheid, un million de pieds-noirs avaient tous les droits et les autres, rien ») et fera tout pour resserrer les liens entre la France et l’Algérie quand elle sera effective. Il présidera de très longues années l’Association France-Algérie.

Haut fonctionnaire, il sera élu député de la Marne en 1968 sous l’étiquette du Centre démocrate (qui deviendra, par la suite, le CDS puis l’UDF), puis maire d’Epernay (en 1970) et entrera au gouvernement de Pierre Messmer lorsque Georges Pompidou était président de la République. Il est ministre des DOM-TOM (avril 1973-mars 1974) au titre des « centristes » mais ses relations seront exécrables avec Jacques Foccart pour qui l’outre-mer était un fief dont il entendait rester le patron. Ce sera sa seule incursion gouvernementale (« Dans le gouvernement le plus réac de la République », commentera-t-il par la suite ; on lui reprochera d’avoir condamné le coup d’Etat du général Pinochet au Chili en 1973 !) ; notable local, il se consacrera à l’action parlementaire (il sera vice-président de l’Assemblée nationale) et à sa région (il a présidé de 1981 à 1988 le conseil régional Champagne-Ardenne) avant d’être élu député européen en 1994. Il démissionnera quand, en 1998, Chirac en fera le médiateur de la République, un job taillé sur mesure pour cette homme consensuel.

C’est Chirac encore qui, en 2004, lui confiera la présidence de la commission sur « la laïcité dans la République ». Dans les années 1980, Stasi va devenir la bête noire de l’extrême droite. En 1984, il publiera aux éditions Robert Laffont un livre qui sera perçu comme une provocation : « L’immigration : une chance pour la France ». Il va récidiver en 2007, chez Hugo doc cette fois, avec « Tous Français. Immigration, la chance de la France ». Les Echos (15 mai 2003) écriront qu’il « n’a jamais réussi à sortir de l’état schizophrénique de l’homme dévoué aux grandes causes mais dévolu aux petites fonctions : la tête en Afrique, à l’avant-garde de l’Europe, ou sur le front de l’anti-lepénisme ».

Le Figaro (9 décembre 2003) dira qu’il est « un homme de droite aux yeux de la gauche et un homme de gauche aux yeux de la droite ». Ce « chrétien de base », qui s’est emporté contre George W. Bush qui osait « compromettre Dieu dans ses conneries » et jugeait que le pape Benoît XVI était « mal informé sur la laïcité », avait déjà, par le passé, mobilisé son parti, le CDS, pour voter la loi « socialiste » contre la peine de mort après avoir voté la loi de Simone Veil sur l’IVG. Stasi sera l’instigateur de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), projet « chiraquien » dont on pensait qu’il deviendrait le patron ; mais il renoncera à en exercer la présidence étant déjà atteint par les premiers symptômes de la maladie qui va l’emporter.
« La laïcité, disait-il, c’est tout d’abord la tolérance et le respect de toutes les religions qui doivent disposer des mêmes droits mais aussi se plier aux mêmes devoirs ».

Initialement opposé au principe d’une loi interdisant les signes religieux à l’école, il prendra conscience par la suite que « des groupes islamistes veulent s’en prendre à la République, qu’ils testent sa résistance et mesurent jusqu’où ils peuvent aller » (La Croix - samedi 8-dimanche 9 janvier 2005). Le mercredi 4 avril 2007, à la veille du premier tour de la présidentielle, il dénoncera dans Libération le projet du candidat Nicolas Sarkozy de créer un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, « un ministère du passé ». « Jean-Marie Le Pen aurait-il déjà gagné un mois avant le premier tour ? Nous voilà revenus, en effet, sur son terrain, réduits à une consternante polémique par une proposition primaire qui flatte les Français dans leurs exaspérations, leurs peurs, leurs fantasmes, leurs fausses certitudes ». Il disait que ce projet « serait une défaite, un renoncement », annonçant « l’enfermement, une tentation incroyablement anachronique ».

Stasi aimait voyager (il a présidé de l’Association des ombudsmans et médiateurs de la francophonie) et accordait de l’intérêt à l’Afrique (pas seulement à l’Algérie dont il disait que « le couple franco-algérien doit se donner pour mission de contribuer activement à la construction d’un espace euro-méditerranéen »). Il y a neuf ans, dans Le Figaro (27 juin 2002), il avait publié un papier sur les relations entre la France et l’Afrique. Il venait de participer, à Dakar, en tant que rapporteur du point de vue français, au sommet organisé par le président Abdoulaye Wade sur la crise à Madagascar. Quelques jours plus tard, c’est encore à Dakar qu’il participera à la première rencontre des médiateurs et ombudsmans africains après avoir fait un crochet par Yaoundé pour l’inauguration du Centre des droits de l’homme pour l’Afrique centrale. Autant d’occasions de dire ce qu’il avait à dire.

Au sujet de la France en Afrique : « Si les temps semblent enfin révolus d’un néo-colonialisme, tantôt honteux et tantôt arrogant, notre pays est respecté, et souvent même sollicité, comme garant d’accords intervenus entre Africains, et aussi comme avocat de l’Afrique au sein de l’Union européenne, ainsi qu’au sein du G8, dans le contexte difficile d’une mondialisation particulièrement rude pour les faibles […] Il appartient aux Français de comprendre que nos relations privilégiées avec le continent africain sont un des atouts de notre pays dans un monde difficile ». Au sujet des droits de l’homme : « Il ne suffit pas [d’en] parler avec éloquence pour être un serviteur sincère de cette noble cause ». Au sujet du rôle du médiateur : « Encore faut-il que [son] indépendance soit reconnue dans le texte qui crée l’institution et respectée dans la pratique, ce qui n’est pas toujours le cas en Afrique, ni d’ailleurs en d’autres contrées ». Stasi est mort ; mais sa vision des maux qui caractérisent l’évolution de notre société demeure d’actualité. Plus que jamais.

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 12 mai 2011 à 18:13, par l’ami En réponse à : Alors que Bernard Stasi vient de mourir, à la veille de ses 81 ans, ses engagements sont plus que jamais d’actualité.

    Ma réaction favorable à Bernard Stasi ne vous aurait-elle pas plu ??? N’est-il pas sain de louer les mérites d’un homme qui fa fait honneur à la politique française ?

  • Le 16 mai 2011 à 00:51, par CIRTA En réponse à : Alors que Bernard Stasi vient de mourir, à la veille de ses 81 ans, ses engagements sont plus que jamais d’actualité.

    Les pieds noirs sont des monstres :c’est bien connu.
    Ma mere travaillait à la secu de Constantine,ou il y avait des chretiens,des juifs et des musulmans...Mais,c’etait l’apartheid... comme en Afrique du Sud,bien evidemment....Je ne pleure pas M Stasi....Ou etait-il quand les juifs et chretiens sont partis en exil,quand les harkis ont ete massacres, 1,5 millions et demi de musulmans abandonnés ?quand les cimetieres ont ete saccagés ?
    En 1958,il y avait 30 deputes musulmans à l’assemblee Nationale,mais c’etait l’apartheid...Il y avait des instits musulmans,mais c’eTait l’Apartheid...
    Il y avait une inegalité,mais les propos caricaturaux de Stasi fleuraient bon ici l’extremisme de Gauche...Il devait approuver les propos de Sartre appelant ouvertement dans une preface à France Fanon,de tuer tous les pieds noirs....

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