LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Laurent et Simone Gbagbo. Une (lamentable) histoire ivoirienne !

Publié le mercredi 27 avril 2011 à 01h48min

PARTAGER :                          

Ils ont fait la « une » de l’actualité ouest-africaine et, plus souvent qu’on ne l’aurait souhaité, de la presse française et internationale. Pendant plus d’une décennie. Il n’est pas un seul couple présidentiel, sur ce continent (l’Asie et l’Amérique latine - sans oublier les Etats-Unis -, par contre, ont été prolixes en la matière), qui ait autant et aussi longtemps « défrayé la chronique ».

Difficile de dissocier l’un de l’autre. Sauf, bien sûr, que Laurent Gbagbo exerçait une fonction officielle ; ce qui n’était pas le cas de Simone. Et, du même coup, sa responsabilité est bien plus engagée que celle de son épouse.

Mais personne ne s’y trompe : si dans le couple Gbagbo il y a un démon, c’est bien plutôt une démone (mot reconnu par le dictionnaire Larousse ce qui prouve bien l’existence de ces femmes diaboliques !). Quand l’histoire contemporaine de la Côte d’Ivoire sera écrite, il faudra prendre en compte ce qui est de la responsabilité de Simone, même si cela n’exonère en rien celle de Laurent. Responsabilité, elle a toujours revendiquée au nom du droit des femmes et des « premières dames ». « Je n’ai jamais cru à la neutralité de qui que ce soit », avait-elle affirmé, dès l’accession de son mari au pouvoir, à Florence Dini (Amina n° 377). D’autant moins neutre qu’elle était politiquement engagée, députée d’Abobo au moment de l’accession de son mari à la magistrature suprême. Simone Gbagbo voudra tellement affirmer sa place sur la scène politique ivoirienne en tant qu’épouse de Laurent Gbagbo qu’elle publiera même un pavé de 500 pages (« Paroles d’honneur ») dont le sous-titre dit bien ce qu’il en est : « La Première dame de Côte d’Ivoire parle… ». Laurent, quant à lui, s’est bien gardé de publier quoi que ce soit tout au long de son séjour à la présidence de la République !

En décembre 2004, un rapport de cinq experts internationaux du Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’homme l’avait épinglée pour, notamment, le « parrainage des escadrons de la mort » (soulignons que Guillaume Soro était, lui aussi, concerné par des violations des droits de l’homme et qu’une liste de 95 personnes coupables des mêmes faits avait été établie mais gardée secrète). Quand le 16 avril 2004, le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer va disparaître, très rapidement le nom de Simone Gbagbo va être cité et le juge français Patrick Ramaël va la convoquer (en vain bien sûr) pour qu’elle soit entendue comme témoin. La sortie de son livre, en février 2007, avait été l’occasion d’une gigantesque campagne de presse (aucun autre livre « africain » n’a jamais bénéficié d’un tel impact médiatique) qui traçait un portrait flatteur de la « première dame » même s’il mettait au jour l’ambiguïté du personnage.

Il n’est pas sûr, aujourd’hui, que ce ne soit pas un élément à charge qui établit sa responsabilité dans bien des actions imputées exclusivement au chef de l’Etat, notamment dans la « défense » qu’elle s’est efforcée d’organiser en faveur de personnalités mises en cause dans certaines opérations plus que douteuses, à commencer par le sinistre et cynique Gossio, directeur général du Port autonome d’Abidjan (PAA). C’est dire que Simone a focalisé sur sa personne beaucoup de ressentiment ; et plus de haine encore qui s’est exprimée pleinement lors de son « arrestation » et de son transfert à l’hôtel du Golf, quartier général du président Alassane Dramane Ouattara.

On ne peut pas réduire l’image de la Côte d’Ivoire contemporaine à la seule mortelle randonnée à laquelle le couple Gbagbo a condamné les Ivoiriens pendant toute une décennie. On ne peut pas non plus faire l’impasse sur leur responsabilité individuelle et, plus encore, comme instigateurs d’un mode de production politique dont les dérives affairistes (pour ne pas dire les pratiques mafieuses) vont durablement marquer la vie économique et sociale du pays. Laurent et Simone ne se sont pas seulement trompés ; ils ont aussi trompé le peuple ivoirien et leurs partenaires régionaux et internationaux alors que leur ambition n’aura jamais été que de mettre la Côte d’Ivoire en coupe réglée. Au-delà des crimes contre l’humanité, au-delà des meurtres, des massacres, des exactions, des viols…, il y a cette dimension de mal-gouvernance que personne ne doit occulter. Et dans laquelle, tout autant que des Ivoiriens, ministres, haut fonctionnaires, directeur généraux, etc. des personnalités étrangères, africaines et européennes (et tout particulièrement françaises) sont également impliquées. L

La « Côte d’Ivoire 2000-2011 », c’est aussi l’inconséquence et la connivence de bien d’autres responsables que les seuls Ivoiriens « gbagboïstes ». L’avocat William Bourdon l’a écrit, récemment, dans Le Monde (daté du 22 avril 2011) : « La communauté internationale a bien tergiversé s’agissant de la Côte d’Ivoire. La moindre des choses serait, dans le respect de la souveraineté ivoirienne, d’apporter un concours technique et financier permettant aux juges ivoiriens de rendre une justice équitable et exemplaire ». Ce serait, tout à la fois, l’honneur de la République de Côte d’Ivoire et de cette « communauté internationale » qui se veut toujours plus exemplaire pour les autres qu’elle ne l’est pour elle-même.

Bourdon sait de quoi il parle. Il s’est illustré comme secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), le défenseur de Médecins sans frontières, et dans toutes les causes « humanitaires » de ces dernières années (Rwanda, Chine, etc.). Président de Sherpa, association de défense des victimes de crimes économiques, il s’est engagé dans le combat contre les « biens mal acquis ». Dans son papier (cf. supra), il dit que « sans que cela vaille complaisance avec la Françafrique, l’intervention française en Côte d’Ivoire aura eu le mérite, en faisant tomber Gbagbo, de favoriser une dynamique de réconciliation et de paix, même si elle reste extraordinairement fragile ». Il dit aussi que les événements de Côte d’Ivoire, après ceux de Tunisie, d’Egypte et d’ailleurs, « doivent nous obliger à refonder une politique étrangère. Si elle veut voir respecter le droit à la dignité, elle doit elle-même être digne, c’est-à-dire sans complaisance, universellement généreuse et transparente dans sa mise en oeuvre ».

Bien sûr, c’est un rêve d’avocat ; et les avocats, compte tenu du montant de leurs honoraires (y compris dans la défense des « humanitaires »), ont les moyens de beaucoup rêver. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a une réelle « concordance des temps » qui favorise une nouvelle approche des problèmes de « gouvernance ». Et que la « Côte d’Ivoire nouvelle » doit surfer sur cette vague si elle veut crédibiliser le combat qui est mené depuis si longtemps. « La justice n’est efficace, souligne Bourdon, que si elle est profondément un facteur de paix, ce qui suppose qu’Alassane Ouattara assume les risques de dommage collatéral pour son propre camp, sauf à ce que les forfaits qui auraient été commis par ses troupes soient instrumentalisés par les perdants pour disqualifier l’œuvre de justice. Ces risques sont moindres que celui d’une justice qui apparaîtrait comme l’instrument d’un règlement de comptes au profit d’un clan contre un autre ».

Laurent et Simone Gbagbo sont entre les mains des autorités républicaines de Côte d’Ivoire ; d’autres personnalités « gbagboïstes » ont été interpellées ; quelques unes sont passées à travers les mailles du filet ; d’autres ont négocié leur reddition. Il faut désormais entreprendre un long travail de mise au jour de ce qu’ont été les 3.800 et quelques jours de la gouvernance « gbagboïste ». Sans peur et sans haine. C’est une rude tâche. Mais si elle est menée à bien les morts de la « décennie sanglante » ne seront pas morts pour rien. Enfin, on peut toujours l’espérer.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Tidjane Thiam en successeur de Henri Konan Bédié. Jusqu’où ?
Côte d’Ivoire : Robert Beugré Mambé nommé Premier ministre
Côte d’Ivoire : L’étrange destin de Marcel Amon Tanoh