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La République de Côte d’Ivoire aura bien du mal à redevenir un pays comme un autre. Et la faute en incombe aux « politiques » ivoiriens !

Publié le vendredi 29 avril 2011 à 14h30min

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Le regard des autres sur la République de Côte d’Ivoire a changé. Les autres, ce sont les partenaires de ce pays. Ils ne manquent pas. En Afrique de l’Ouest d’abord ; en Afrique tout court ensuite ; en France, en Europe et dans le monde enfin. Il y a eu longtemps, trop longtemps (et parfois à tort), cette image de pays dirigé par un « sage » : Félix Houphouët-Boigny. Qui a donné son nom a un prix (décerné par l’Unesco) « pour la recherche de la paix ». Ironie de l’Histoire : depuis que le « Vieux » est mort, son pays n’a cessé d’être un champ de bataille !

Il y a eu ensuite une succession constitutionnelle dont on a voulu nous convaincre qu’elle était un modèle du genre. Le modèle a été déglingué rapidement par un minable coup de force militaire dont on ne sait toujours pas quel était son objectif avéré. Il n’empêche : Henri Konan Bédié a cédé le pouvoir aussi lamentablement qu’il l’avait exercé pendant tout juste six ans ! Les coups d’Etat en Côte d’Ivoire ne vaudront pas mieux sa « gestion républicaine ». Et la « dictature » du général Robert Gueï ne résistera pas à la détermination des militants du FPI de Laurent Gbagbo. Chacun d’applaudir alors à la victoire des urnes sur les armes ; et il n’y aura que le bénéficiaire de l’opération pour avoir le bon sens de reconnaître qu’elle était « calamiteuse ». Tellement « calamiteuse » qu’un nouveau coup de force aux allures de coup d’Etat allait déboucher sur près d’une décennie de « bordel » diplomatico-politique dont la fin sera encore plus minable que l’interminable déroulement. On nous promettait un « bunker » surarmé dirigé par un chef de guerre déterminé, un « Machiavel des lagunes » ; nous n’avons eu droit qu’à une cave malodorante où une « grande famille », hommes, femmes, enfants, valets et bonniches, implorait pitié et réclamait pitance. La classe !

Et ce n’est pas fini. Voilà que défilent à l’hôtel du Golf, pour serrer avec componction la main du président de la République, Son Excellence Monsieur Alassane Dramane Ouattara, tous ceux qui se sont gavés pendant des années pour « dégueuler » à longueur de journée sur celui dont ils attendent « pardon et réconciliation ». Paul Yao N’Dré, Mamadou Koulibaly, Laurent Dona Fologo, Philippe Mangou… Le week-end pascal a été propice à ces séances de congratulations. « Seigneur, pardonne leur car ils ne savent ce qu’ils font ». L’édito du quotidien burkinabè Le Pays écrivait ce matin (mercredi 27 avril 2011) ce qu’il fallait dire de tout cela : « Aussi, même s’ils se veulent passionnés de paix et ardents défenseurs des libertés démocratiques, les Houphouëtistes devront faire preuve de vigilance et de fermeté. Il faut savoir garder l’arme au pied et ne pas se laisser piéger. Et jamais, il ne faudra se laisser divertir par un discours qui pue toujours la haine de l’autre, et le refus de s’aligner sur la majorité des Ivoiriens ». Il fallait observer le visage largement repus et la satisfaction de Paul Yao N’Dre, président du Conseil constitutionnel, quand il est venu faire « allégeance » à Ouattara. Il y a quelques mois seulement, le vendredi 3 décembre 2010, il annonçait « officiellement » la victoire de Gbagbo face à Ouattara : 51,45 % contre 48,55 % ! Aurait-il entre temps été touché par la grâce divine ; ou pris subitement conscience qu’il convenait de « ne pas injurier l’avenir » ?

Vu d’ailleurs, la condescendance est de mise à l’égard de ces « politiques » ivoiriens qui s’embrassent après avoir massacré une population qui voulait travailler en paix et à laquelle ils n’ont proposé qu’une minable guerre civile : celle où les « tueurs » d’anonymes désarmés, n’étaient que des « mercenaires ». J’aimerais bien avoir la liste des « politiques » qui, depuis dix ans, ont payé de leur vie les tueries organisées en Côte d’Ivoire. Elle ne sera pas longue. Quant à la palme de ceux qui, aujourd’hui, « se foutent de la gueule » des Ivoiriens, elle revient au quotidien français Les Echos qui, dans le « billet de Favilla » (26 avril 2011), souligne que Gbagbo a dû trouver « que parfois l’ingérence a du bon », soulignant que « si les militaires français n’avaient pas jusqu’au bout tenu - et retenu - la main des assaillants, Gbagbo ne serait plus de ce monde ». Un jour, on ressortira ce texte qui note aussi que « les autorités françaises avaient donné instruction à leurs troupes d’aller jusqu’à enfoncer le dernier portail pour ouvrir la voie aux troupes de Ouattara, mais de ne pas aller au-delà ». Il y aura un moment où Paris rappellera à Abidjan que la victoire de la démocratie en Côte d’Ivoire n’est pas celle des démocrates ivoiriens mais des contribuables français qui, depuis 2001, financent Licorne.

Le drame de la « Côte d’Ivoire nouvelle », c’est que Ouattara va devoir diriger le pays dans un brouhaha assourdissant : celui des « casseroles » que traînent derrière eux tous les hommes politiques. Car il n’y a pas que le FPI qui ait failli ; les Forces nouvelles de Guillaume Soro, actuel premier ministre, sont loin d’être des modèles de « bonne gouvernance » ; les cadres du RDR, qui ont participé de près ou de loin au pouvoir, ne sont pas aussi « clean » qu’ils voudraient le faire croire. Reste le PDCI. Il faudra bien, un jour, quand même, en écrire l’histoire et mettre le doigt sur sa responsabilité dans ce fiasco annoncé. On peut vouloir « le pardon et la réconciliation » ; cela ne doit pas rendre complètement idiot pour autant.

Exemple : dans le premier gouvernement formé par Ouattara au lendemain de sa victoire à la présidentielle 2010, le portefeuille de ministre des Affaires étrangères a été confié à Jean-Marie Kacou Gervais. Un respectable vieillard (il est né le 7 octobre 1938 à Sassandra), diplomate de carrière, qui a été notamment ambassadeur à Luanda (Angola) et à New York (Nations unies) après avoir été en poste à Bruxelles, Londres, New York, Tokyo. Un beau parcours diplomatique. Mais personne ne peut oublier qu’il a été nommé, le 11 février 1997, ambassadeur de Côte d’Ivoire à Paris. Surtout pas les Ivoiriens de France. Ni les journalistes. Fraternité-Matin, alors quotidien officiel de la Côte d’Ivoire, dans son édition du mardi 16 novembre 1999, a publié une interview réalisée à Paris par Honorine Yaoua Kouman. Kacou Gervais nous expliquait alors que « le seul obstacle à l’éligibilité de M. Alassane Outtara, c’est d’abord lui-même ensuite c’est la loi, en l’occurrence, la Constitution et la loi électorale que le pouvoir en exercice, notamment, le Président de la République, n’a pas qualité pour déroger ».

Quelques jours auparavant, le procureur d’Abidjan avait requis des peines de trois ans de prison ferme contre les dix-sept responsables du RDR alors que Ouattara, candidat déclaré à la présidentielle d’octobre 2000, était l’objet d’une information judiciaire pour « faux et usage de faux » visant ses papiers d’identité. Pierre Prier interrogera d’ailleurs Kacou-Gervais sur ces sujets et « l’ivoirité ». Toutes ses questions tournaient autour d’une seule problématique : le pouvoir, à Abidjan, s’efforce d’empêcher Ouattara de se présenter à la présidentielle. Cet entretien a été publié dans Le Figaro du vendredi 12 novembre 1999, « le président Bédié ne désirant plus s’exprimer sur le sujet », c’est « son représentant en France […] qui réfute […] les accusations du RDR ». De ces entretiens, quelques semaines avant la chute de Bédié, on retiendra que « contrairement à ce que pourraient laisser entendre certaines rumeurs ou dépêches, la Côte d’Ivoire est calme » ; et que « la Côte d’Ivoire est un pays souverain et ses affaires se traitent sur son territoire et non à [Paris] ». Ah bon ? « Pardon », O.K. ! « Réconciliation », O.K. ! Mais la démission, cela existe aussi quand les actes ne sont plus en adéquation avec les convictions. Sauf à décrédibiliser son action. C’est dire que la tâche qui attend Ouattara n’est pas facile.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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