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Mise en place en Côte d’Ivoire de la Commission dialogue, vérité et réconciliation : La vérité jusqu’où ?

Publié le lundi 2 mai 2011 à 22h39min

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La « Côte d’Ivoire nouvelle » manque cruellement d’hommes nouveaux. De femmes nouvelles aussi. Il est vrai que, depuis 1990, la conjoncture n’a pas été propice à l’émergence de personnalités politiques : Henri Konan Bédié n’avait que 59 ans quand il a accédé à la présidence de la République mais il était déjà un homme du passé (un passé pas mal décomposé) et celui qui sera son seul et unique premier ministre, Daniel Duncan Kablan, avait été une tête d’affiche des « années Ouattara » (1990-1993). Robert Gueï avait fêté son 59ème anniversaire le 16 mars 2000 alors qu’il avait pris le pouvoir quelques mois auparavant. Laurent Gbagbo, quant à lui, n’avait que 55 ans lors de son élection mais il n’a pas eu le temps de changer la donne.

Le nouveau président de la République, Alassane Dramane Ouattara, a eu 69 ans le 1er janvier 2011 ; depuis plus de vingt ans, il est sur le devant de la scène politique ivoirienne à l’instar de tous ses prédécesseurs. Et pendant ces vingt années particulièrement conflictuelles - contre Félix Houphouët-Boigny, contre Bédié, contre Gueï, contre Gbagbo et contre Ouattara pendant tout ce temps-là - les « hommes nouveaux » n’ont pas été légion. Si l’on fait abstraction de ceux qui se sont disqualifiés récemment, il n’y a pas beaucoup de « personnalités émergentes » : Guillaume Soro bien sûr (FN - actuel premier ministre), maître Jeannot Ahoussou (PDCI - ministre d’Etat, ministre de la Justice), Patrick Achi (PDCI - ministre des Infrastructures économiques, porte-parole du gouvernement ; mais c’est un job qu’il assurait déjà… dans le premier gouvernement formé par Gbagbo), Charles Diby Koffi (ministre de l’Economie et des Finances)…

La multiplication des alternances, parfois brutales (pas moins de quatre en vingt ans sans compter les gouvernements « d’union nationale »), n’a pas facilité l’irruption sur la scène politique de cadres dirigeants ayant une forte personnalité. Bédié a gouverné tout juste six ans, Gueï moins d’une année, Gbagbo plus de dix ans mais sans jamais parvenir à sauvegarder la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Ouattara accède donc au pouvoir à un âge avancé et ceux de ses collaborateurs qui avaient 30 ou 35 ans quand il était premier ministre en ont aujourd’hui vingt de plus ; et n’ont pas toujours pu faire la preuve de leurs potentialités. Ajoutons à cela que la formation, en Côte d’Ivoire, au cours de la décennie passée, a été particulièrement médiocre et que la vie politique n’a pas répondu, c’est le moins que l’on puisse dire, aux critères de la « bonne gouvernance ». ADO est donc obligé de faire avec les moyens du bord ; et trouver un cadre compétent, pas trop déglingué et ne traînant pas derrière lui trop de casseroles relèvera de la performance.

Du même coup, la République de Côte d’Ivoire risque fort d’être une république de « papis », sauf à penser que le chef de l’Etat nous fasse découvrir quelques pépites bien cachées dans l‘univers technocratique international ! Dans le contexte qui est celui de la Côte d’Ivoire post-ivoirité, il est impensable qu’il rejoue la partition qui avait été la sienne en 1990 avec un directeur de cabinet d’origine guinéenne (qui ambitionnait récemment encore d’être président de la République de Guinée) et un directeur adjoint de cabinet d’origine béninoise (qui pourrait bien devenir le prochain premier ministre du Bénin).
« Dialogue, vérité et réconciliation ». Dans ce contexte, la tâche sera ardue. La Côte d’Ivoire n’est pas l’Afrique du Sud et encore moins la Tunisie. En Afrique du Sud, c’était un « régime » - celui de l’apartheid - qui était montré du doigt ; il n’était pas bien sorcier d’établir les responsabilités des uns et des autres et chacun savait, plus encore une fois que l’apartheid avait été aboli sans espérance de résurrection, où était le mal et où était le bien.

En Tunisie, la chute de Ben Ali a entraîné la mise en place d’une commission d’enquête sur les exactions commises par son régime. Interdiction de quitter le territoire pour les personnalités soupçonnées de corruption, privation d’activités politiques pour les responsables de l’ex-parti présidentiel, le RCD, arrestations de certains d’entre eux, etc. La commission d’enquête a pour mandat « la recherche de la vérité » dans la perspective que « les cadres du régime [soient] reconnus responsables devant les Tunisiens ». Là encore chacun sait où est le mal et où est le bien.

En Côte d’Ivoire, la situation est complexe et ressemble à un mille-feuilles de griefs dont les fondements politiques et sociaux n’ont jamais été explicités. Pour faire court, il y a l’opposition globale à Ouattara lorsqu’il était premier ministre, « l’ivoirité » initiée par Bédié à l’encontre de Ouattara (puis instrumentalisée par Gueï et Gbagbo), la chute de Bédié, le « TSO » (tout sauf Ouattara) proclamé par la suite, les charniers de Yopougon, les événements de septembre 2002, les accords de Marcoussis et tout le reste. Et ce « tout le reste » est loin d’être marginal. L’avocate tunisienne Bochra Belhajmida, membre de la commission d’enquête de son pays, dit qu’il s’agit, chez elle, « d’éviter les haines et de permettre à la société d’accéder à la sérénité ».

Encore faut-il, pour cela, que toutes les vérités soient dites et, en Côte d’Ivoire, ce ne sera pas le plus facile. On l’a vu, voici dix ans, quand à la fin de l’année 2001 (alors que Gbagbo venait de boucler une seule année de mandat !), le Forum national de la réconciliation en Côte d’Ivoire n’avait été qu’un médiocre règlement de comptes entre les quatre leaders (Bédié, Gueï, Gbagbo et Ouattara) ; les travaux du forum avaient pourtant duré plus de deux mois !
Il faut partir d’un constat. Les tensions et les affrontements que connaît la Côte d’Ivoire depuis la mort du « Vieux » résultent bien plus de la concurrence entre leaders politiques que d’une confrontation sociale au sein de la population. Tous contre Ouattara ; Bédié contre Ouattara ; Guéi et Gbagbo contre Bédié et Ouattara ; Gbagbo contre Ouattara ; Bédié et Ouattara contre Gbagbo. Et s’il y a eu exacerbations de tensions « ethniques », c’est d’abord le résultat d’une instrumentalisation par les responsables politiques.

On peut faire confiance aux politiques pour se « réconcilier » plutôt que d’avoir à « dialoguer » ou à reconnaître une « vérité » qui leur échappe nécessairement. Cette vérité, qui peut penser qu’elle pourrait « sortir d’un puits » dont les gardiens sont, justement, ceux qui depuis vingt ans n’ont cessé de l’y confiner.
S’il est un « dialogue » à instaurer, une « vérité » à dire, une « réconciliation » à espérer, c’est le dialogue entre le pouvoir et la jeunesse ivoirienne, la vérité sur la « mauvaise gouvernance » de la classe politique ivoirienne, la réconciliation entre les hommes politiques et la population ivoirienne. Il n’y a pas eu de guerre civile ; il n’y a eu de guerre qu’entre les leaders politiques et ceux qu’ils ont instrumentalisés. Les Ivoiriens et les Ivoiriennes qui ont quarante ans aujourd’hui n’ont connu que cette guerre fratricide entre les hommes qui étaient chargés de leur apporter plus de croissance, plus de connaissances, plus de bien-être…

Ils en sont, aujourd’hui, à regretter les « années Houphouët » alors que, justement, ces années-là, quand ils avaient vingt ans, étaient des années difficiles, le pays vivant depuis trop longtemps sur ses acquis et n’ayant pas su passer le cap des années 1980 qui auraient dû permettre à la Côte d’Ivoire de franchir une étape de son développement. Quelle peut-être la crédibilité d’une classe politique qui, du fait du jeu des ambitions personnelles et de la paranoïa de quelques uns, a mis par terre - et pour longtemps - un pays qui était le plus beau fleuron économique et social de l’Afrique de l’Ouest ? S’il y a une vérité qui doit être dite c’est celle-là : l’effondrement de la Côte d’Ivoire résulte de l’impéritie de sa classe politique ; pas de sa population !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 3 mai 2011 à 17:41, par Mentor En réponse à : Mise en place en Côte d’Ivoire de la Commission dialogue, vérité et réconciliation : La vérité jusqu’où ?

    BSR
    C’est une analyse pertine sur la situation en RCI.Cependant, le narrateur oublie de dire que cette guerre fratricide est lae cormllaire du long règne de Houphouet.Je m’explique.
    Supposons que comme Senghor,ce dernier eût demmissioné en 1980. Bedié 46 ans lui succède en tant que Président du parlement.Ce dernier allait certainement gouverné sans difficultés majeures jusqu’à l’aube des années 90 et du multipartisme. Quant à Alassane probablement qu’il serait resté à la BCEAO et au FMI.Le FPI ? malgré l’instauration du multipartisme,il n’aurait pu après 1990 inquieter l’hegemonie du PDCI.Donc continuité pour Bédié.Pas d’ivoirité puisque ADO serait probablement resté en marge !Un cadre du PDCI succederait à Bedié ........

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