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SYNADEC : "Le régime de la IVe République s’est fourvoyé dans la mise en place d’une stratégie de conservation du pouvoir à vie"

Publié le jeudi 21 avril 2011 à 01h05min

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Le Syndicat national autonome des enseignants-chercheurs donne, à travers cette déclaration, sa lecture de la situation nationale marquée par la récente sortie des militaires avec pour corollaires des scènes de pillages et de vandalisme. Pour ledit syndicat, cela traduit quelque faiblesse de l’autorité publique et du commandement de la hiérarchie.

Le Syndicat national autonome des enseignants-chercheurs (SYNADEC) invite les Burkinabè à jeter un bref coup d’œil sur leur passé. Le Burkina Faso est apparu au cours des 50 dernières années comme l’un des pays les plus instables de l’Afrique : en 27 ans, il a connu six coups d’Etat, soit en moyenne un coup d’Etat tous les 4 ans et demi. Les 23 ans de calme que les observateurs ont qualifié de période pacifique constituent une exception. Mais, peut-on parler vraiment de paix durant les 23 ans de règne du président Compaoré ? Les problèmes d’impunité et d’injustice criantes, le renchérissement croissant de la vie entraînant la dégradation du pouvoir d’achat qui repose sur un salaire pouvant à peine nourrir une famille, le monopole du pouvoir par le méga parti, concurrencé depuis quelques années par une association aux allures de parti politique, ont affecté le magma social et préparent le séisme sociopolitique.

La destruction des bars, les Kundé, en mars 2007, réaction d’une rare violence contre le meurtre d’un citoyen, les manifestations contre la vie chère de 2008 ou de protestation contre le port de casques montrent à quel point le climat social est potentiellement explosif. Quand les mouvements sociaux émanent des civils, le pouvoir d’Etat, faisant usage de son pouvoir régalien, a vite fait de recourir aux forces de l’ordre pour veiller au grain, sinon réprimer les débordements. Mais voici que les hommes en tenue bravent l’autorité de l’État en rejetant des décisions de justice, en s’en prenant à des symboles de l’État, en revendiquant par des méthodes d’une violence extrême, faisant des victimes civiles et en saccageant des entreprises de commerce.

Les militaires sont, en cinquante ans d’indépendance, passés du rôle d’arbitre à celui d’acteurs principaux de la vie politique. Ils ont été invités pour la première fois à prendre le pouvoir en 1966. Un ancien syndicaliste a même exprimé, il n’y a pas longtemps, la fierté d’avoir été le premier à appeler l’armée au pouvoir. La transition dura quatre ans. Le chef de l’Etat, le lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana, a estimé que les civils étaient trop divisés pour reprendre la gestion du pouvoir. Il se résolut en 1970 à faire rédiger la Constitution de la IIe République qui, elle-même, ne dura que quatre ans. En février 1974, le général Lamizana renvoya les civils et rappela les militaires à la gestion du pouvoir.

Tous les espaces du pouvoir et de l’administration territoriale furent occupés par le pouvoir militaire. Des officiers furent en effet affectés au commandement des cercles administratifs. Il y eut la tentation de mettre en place un système de parti unique, le Mouvement national du renouveau (MNR), après deux ans de pouvoir militaire. La mobilisation syndicale sans précédent de l’époque obligea l’armée à abandonner son projet et à aller dans le sens de la démocratisation multipartisane du pouvoir en 1978. Puis en 1980, c’est le tour du colonel Saye Zerbo de faire son expérience du pouvoir militaire. Quatre coups d’Etat se perpétrèrent jusqu’en 1987 : outre le CMRPN de Saye Zerbo, arrivée du CSP en 1982 ; avènement du CNR en1983 ; entrée en scène du Front populaire en 1987.

Le militaire a fini par se convaincre qu’il a une place importante à occuper sur l’échiquier politique et une mission à accomplir dans la gestion du pouvoir. Il s’est forgé une idée des civils qui, pour avoir prétendument montré leur incapacité à mettre en place un système politique viable, constituent désormais le troupeau de bétail dont il sera le berger. Le militaire se croyant au-dessus du civil peut le menacer, le tancer, le “ corriger ” par les “ manœuvres ”, appellation militaire de ce qui pour un civil, n’est rien d’autre que de la torture.

Pourtant, le militaire est, comme le civil, un citoyen ayant des droits et des devoirs. Sa mission est toute spécifique et nul ne conteste sa délicatesse dans la vie d’une nation. Mais il n’est pas un surhomme, un homme au-dessus de la loi. Chargé de la défense nationale et formé suivant des valeurs d’intégrité, de probité morale et d’endurance personnelle, le militaire dans sa discipline et son apparence physique a fasciné la jeunesse de sorte que beaucoup d’entre eux n’ont rêvé que de faire une carrière militaire. Dans de nombreuses familles burkinabè, on rêve d’avoir son militaire, disons son officier.

Le militaire, dans un régime démocratique, est tenu de se mettre à l’écart du pouvoir parce que la gestion du pouvoir politique est une mission de nature différente de celle du commandement militaire. Des militaires dans le monde ont été à un moment de l’histoire de leur pays incontournables dans la gestion du pouvoir. De Gaulle, qui, le 18 juin 1940, avait appelé à la résistance des Français contre l’invasion de leur pays par l’Allemagne nazie, s’imposa comme la pièce maîtresse du jeu politique français pendant trente ans. Mais il se retira en 1969 quand il fut incompris dans le projet de réforme qu’il voulait pour la France. Dwight D. Eisenhower, après avoir dirigé avec un succès remarquable les débarquements d’Afrique du Nord et de Normandie pendant la Seconde guerre mondiale, s’était fait une carrure d’homme d’Etat. Il se présenta aux élections présidentielles américaines de 1952 et de 1956 qu’il remporta, non pas en tant que militaire, mais en citoyen débarrassé des galons et des “ rations ” militaires quotidiennes.

Le militaire dans sa tenue de métier et de combat reste soumis à une discipline qui l’oblige à des réserves dans la vie civile. C’est inscrit dans la loi. Face aux débordements de certains éléments de l’armée, l’on se pose légitimement des questions. Faut-il revisiter la Révolution démocratique et populaire où il était dit que “ tout militaire sans formation idéologique c’est un criminel en puissance ” ? Les événements des mois de mars et avril font penser que le slogan révolutionnaire est une vérité absolue. Faut-il invoquer le devoir de formation idéologique des militaires en nous ramenant trente ans en arrière ? Il faut plutôt s’inscrire dans la dynamique de l’évolution vers un ancrage de la démocratie dans le pays avec ses exigences de formation citoyenne de toutes les composantes de la population.

Notre armée a besoin d’une formation citoyenne. Nous sommes attristés de constater que notre armée ne représente pas le modèle d’une armée normale où la hiérarchie est respectée parce que ses officiers représentent le label de rigueur, d’intégrité et d’attachement aux hommes du rang qui, plus que du respect, lui vouent de la révérence. Au Burkina, la déliquescence de l’armée est symptomatique d’un tsunami social. Les 23 ans de paix tant chantés par les Burkinabè convaincus que la stabilité politique était définitivement retrouvée, s’écroulent sous le choc du séisme social qui secoue le pays depuis février 2011. Mais les répliques du séisme vont crescendo sur l’échelle de Richter politique en laissant des populations fragilisées et le pouvoir lui-même apeuré, lorsque les militaires se mutinent à répétition avec des actes de vandalisme et mettent à rude épreuve le commandement de la hiérarchie.

Où se trouve nos officiers sur lesquels la population a toujours compté pour la défense nationale ? Où se trouvent l’autorité de l’Etat, le chef des armées chargé de réinstaurer les principes élémentaires de la discipline militaire ?

Il n’y a pas de confusion à faire entre un exécutif fort et des institutions fortes dans la construction de l’Etat-nation. Que fait-on de notre Constitution ? Est-elle aussi sacrée que celles des pays de grande démocratie comme les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, le Japon et, tout près de nous, l’Afrique du Sud ?

Nous avons comme l’impression que la loi n’est qu’un ensemble de principes formels pour amuser la galerie politique. La Constitution semble n’être qu’un document comme les autres, qu’on peut piétiner à sa guise et auquel on ne se réfère que quand cela arrange les tenants du pouvoir, qui se confondent avec le législateur. Quel sens donner à cette reculade honteuse du gouvernement, de la hiérarchie militaire et de la justice devant le dossier des militaires condamnés pour atteinte aux mœurs, un délit de droit commun ? Si dans la construction de l’Etat-nation, on a préféré faire de la justice l’instrument docile de son pouvoir, on ne peut que détruire les fondements du pouvoir.

Les Burkinabè, eux, constatent amèrement depuis la nuit du 22 au 23 mars qu’ils n’ont plus d’armée. Leur armée est désormais synonyme d’un fatras d’hommes en uniforme, une masse informe lézardée par des fissures, creusée d’abîmes profonds entre une hiérarchie qui ne commande plus et des hommes du rang qui récupèrent l’autorité de la hiérarchie, la contestent et la défient avant de l’humilier sur son propre champ de commandement. On est inquiet de savoir que les soldats ont rendu visite au maire de la ville pour, semble-t-il, lui administrer une leçon de choses. On tremble de peur en apprenant que ces mêmes soldats ont rendu une visite musclée au ministre de la Défense, puis au chef d’état-major général des armées. On tombe meurtri devant le pillage des établissements de commerce et le saccage de domiciles de citoyens ciblés comme ennemis à abattre. Les hommes du rang sont conscients que la force de frappe repose sur eux.

Dans une armée normale, ils reçoivent des ordres d’exécution de missions précises. Dans cette optique, l’utilisation de cette force est orientée vers un objectif de défense et de rétablissement de l’ordre dans des espaces insécurisés. Aujourd’hui, les soldats agissent en détenteurs de la force, refusant de recevoir des ordres et se donnant eux-mêmes des ordres. L’unité et l’esprit de corps se trouvent entre les hommes du rang, la soldatesque qui fait trembler les dirigeants d’abord, puis le peuple apeuré comme un orphelin abandonné à son propre sort. Il faut craindre que les civils en arrivent à s’organiser pour se défendre et se rendre justice. Cela a déjà commencé avec la réaction des commerçants ce week-end. Il faut craindre alors le retour à l’état de nature.

Or, qu’on le sache une fois pour toutes, l’état de nature n’a jamais existé en Afrique. Chaque société a, depuis la nuit des temps, ses lois qui sont fondées sur le serment de la parole donnée et proférée. Ces lois parlées étaient tout aussi sacrées que la parole qui la proférait. Aujourd’hui, dans notre société en transition culturelle, la parole n’est plus que serment sans foi. Elle est désormais vide et ne peut plus intimer d’ordre. Laurent Gbagbo l’a démontré à satiété. A défaut de retourner chacun dans son espace sociopolitique traditionnel, et à défaut de réinventer l’Etat africain en essayant par exemple le “ tiercérisme ” proposé par le professeur Laurent Bado, nous avons le devoir de réussir la République ou de périr, pour paraphraser le professeur Joseph Ki-Zerbo.

Le régime de la IVe République n’a pas d’excuse. Il est le seul responsable de cette situation. Il s’est fourvoyé dans la mise en place d’une stratégie de conservation du pouvoir à vie. Voici le mal dont le symptôme perceptible depuis deux décennies apparaît au grand jour. Il a choisi de caporaliser la justice en créant une justice à deux vitesses. Il a choisi de mettre en place une armée sans commandement. Quand on subit tous les jours l’injustice, on finit par se révolter. Or, la révolte va avec la vengeance, le recours incontrôlé à la violence pour se défendre contre ses tortionnaires. Quand le peuple sort de sa torpeur, quand il évacue de son subconscient la peur de mourir, il peut en arriver à instaurer sa justice.

Il faut craindre que, dans ces conditions, ne surgissent des seigneuries, commandées par des potentats, hommes forts émancipés de l’autorité qui commande. Le SYNADEC appelle le chef de l’État à restaurer l’autorité de l’État, conformément au serment qu’il a prêté sur son honneur de “ préserver, de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution et les lois, de tout mettre en œuvre pour garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso ” (article 44 de la Constitution). Pour ce faire,

- la chaîne de commandement de l’armée doit être ressoudée pour créer une véritable armée républicaine fidèle aux principes de la discipline, de respect de la hiérarchie et attachée à la défense et à la protection des habitants du Burkina Faso ;
- justice doit être rendue dans tous les cas de dossiers pendants, à commencer par l’affaire Justin Zongo, pour mettre fin à l’impunité ;
- toutes les victimes des exactions, pillages, agressions, braquages, etc., doivent être dédommagées.

Le Bureau national du SYNADEC

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 21 avril 2011 à 07:09, par Amosis le Fils de Cham En réponse à : SYNADEC : "Le régime de la IVe République s’est fourvoyé dans la mise en place d’une stratégie de conservation du pouvoir à vie"

    Le SYNADEC doit revenir aux fondamentaux du syndicalisme, qui ont fait que les enseignants-chercheurs ont dans leur majorité adhéré à ses mots d’ordre ces dernières années, plutôt qu’à ceux d’autres syndicats "politiques" comme le SYNTHER ou le SNESS. Il faut revenir à la stricte défense des revendications corporatistes, pour ne pas lézarder la maison SYNADEC. A cet effet, il est frappant de remarquer qu’à la faveur des concertations avec les couches sociales initiées par Blaise Compaoré, le SYNDEC ne réclame pas que soient intégralement mises en oeuvre les promesses de revalorisation salariale réaffirmées par le gouvernement juqu’en janvier 2011, et la différence abyssale constatée sur les fiches de paie en février 2011, en violation flagrante et éhontée de la parole donnée pour le retour de la paix sur le campus. Le SYNADEC devrait plutôt dénoncer ces roublardises du régime et exiger le respect de la parole donnée, plutôt que de se lancer dans une critique tous azimuts du régime, toute chose qui ne ferait que fragiliser le SYNADEC, qui regroupe des militants de toutes tendances politiques.
    Attention à ne pas devenir un syndicat de politiciens, qui ferait perdre toute sa fraîcheur et sa combativité au syndicat. On ne tire pas sur une ambulance, il faudrait plutôt exiger fermement le respect de la parole donnée comme gage de la paix sociale.

  • Le 21 avril 2011 à 10:41, par Ben En réponse à : SYNADEC : "Le régime de la IVe République s’est fourvoyé dans la mise en place d’une stratégie de conservation du pouvoir à vie"

    Bravo au SYNADEC pour la suite dans ses idées et surtout le courage de se prononcer clairement sur la situation nationale après la barbarie des militaires. Sauf erreur ou omission de ma part c’est le seul à le faire jusque-là. Les partis de l’opposition, la CGTB, le MBDHP, la RADHO, etc sont restés muets. Il faut s’assumer quand on dirige un mouvement censé défendre les droits des populations ainsi que leurs intérêts.

  • Le 21 avril 2011 à 17:18, par kalaane En réponse à : SYNADEC : "Le régime de la IVe République s’est fourvoyé dans la mise en place d’une stratégie de conservation du pouvoir à vie"

    Les civils ne sont et ne peuvent en aucun cas être les adversaires ou les ennemis des militaires ! Sauf à se croire dans une république orphéline. Et si jamais, les militaires ne corrigent pas ces inepties en pensée, ces hérésies, pardon, il faut savoir que le pouvoir dont ils croient avoir le monopole est la seule chose que possède un peuple meurtri et spolié de ses droits, fussent-ils les plus élémentaires ! Et il faut que les militaires évitent que le peuple finisse par prendre en main sa propre défense, car, cela pourrait d’abord se faire contre eux les monstres subits d’une mutinerie dont la honte et la haine habitent tout fils de ce pays quand l essaie de comprendre les raisons avancées pour la mutinerie et la nature des actes sur le terrain. Aux militaires pilleurs, je rappelle, que ’’ un civil n’est qu’un militaire en permission’’ ! Urgemment que la hiérarchie et ses mutins se resserrent pour vite circonscrire et étouffer le "mal républicain", de concert avec le chef sprême des armées, si tel est le nom du "chef traditionnel le plus moderne des chefs traditionnels" rêvant de pouvoir à vie, sans alternance po., parce que les camarades à la courte vue, aux panses énormes ont réussi à lui faire croire que alternance et démocratie ne riment pas pour le seul Faso... ils ont suivis les remous j’imagine
    Chapeau bas pour le SYNADEC pour ses opinions sur la bourrasque civilo-militaire !

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